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12/02/2009

La cabane dans les bois (5)

Puis le voyage continua comme dans un songe. A San Sebastian j’ai assisté à des manifestations indépendantistes. Je me suis retrouvé dans les rues étroites et perpendiculaires de la vieille ville, coincé dans une encoignure de porte, les manifestants d’un côté, la police de l’autre, qui chargeait à coup de gaz lacrymogènes. A Salamanca, j’ai médité sur le vieux pont romain qui enjambe le Rio Tormès et j’ai flâné entre les arcades de la Plaza Mayor. Dans les montagnes de la sierra de Francia, au-dessus de Bejar, je me souviens d’un village dont le nom enchanteur valait déjà à lui tout seul tout un poème : Miranda del Castanar. Il fallait une heure pour monter la-haut dans un autocar poussif et quand on arrivait sur la place du village, on croyait avoir atteint le ciel, tant celui-ci semblait proche. Il y avait des cerisiers partout et les paysans vous en vendaient des paniers entiers pour quelques pesetas. Sous la voûte des arcades d’une maison, appuyée à une colonne, une jeune fille en croquait quelques-unes de ses dents blanches et éclatantes. Nos regards se sont croisés dans un instant d’éternité. Puis j’ai repris l’autocar.

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En Extremadura, j’ai longé un barrage sur le Tage. Le niveau de l’eau était tellement bas, en cette saison estivale, que le clocher d’une église émergeait du lac, dernier témoignage d’un village définitivement englouti. Des habitants, qui sait, continuaient peut-être à vivre là-bas, plongés dans des rêves aquatiques. En tout cas, au bord de la route, deux vieux paysans, un homme et une femme, regardaient eux aussi ce clocher sorti des ondes et dans leur regard se reflétait la nostalgie du temps perdu, du temps de leur jeunesse. Peut-être est-ce là tout au fond qu’ils s’étaient rencontrés un jour, à un bal du village et qu’ils avaient échangé leur premier baiser. Le progrès avait noyé leur rêve et leurs souvenirs.

A Caceres, j’ai visité une ville qui se croyait encore au XVI° siècle et où les bûchers de l’Inquisition semblaient à peine éteints, tandis que Merida, elle, s’était construite autour de son théâtre de la Rome antique, qu’elle encerclait jalousement. Plus bas, j’ai vu des prairies immenses qui ressemblaient à des forêts, tellement il y avait des arbres dispersés partout. Des troupeaux de taureaux y couraient en liberté, tout en vous observant d’un oeil noir et méfiant. Dans un village du Sud, j’ai pu observer le flamenco authentique, dansé par des filles à la beauté farouche. Endiablées, sensuelles et comme en extase, elles jouaient avec leur corps comme les musiciens avec leurs guitares, tandis que les hommes frappaient en cadence dans leurs mains, plongeant tous les protagonistes au bord de la folie, dans un délire quasi chamanique.

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Un petit matin, au Nord de Sevilla, j’ai traversé des collines d’orangers et d’oliviers qui s’étendaient à l’infini. Ce fut l’aube la plus magnifique qu’il m’ait été donné de voir. La ville elle-même, capitale de l’Andalousie, se trouve dans une cuvette et ne bénéficie d’aucun souffle de vent. La visiter en pleine canicule, avec 44 degrés à vingt-deux heures, le soir, fut une épreuve physique sans précédent. Mes efforts, cependant, furent récompensés car c’est là qu’eut lieu ma première rencontre avec la civilisation arabe d’El Andalus et ce fut un choc dont je ne me suis jamais remis. Le raffinement, la beauté et la grâce de ces monuments sont restés à jamais gravés dans ma mémoire, comme tous ces patios des maisons particulières, avec leur végétation et leur petite fontaine, où l’ombre de Garcia Lorca semblait encore errer. Ensuite, j’ai visité Cordoba et sa mosquée, cette forêt de piliers de marbre que l’hégémonie catholique a tenté de transformer en cathédrale sans y parvenir le moins du monde. Puis ce fut Granada et son Alhambra, ce palais enchanteur des mille et une nuits, avec ses dépendances, les jardins du généralife. Dans une des salles du palais, il me sembla entendre encore les cris des Abencérages exterminés par Boabdil avant que celui-ci ne doive finalement remettre les clefs de sa cité à Isabelle, la grande reine de toutes les Espagnes.



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J’ai vu les cimes enneigées de la Sierra Nevada, puis Jaen, Lorca et le désert de pierres où il ne pleut jamais. Après avoir dormi dans des bouges infâmes à Murcia et avoir failli perdre la vie dans une agression à Cartagena, je me suis retrouvé à Almeria à contempler la mer.


Il était impossible d’aller plus loin. Pour la première fois je m’arrêtais et je me demandais ce que j’étais venu chercher. La réponse n’était pas évidente. J’avais traversé la moitié de l’Europe pour me retrouver face à moi-même. C’est alors que j’ai compris que je fuyais, que je « me » fuyais et qu’à la fin du voyage c’était encore mon ombre que je voyais devant moi, projetée par la lumière du même soleil. Il n’y avait pas d’issues. J’aurais beau franchir la nouvelle mer qui s’étendait devant moi, visiter des mosquées, traverser des déserts, parler aux Touaregs, remonter le fleuve Congo ou contempler le Kilimandjaro, il ne se passerait jamais rien. Ce qu’il y avait à découvrir était en moi et rien qu’en moi. Là était le véritable voyage.

Pourtant un matin, dans un sursaut de révolte, j’ai repris le chemin, à pied cette fois, et je suis allé jusqu’à l’extrême pointe des terres, au Cabo de Gata. Là, on pouvait dire qu’il n’y avait vraiment plus rien. Ce pays n’était plus qu’un nuage de poussière et on ravitaillait en eau avec un camion citerne les trois maisons qui résistaient là comme elles pouvaient au soleil brûlant. La mer était partout. La mer, le sable et le ciel bleu. Le vent aussi et la chaleur. Rien d’autre. Je me suis avancé sur la plage et c’est là que je l’ai vue. Elle était appuyée au tronc d’un eucalyptus. Elle avait le teint mat des filles de l’extrême Sud, des cheveux d’ébène et deux grands yeux noirs, légèrement en amandes. Elle me fixait sans rien dire. Puis elle s’est appuyée davantage encore contre le tronc de l’arbre et là je l’ai reconnue à sa tristesse. C’était la fille de mon rêve, celle que j’avais fuie ou que j’avais désespérément cherchée, je ne savais plus. Elle a souri et cela a été le commencement du monde.

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00:18 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

Commentaires

I qué bello viage en Espana! Los perfumes, los colores.....
Bien sûr ce passage me parle et chamboule ma mémoire ....
Le monde commence souvent par un regard .... Tout recommence par les yeux de l'autre, l'homme, la femme, et la magie entre deux .....

Écrit par : Débla | 12/02/2009

Rien à ajouter au commentaire de Debla qui dit tout !

Écrit par : Rosa | 17/02/2009

Les commentaires sont fermés.