18/12/2008
La statue inachevée
J’ai sculpté mes rêves avec le marteau du poète
Je leur ai donné une forme impossible et les ai habillés d’illusions.
Au départ, ce n’était qu’une masse de pierre indistincte, composée de tous mes souvenirs, mais petit à petit une silhouette est apparue.
J’ai tapoté, buriné, poli, lissé cette belle pierre.
J’ai creusé là où il fallait creuser, j’ai ciselé là où il fallait ciseler.
Mes pauvres doigts étaient meurtris de tout ce travail, mais j’ai continué quand même.
A la fin, comme je l’ai dit, une image est apparue dans les dessins de la pierre
On aurait dit un visage, mais sans yeux, sans regard.
J’ai poursuivi cette chimère et j’ai repris mon travail, ciselant de plus belle et polissant à qui mieux mieux.
Les jours ont passé, puis les semaines. J’avais beau m’acharner, je ne parvenais pas à faire jaillir le moindre trait sur ce visage.
Dans la rue, je regardais les femmes que je croisais, dans l’espoir de voir une ressemblance avec ma sculpture, mais non, aucune ne semblait correspondre à cette statue endormie dans mon atelier.
Après quelques années, pourtant, le corps enfin apparut, éclatant de splendeur dans le beau marbre blanc. Les jambes fines, les hanches larges, la poitrine provocante, les doigts délicats, tout était parfait. Les yeux, pourtant, continuaient à rester inexpressifs. On aurait dit que la belle endormie restait plongée dans ses pensées, sans jamais rien en exprimer.
Je demeurais là à la contempler pendant des heures, me demandant dans quel rêve elle s’était perdue, dans quelle contrée elle s’était égarée.
J’ai encore essayé, encore et encore, mais il n’y avait rien à faire, les yeux de cette déesse de pierre restaient comme clos, inexpressifs.
Par la suite, j’ai réalisé d’autres sculptures, des dizaines et des dizaines. Beaucoup obtinrent des prix, quelques-unes furent même exposées à Paris et à New York. Moi-même, je fus nommé à l’Académie. Je suis donc devenu quelqu’un de réputé et de célèbre.
Pourtant, chaque fois que je passe dans mon vieil atelier et que je vois les formes de la statue poindre sous le drap dont je l’ai recouverte, je sais que tout mon succès repose sur un mensonge. Cette statue-là, je ne suis pas parvenu à la terminer et je sais que je n’y parviendrai jamais. J’en conserve une sorte de honte, une conscience très nette de mon incapacité en tant qu’artiste. La belle inconnue restera un rêve de poète, soit parce que je suis incapable de lui donner vie, soit tout simplement parce qu’elle n’existe pas.
"Feuilly"
19:03 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (34) | Tags : littérature
Commentaires
C'est peut-être le regard des autres qui lui donneront la vie.
Écrit par : Rosa | 18/12/2008
Quel texte magnifique. Merci au poète.
Écrit par : michèle pambrun | 18/12/2008
Le regard des autres? J'ai failli, en effet, faire en sorte qu'un élève du maître sculpteur parvienne, lui, à donner un regard à la statue. Mais cela aurait été modifier le sens car dans ce cas seule l'incapacité du "maître" aurait été en cause. Ici, c'est de l'incapacité de l'art à dire l'indicible dont il est question. Et même, plus grave encore: l'illusion qu'il y a à courir après un rêve qui n'existe pas.
On retombe donc sur la problématique relevée dans l'extrait du discours de Le Clézio. Observer le monde de l'extérieur et chercher un "ailleurs".
Écrit par : Feuilly | 18/12/2008
@ Michèle: poète? C'est beaucoup d'honneurs et sans doute un peu exagéré... Vous commencez à parler comme notre ami Jalel!
Écrit par : Feuilly | 18/12/2008
Pour la problématique évoquée, on sait que L'Iliade et L'Odyssée sont filles de l'absence et de la nuit. L'aède est étranger à ce qu'il nomme. Doublement. Parce que ce qu'il évoque s'est produit deux ou trois siècles plus tôt, à des lieues d'Ios ou de Chios où il versifie. Et parce qu'il ne sait rien du tourment des combats.
Et la statue aux yeux inexpressifs alors ? Je risquerai une hypothèse. La chance d'Homère, ce fut sa cécité. Et la légende indique le prix exorbitant pour accéder au registre de la grande narration : les yeux de la tête.
Ecrire coûte les yeux de la tête.
Écrit par : michèle pambrun | 18/12/2008
"ce qu'il évoque s'est produit deux ou trois siècles plus tôt" comme la Chanson de Roland, d'ailleurs. Il faut une distance dans le temps ou dans l'espace pour pouvoir glorifier tous ces exploits, pour pouvoir les imaginer tels qu'ils n'ont jamais été en fait.
On ne sait pas bien si Homère fut aveugle. On ne sait pas bien non plus s'il a vraiment existé. Ou s'il a existé, il n'a peut-être fait que rassembler la tradition orale (mais dans quel beau style!)
Mais le thème de la cécité interpelle. Le devin Tirésias, qui prédit l'avenir, est lui aussi aveugle. Il faut être myope devant le présent pour savoir tirer profit des événements du passé et par-là parvenir à en déduire l'avenir.
C'est toujours notre thème, finalement: l'écrivain est toujours un peu en dehors du monde.
Mais ici c'est la statue qui n'a pas de regard, donc pas d'âme, pas de vie. Elle n'existe que par son corps, mais psychiquement, elle est absente.
Écrit par : Feuilly | 18/12/2008
Je trouve que vous parvenez fort bien à dire l'indicible donc le maître qui n'a pas terminé son oeuvre d'art ne peut être vous.
Comme Michèle, je trouve que la cécité peut favoriser ce voyage à l'intérieur de soi. L'écrivain en-dehors du monde ? Par sa manière de vivre sans doute mais pas par le regard. Il faut au contraire qu'il soit attentif au monde.
Écrit par : Rosa | 19/12/2008
En-dehors du monde, non pas par le regard, qui est primordial, mais par l'absence d'action concrète. Sauf, comme on l'a dit, que certains écrits se transforment à leur tour en machines de combat de par les idées qu'ils véhiculent. C'est tout la problématique de la littérature engagée. Mais même quand elle ne délivre pas de message politique une oeuvre peut être dérangeante et donc salutaire. Là est son action.
Écrit par : Feuilly | 19/12/2008
L'écriture pour moi est l'éveil du regard....
Un regard qui s'ouvre sur les autres ... Mon regard s'éclaire alors, ily a plein de vie dans mon regard puisqu'il me donne des reflets de l'autre, des reflets de ses émotions, de ses ressentis, de ses joies ou des ses souffrances . C'est tout cela et bien plus encore que l'écriture nous permet ... Je ne pense que l'écriture puisse faire passer du vide, de l'inexpressif....
L'écriture m'ouvre les yeux sur moi même parfois, puisque ce que je ne peux pas dire , je le traduit dans mes lignes en faisant glisser ma plume sur du papier ( ou par le clavier) .... Enlevez le drap qui recouvre votre statue, je suis bien persuadée que vous verrez s'allumer la vie dans son regard , ce ne sera peut être qu'une petite étincelle , il faut souffler dessus .......
Écrit par : Débla | 19/12/2008
C'est étrange...
Peut-être l'"échec" du sculpteur à rendre vivant le visage de la sculpture, n'est-il pas un échec, mais le passage obligé pour aller plus loin...
Il y a de ces textes avortés, cachés au fond de tiroirs oubliés, qui sont à la base d'autres textes donnés au grand jour...
Qu'en pensez-vous?
Écrit par : Coumarine | 19/12/2008
Plutôt que de partir sur la cécité et le regard en soi qu'elle provoque (vaste sujet très intéressant), je retiendrai l'idée de la création et l'inachevé.
Cette œuvre non terminée n'est-elle "qu'un rêve de poète" ou plutôt une source jaillissante ?
L'artiste aurait-il eu envie de créer encore et toujours d'autres statues si la première avait atteint la perfection ?
L'inachevé n'est-il pas la porte ouverte à la création...?
Écrit par : Cigale | 19/12/2008
Je suis sensible, douloureusement, à cette conscience meurtrie de ce que l'on n'arrive pas à saisir, quoi que l'on achève et atteigne par ailleurs. Non comme un horizon chimérique et sur lequel on se tromperait soi-même, pas même un point de fuite, mais vraiment comme une blessure personnelle, intangible et indicible. Une cristallisation qui tantôt saignerait tantôt serait dure comme un diamant. Primordiale de bout en bout.
Écrit par : ellisa | 19/12/2008
@Rosa:
Dire l'indicible? C'est ce que nous tentons tous, mais ce n'est pas facile.
Le regard de l'écrivain? Pour bien observer, je continue à dire qu'il faut rester en-dehors.
Tout le monde n'est pas d'accord. Voici ce que Bertrand Redonnet m'envoie comme commentaire, dans un style à la Brassens:
"La dialectique du monde et l'engagement pour et contre ne se résument pas à fonder son entreprise ou à prendre les armes, Jean-François..
L'écrivain dit comme ça, en soi, ça ne veut rien dire. François Bon et Sullitzer, par exemple, ne font pas le même métier.
Parler de cécité du poète créateur, c'est de la branlette, là, oui, bien d'accord. De l'onanisme de désoeuvré intellectuellement. La littérature engagée, ça ne veut rien dire non plus..
Toute littérature et toute poésie dignes de ce nom sont des engagements subversifs, en ce qu'elles donnent à l'esprit humain et au sens de la vie, au sens tangible, une certaine valeur du monde qui n'est ni la laideur, ni le mensonge et ni la coercitiion quotidienne, aliénante, du système. "
Écrit par : Feuilly | 19/12/2008
@ Débla:
L'écriture pour vous est l'éveil du regard....
Oui, parce qu'elle force à observer le monde et qu'en plus elle clarifie les pensées du fait qu'il faut parvenir à les exposer. Ecrire force donc à réfléchir et nous aide à voir clair dans nos propres pensées.
Enlever le drap qui recouvre ma statue?
L'étincelle du regard existe, mais l'artiste a du mal à l'exprimer. Parfois il doute de l'existence même de cette étincelle, mais la vie souvent est là pour lui rappeler qu'elle existe vraiment.
Écrit par : Feuilly | 19/12/2008
@ Coumarine:
Un échec provisoire, "un passage obligé pour aller plus loin..."
Oui, mais un échec quand même. On peut eséprer que d'autres artistes y arriveront, mais lui n'y arrive pas.
Vous faites allusion aux manuscrits qui remplissent plus ou moins nos tiroirs, pour pas mal d'entre nous. C'est vrai aussi. Ecrire est un long apprentissage.
Ne nous décourageons donc pas, nous parviendrons peut-être un jour à sculpter ce regard. Au moins nous aurons essayé.
Écrit par : Feuilly | 19/12/2008
@ Cigale:
Cette "cécité" exprime quand même bien le côté inadapté de l'écrivain (voir l'Albatros de Baudelaire). Par contre il voit autrement: "et j'ai vu ce que l'homme a cru voir" disait Rimbaud.
La création et l'inachevé. Oui, c'est parce qu'il n'arrive pas à exprimer l'essentiel (ici la femme idéale sans doute) qu'il continue à sculpter. Mais cela veut dire aussi que toutes ses autres oeuvres restent imparfaites, qu'elles expriment certes une certaine vérité (des vérités secondaires) mais pas LA vérité.
Mais toute démarche artistique est recherche et donc reste inévitablement dans l'inachevé.
Écrit par : Feuilly | 19/12/2008
@ Ellisa
Je perçois votre douleur face à "ce que l'on n'arrive pas à saisir".
Vous parlez comme Jaccottet!
Mais ce qui est vécu comme une blessure personnelle peut parfois trouver à s'exprimer, vous ne croyez pas? Le dire ou l'écrire (cette impossibiité à atteindre l'essentiel) n'est-ce pas déjà un soulagement si des personnes vous écoutent ou vous lisent?
Écrit par : Feuilly | 19/12/2008
"L'étude du beau est un duel où l'artiste crie de frayeur avant d'avoir été vaincu." (Baudelaire, le confiteor de l'artiste).
Ton histoire, c'est Pygmalion avant Galatée...
Écrit par : Pivoine | 19/12/2008
Exactement. Mais il fallait bien innover un peu, alors j’ai laissé parler ma tendance pessimiste et lucide.
Écrit par : Feuilly | 19/12/2008
Merci d'avoir publié le courriel de Bertrand Redonnet...
Je partage à 100%.
Écrit par : Rosa | 20/12/2008
Alors, il faut (ou tu peux) raconter la métamorphose aussi... Si tu en as envie bien sûr, Ovide étant déjà passé par là (c'est bien Ovide, au fait ???)
Écrit par : Pivoine | 20/12/2008
Oui, c'est bien Ovide. Douze mille vers en hexamètres dactyliques.
"Inspiré par mon génie, je vais chanter les êtres et les corps qui ont été revêtus de formes nouvelles, et qui ont subi des changements divers. Dieux, auteurs de ces métamorphoses, favorisez mes chants lorsqu'ils retraceront sans interruption la suite de tant de merveilles depuis les premiers âges du monde jusqu'à nos jours."
Ovide
"
Écrit par : Feuilly | 20/12/2008
Bertrand Redonnet a raison dans ce qu'il dit, mais il ne comprend pas ce que moi je veux dire.
Bien sûr qu'écrire c'est agir (sur la société) mais au départ, avant que le livre ne soit diffusé, cela suppose un recul. Je peux soit observer et méditer sur ce que je vois (puis écrire), soit agir. Soit je déplore par écrit ma condition sociale, par exemple, soit je travaille pour l’améliorer (et je n’ai plus le temps pour réfléchir et pour contester).
Et puis si l’écrivain conteste souvent les structures en place, c’est justement parce qu’il rêve à un monde meilleur, un peu imaginaire, un peu utopiste et qu’il a ce monde là dans sa tête. C’est le rêve et l’imaginaire qui font avancer. Celui de Colomb, par exemple, ce fou, qui croyait découvrir l’Inde par l’Ouest.
Écrit par : Feuilly | 20/12/2008
Que la littérature (= la poésie) soit "un engagement subversif en ce qu'elle donne les vraies valeurs d'un monde, qui ne soit ni la laideur, ni le mensonge, ni l'aliénation" oui mille fois oui Bertrand.
La cécité du créateur, une branlette ? La cécité dont il est question ici, c'est le mythe permettant de dire qu'écrire "coûte les yeux de la tête". Au sens littéral. Pas question ici d'aveuglement ou de seule vue intérieure.
Ce qui coûte les yeux de la tête, c'est d'abord que si l'écrivain veut survivre, faire croûter sa famille, payer des études à ses enfants, il lui faut s'il n'a pas un autre gagne-pain, courir les routes et le monde pour faire rentrer de l'argent dans la bourse familiale.
S'il a un autre métier, prendre sur ses nuits, sur sa vie, pour écrire (cf Carnet de notes I et II de Bergounioux), ce que fait aussi celui qui court le cacheton sur les routes.
ça c'est le premier coût, exorbitant, je l'ai dit "les yeux de la tête".
L'autre coût aussi "les yeux de la tête", exorbitant, c'est celui dont vous parlez Bertrand : le refus de se ranger à la loi du monde. Le refus de la dépossession de soi, de la dépossession de la réflexion, de la dépossession de la connaissance réfléchie de ce qui arrive.
Ce refus, cette résistance de chaque jour, c'est l'écriture qui va les chercher et à quel prix, vous le savez mieux que moi, mais je ne dis pas autre chose.
Et pour finir sur une citation d'un des premiers livres de François Bon "Temps machine" page 104:
" Les morts emmèneront avec eux ceux qui se contentaient d'aller au cinéma, lire leurs magazines, auront passé en abandonnant la révolte aux mains noires qui n'en avaient plus la force et vivez donc, en attendant. "
Écrit par : michèle pambrun | 20/12/2008
Une esquisse sur une feuille blanche et nous voila embarqués sur une multitude de formes achevées. La création et une forme interrompue, inachevée, toujours dynamique, infinie et échappant à l’autorité du créateur. Les yeux de la statue inachevée sont peut-être les yeux de ma mère, de la femme qui m’a troublé ce matin, de la Lorelei ou de Chimène... Il suffit de voir pour saisir son regard triste ou joyeux, selon...
Écrit par : halagu | 20/12/2008
@ Michèle: originale, votre conception de la cécité comme étant ce qui " coûte les yeux de la tête"
@ Halagu:la création comme forme dynamique qui échappe à l'auteur. C'est en partie vrai, en effet, celui-ci doit suivre les volontés de son personnage. Mais il est là quand même et bien là. Ce que dit son personnage, ce qu'il fait dire à l'auteur, c'est justement ce que celui-ci savait déjà sans le savoir.
Quant au regard inachevé de la statue, je constate que son imperfection même fait parler tout le monde et que les commentairtes sont nombreux. Sans doute parce que chacun peut y projeter ce qu'il veut. L'imperfection, le non-fini, serait donc une des qualités de l'art?
Écrit par : Feuilly | 20/12/2008
Dans la prolongation de ce qui s'est dit ici, un nouvel extrait du discours de Le Clézio (en précisant pour Bertrand qu'on s'en moque complètement qu'il soit Nobel ou pas. Ce qui compte, c'est son expérience d'écrivain) :
"Agir, c’est ce que l’écrivain voudrait par-dessus tout. Agir, plutôt que témoigner. Ecrire, imaginer, rêver, pour que ses mots, ses inventions et ses rêves interviennent dans la réalité, changent les esprits et les cœurs, ouvrent un monde meilleur. Et cependant, à cet instant même, une voix lui souffle que cela ne se pourra pas, que les mots sont des mots que le vent de la société emporte, que les rêves ne sont que des chimères. De quel droit se vouloir meilleur ? Est-ce vraiment à l’écrivain de chercher des issues ? N’est-il pas dans la position du garde champêtre dans la pièce du Knock ou Le Triomphe de la médecine, qui voudrait empêcher un tremblement de terre ? Comment l’écrivain pourrait-il agir, alors qu’il ne sait que se souvenir ?"
Écrit par : Feuilly | 20/12/2008
Cette belle histoire me rappelle celle du Chef-d'oeuvre inconnu de Balzac, et la fin d'une amitié. J'avais à Paris un jeune ami qui, d'un jour à l'autre, avait plaqué son job d'ingénieur pour entrer aux Beaux-Arts. Ce garçon avait un réel talent mais voulait toucher illico à la Perfection, sans passer par les degrés de l'apprentissage, de la difficulté, des ratages, du manque et de la soif, de la joie de faire aussi. Nos visites de musées et d'expos étaient une fête, tant il comprenait la peinture. Mais expliquer et s'impliquer ne revient pas au même, et vouloir l'absolu sans l'avoir conquis est une façon de tricher. L'intransigeance théorique, ou la fuite dans la facilité, trahissent le même manque d'humilité et d'amour, me semble-t-il. Un jour, retrouvant mon ami dans sa mansarde de Montparnasse, en lieu et place de son chevalet et de ses belles esquisses, trônait un énorme ordinateur. Faute d'être Rembrandt, même demain, on ferait de l'animation numérique - ce que je ne méprise aucunement au demeurant. Mais je sentais, j'ai constaté le dépit et la mauvaise foi dans sa façon de se justifier de n'aller pas au bout de sa passion; et ce fut, entre nous, la fin d'une grande affection presque filiale et d'un partage. Après nous être quittés un peu tristes, jamais il ne répondit à mes lettres ni aux livres que je lui offris. J'aurais tant aimé qu'il finisse, lui aussi sa première "statue". Mais qui sait, peut-être est-il devenu aujourd'hui sculpteur d'objet virtuels à succès ?
Écrit par : JLK | 25/12/2008
Aller ou ne pas aller au bout de sa passion, vous mettez le doigt sur l'essentiel.
Il n'empêche que certains, de par leur milieu familial ou leurs relations, ont rapidement la possibilité de publier ou d'exposer. Couverts d'honneurs, ce ne sont pas forcément les meilleurs.
D'autres valent mieux qu'eux, mais les difficultés ambiantes sont telles qu'ils abandonnent en cours de route. C'est dommage pour eux et pour nous.
Restent quelques irréductibles qui s'acharnent et qui parviennent au bout de leur rêve d'absolu, après en avoir bien bavé et après de multiples essais et erreurs. Ce sont évidemment les meilleurs.
Dommage pour votre ami et pour l’amitié perdue. Pour qu’il n’accepte pas vos livres, c’est qu’il devait en avoir gros sur le cœur d’avoir changé de cap en cours de route.
Écrit par : Feuilly | 25/12/2008
A JLK: si j'ai bien compris, c'était un sculpteur? La sculpture exige un matériel très puissant (compresseurs) et une force physique peu commune. Il en est et j'en ai connu au moins trois, des dessinateurs, peintre, sculpteur doués qui abandonnaient dans la cinquantaine. D'autres commencent à cet âge-là ... Mais il est toujours très difficile de renoncer à quelque chose en effet, même si c'est pour aller vers autre chose.
Écrit par : Pivoine | 25/12/2008
Il est question de "chevalet, d'esquisses, de comprendre la peinture, de Rembrandt..."
Je n'ai pas le sentiment qu'il s'agisse d'un sculpteur.
C'est la statue, même inachevée, qui vous influence, Pivoine. :-)
Par contre le Chef-d'oeuvre inconnu de Balzac, vais rechercher.
Écrit par : michèle pambrun | 26/12/2008
Comme Le Portrait de Dorian Gray, Le chef-d'oeuvre inconnu est une de ces nouvelles qui sont à la fois symboliques et plus, philosophiques mais bien a-delà du concept figé, parce que resaisissant aussi la douleur et la misère de l'impuissance créatrice de celui qui aurait voulu TOUT dire ou cristalliser la Beauté pure. Mais je ne vous en dis pas plus, Michèle: faut faire marcher les librairies.
Et pour Pivoine: mon ami se rêvait bien peintre à chevalet, ce qui ne se fait plus (à l'Ecole où je suis allé visiter son atelier, il m'a semblé traverser un champ de ruines après le bombardements, où seule la vidéo semblait encore trembloter de survie), mais peintre ou sculpteur ou prosateur ou musicien c pareil au même, n'est-il pas ?
Et Feuilly, voudriez-vous me communiquer votre adresse perso, j'ai un projet de casse...
Écrit par : JLK | 26/12/2008
7, rue des Grands-Augustins. C'est là que Balzac rédigea Le Chef-d’œuvre inconnu et c'est aussi l'adresse de l'atelier où Picasso peignit Guernica...
Écrit par : Angèle | 28/12/2008
Curieux ces lieux qui relient des artistes à travers les siècles. Au même endroit, toujours cette même recherche, qu'elle soit scripturale ou picturale.
Écrit par : Feuilly | 28/12/2008
Les commentaires sont fermés.