14/02/2009
La cabane dans les bois (7)
Puis, un beau matin, elle ne fut plus là. Le vide, l’horreur, l’inconcevable. Où était-elle ? Je voulais me rassurer et je me disais qu’elle était sans doute partie se promener seule, mais une telle initiative, qui n’avait pourtant rien d’inquiétant, aurait déjà marqué un changement radical dans son comportement. De plus je savais au fond de moi que cette hypothèse était fausse et que la vérité était bien plus grave. Néanmoins, je me mis à chercher comme un fou, inspectant chaque crique, arpentant toutes les plages, contournant tous les rochers. Rien. Pas la moindre trace de sa présence. Je me suis même éloigné du rivage et pour la première fois j’ai pénétré dans le désert de roches et de poussière qui nous entourait. Mais où chercher ? Et puis de toute façon il n’y avait rien. La journée s’est passée comme cela et je me suis retrouvé devant la mer quand le soir commençait à tomber. Ma chère inconnue avait disparu. C’est alors que je me rendis compte que je ne connaissais même pas son prénom. Quand nous nous appelions, nous utilisions ces petits mots tendres qu’inventent les amoureux. Il n’y avait rien de plus normal. En attendant, je me retrouvais seul et je me rendais compte qu’elle avait totalement disparu, non seulement physiquement et affectivement, mais même sur le plan symbolique, puisque que je ne pouvais même pas la nommer en lui donnant un nom. Il ne restait que le vide, un vide pascalien et au-dessus de moi ces milliards d’étoiles inconnues et indifférentes.
Je crois que j’avais de la fièvre d’avoir autant pensé. Le désespoir peut-il rendre malade ? En tout cas je me souviens que je tremblais de tous mes membres et que mes dents s’entrechoquaient. A la fin j’ai dû m’assoupir (on ne peut pas appeler cela dormir). Je me suis réveillé aux premiers rayons du soleil. C’était le deuxième jour sans elle qui commençait. Alors je me mis en route en direction d’Almeria. Le chemin était long, long et épuisant par cette chaleur. Pas un arbre, pas un rocher, pas la moindre ombre, rien que cette route qui n’en finissait pas et au-dessus de moi un soleil immense que je n’osais même pas regarder tant il faisait mal aux yeux. Après bien des kilomètres, je me suis assis devant une maison isolée, qui se trouvait là, allez savoir pourquoi, perdue dans ce désert. A ma grande surprise, elle était habitée. En effet, au moment où je m’apprêtais à partir, la porte s’ouvrit doucement et une petite vieille toute de noir vêtue montra le bout de son nez. Elle ne semblait pas plus étonnée que cela de me voir là, devant sa demeure. Je lui demandai si elle n’avait pas rencontré une jeune fille aux grands yeux noirs et à la chevelure d’ébène. Elle fit non de la tête puis, sans doute alertée par mon accent étranger, elle me montra la route qui continuait vers Almeria et rentra précipitamment chez elle. La porte claqua avec un bruit sec. On aurait dit que la petite vieille venait de refermer le couvercle de son propre cercueil, tant le silence qui suivit fut impressionnant. Quelque part, pourtant, c’était moi qui étais mort, complètement désespéré et incroyablement amoureux.
Alors, pour oublier, j’ai marché et j’ai marché. Des kilomètres et des kilomètres. J’avais soif. Faim aussi, bien entendu, mais surtout soif. Forcément, avec une telle chaleur (il devait faire plus de quarante degrés), il fallait être fou pour entreprendre un tel voyage. Et pourtant je continuais, car il me semblait qu’au bout du chemin je trouverais la réponse à ma question. Plus je marchais et plus je me rendais compte que je n’espérais même plus retrouver ma compagne, mais seulement comprendre où elle était partie et surtout pourquoi elle était partie. J’avançais comme un somnambule sur ce chemin poussiéreux, au milieu des cactus, des figuiers de barbarie et des cailloux. L’horizon était désespérément barré par des collines désertiques et au-dessus de moi le soleil continuait de darder ses rayons implacables.
Puis ce fut la nuit et la température s’est enfin mise à baisser. Moi, je continuais de marcher, fixant le mètre de route qui était devant moi. La nuit s’est passée ainsi, à avancer dans le noir. Sur ma droite, un croissant de lune éclairait faiblement les montagnes tandis que sur ma gauche je devinais une lueur opalescente qui devait être la mer. A six heures du matin, j’entrais enfin dans Almeria. Je me suis d’abord rendu à la station d’autobus et pendant des heures j’ai questionné les employés et les voyageurs. Evidemment personne n’avait vu une personne ressemblant à mon amour. De là je suis parti pour la gare des chemins de fer de la Renfe, où je n’obtins pas plus de résultats. Il était déjà midi et j’errais à travers les rues écrasées de chaleur, complètement désorienté et perdu, épuisé par le manque de sommeil. Pas rasé, trempé de sueur, je devais tout doucement ressembler à un clochard, c’est du moins ce que je me suis dit en remarquant le regard étonné des passants, qui me fixaient d’un air ahuri.
Almeria est une ville dont les rues dévalent vers la mer, ce qui fait que je me suis retrouvé sur le port sans même m’en rendre compte. Je me suis assis sur un banc et j’ai contemplé les deux grands navires qui étaient à quai. L’un, je m’en souviens bien, s’appelait le « Ciudad de Sevilla ». Derrière moi, dans une sorte de parking couvert, des centaines de voitures venant de l’Europe entière attendaient pour embarquer. Il y avait des Espagnols, forcément, mais aussi des Français, des Allemands, des Danois et même des Suédois. C’étaient tous les travailleurs immigrés du continent qui profitaient des vacances pour retourner au pays. Ils s’entassaient là, cinq ou six par voiture, dormant et cuisinant par terre, dans la chaleur étouffante, espérant faire partie du prochain voyage pour le Maroc. C’est là que subitement j’ai tout compris. Ma belle compagne au teint basané devait elle aussi être retournée dans son pays. Elle était probablement venue en Espagne comme travailleuse clandestine et était repartie comme elle était venue. Je ne saurais pas expliquer pourquoi, mais j’avais l’intime conviction de détenir la vérité. Ce n’était même plus la peine d’aller interroger les employés du port.
00:27 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature
Commentaires
Nous voilà bien épinglés avec cette histoire.
Pour un peu, nous rechercherions pour ce pauvre gars éperdu d'amour, la belle jeune femme à la chevelure d'ébène.
Mais nous savons que cette quête, pour chacun de notre part d'inconnu(e), est une quête qui ne s'arrête que là-bas, "où l'horizon courbe l'échine".
J'aime beaucoup "Personne n'avait vu une personne ressemblant à mon amour".
La petite vieille en noir, refermant sa porte comme on claque le couvercle du cercueil, a-t-elle le même visage que celle qui descendait du car, trottinait et regardait "l'homme à la cabane" ?
Écrit par : michèle pambrun | 14/02/2009
Oui nous cheminons aux côtés de ce jeune homme éperdu d'amour.......
Un film se déroule, j'y cherche une fin qui ne sera pas forcément celle de l'auteur .... Surprise !
Mais oui on tombe malade par amour !!
Écrit par : Débla | 14/02/2009
@ Michèle : oui, la quête ne s’arrête jamais en fait. Le héros a cru un instant avoir trouvé ce qu’il cherchait, mais la réalité du monde (ici le départ de la fille) ne va jamais dans le sens que voudrait l’individu.
Mais si la fille n’était pas partie, leur amour aurait-il continué dans l’harmonie que nous avons décrite ? Probablement pas car à un moment donné une certaine usure serait apparue et il se serait rendu compte que ce qu’il cherchait et croyait avoir trouvé lui filait entre les mains. Une nouvelle quête se serait imposée et ainsi à l’infini.
Pour répondre à une question que l’on m’a posée par ailleurs, il n’est donc pas certain que cette rencontre de l’amour (dans l’autre) puisse être l’aboutissement de sa recherche existentielle individuelle. L’individu singulier ne s’accomplit pas par l’autre. Mais cette rencontre y contribue dans la mesure où c’est un besoin (parmi d’autres) qu’il éprouvait depuis le début (voir ses rêves dans la cabane) et qu’il a pu accomplir au moins une fois. A partir de là il fait une expérience et trouve un équilibre. Equilibre provisoire sans doute, jusqu’à un prochain besoin, qui se traduire par une nouvelle quête.
Mais au moins il a appris qu’il pouvait réaliser ses aspirations et, au moins provisoirement, imposer son rêve au monde. Là est ce qu’il retire de son expérience, en tant qu’individu solitaire qui reste de toute façon seul avec lui-même.
Écrit par : Feuilly | 14/02/2009
@ Michèle toujours :
La petite vieille ? Elle ressemble en effet étrangement à la première et vient mettre dans ce monde d’amour et de jeunesse une touche sombre qui préfigure la mort. La recherche amoureuse de cet étranger ne l’intéresse pas, elle a déjà un pied dans la tombe.
Écrit par : Feuilly | 14/02/2009
@ Débla: une fin qui ne sera pas forcément celle de l'auteur .... ? C'est l'avantage de ce découpage de l'histoire en épisodes: chacun a le temps d'extrapoler la suite et d'écrire sa propre histoire dans sa tête.
Écrit par : Feuilly | 14/02/2009
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