Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/12/2008

Réflexion sur la littérature

"Mais les livres qui m’ont le plus marqué, ce sont les collections de récits de voyage, pour la plupart consacrés à l’Inde, à l’Afrique et aux îles Masacareignes, ainsi que les grands textes d’exploration, de Dumont d’Urville ou de l’Abbé Rochon, de Bougainville, de Cook, et bien sûr le Livre des Merveilles de Marco Polo. Dans la vie médiocre d’une petite bourgade de province endormie au soleil, après les années de liberté en Afrique, ces livres m’ont donné le goût de l’aventure, ils m’ont permis de pressentir la grandeur du monde réel, de l’explorer par l’instinct et par les sens plutôt que par les connaissances. D’une certaine façon ils m’ont permis de ressentir très tôt la nature contradictoire de la vie d’enfant, qui garde un refuge où il peut oublier la violence et la compétition, et prendre son plaisir à regarder la vie extérieure par le carré de sa fenêtre."

M.G. Le Clézio
: Dans la forêt des paradoxes. Extrait du discours prononcé le 7 décembre 2008 lors de la remise du prix Nobel.

On retrouve ici le thème du voyage, de l’ailleurs, si important chez les écrivains, sans qu’on sache si ceux-ci se sont mis à écrire pour atteindre des pays sans doute imaginaires ou au contraire si, comme Le Clézio, ils se sont mis à voyager pour pouvoir visiter les contrées qu’ils avaient d’abord imaginées. Un peu les deux sans doute, car dans tous les cas cet «ailleurs» appartient au merveilleux et donne à la vie tout son sens. Dans l’extrait ci-dessus, on opposera cet «ailleurs» enchanté et prometteur à «la vie médiocre d’une petite bourgade de province endormie au soleil.»

Notons aussi l’importance d’être en dehors de la vie, ce désir d’en oublier «la violence et la compétition» pour mieux pouvoir la regarder par «le carré de sa fenêtre.» L’écrivain est donc en- dehors de l’arène et, de son observatoire, il contemple le monde ou, si vous préférez, il est au-dedans de lui et il observe ce monde qui pour lui représente l’altérité. Ce qui est important, c’est donc cette notion de regard porté sur les hommes et les choses, cette distance critique dans laquelle s’engouffre toute la sensibilité de l’écrivain.


plume_d_oie_2.jpg

11:15 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature

Commentaires

L'écrivain spectateur comme Fabrice à Waterloo ?

Écrit par : Rosa | 17/12/2008

Si on veut. L'écrivain observe, rend compte de ce qu'il voit, mais pas à la manière d'un journaliste. Il transforme la réalité en fonction de sa subjectivité et en offre une nouvelle lecture, à travers la grille de ses valeurs.

Écrit par : Feuilly | 17/12/2008

Littérature et poésie bien sûr

Écrit par : Une Ville Un Poème | 18/12/2008

Oui et poésie, bien entendu, cette dernière me semblant être comme l'essence même de la littérature.

Écrit par : Feuilly | 18/12/2008

"L'écrivain spectateur comme Fabrice à Waterloo ?"
écrit Rosa.

J'aime relire ce qu'en dit Pierre Bergounioux dans "Jusqu'à Faulkner" (L'un l'autre, Gallimard).

C'est un jeune sous-lieutenant de hussards du nom de Beyle qui est descendu des Alpes vers Milan avec l'armée de Bonaparte, qui participera plus tard aux guerres de l'Empire, verra Moscou en flammes, les Cosaques de Tolstoï à Paris, connaîtra l'ennui à Trieste et Civitavecchia et, toujours, éprouvera les affres de l'amour pour des dames qui ne le paient guère de retour.

C'est sous le pseudonyme de Stendhal qu'il fait paraître La Chartreuse de Parme et vers la page 40 de ce livre qui en compte cinq cents, qu'il pousse le héros, âgé de dix-sept ans à peine, dans ce qui s'annonce comme une bataille décisive.

Il est alors bien tard dans sa vie. Il a déjà fait une attaque. Il lui reste peu d'années à vivre et, s'il n'en connaît pas le chiffre - trois, il est conscient d'avoir beaucoup vu le soleil.

Il se remémore ses années d'apprentissage, détaille des extravagances qu'il impute à Henri Brulard et donnerait tout pour recommencer.
Il recommence.
Marchant de long en large dans le bureau déserté, assombri, encombré de cartons pleins de litiges et de décrets, de tarifs rectifiés des droits à l'importation, de bordereaux, il parle. Un jeune attaché, près du bougeoir, note sous la dictée. Le col dégrafé, le teint coloré par l'émotion, l'apoplexie qui menace désormais continuellement, les mains dans le dos, Stendhal arpente la grande pièce que la nuit douce, humide de l'Adriatique investit.

L'auteur a-t-il deviné dans la pénombre ce qu'Homère qui était aveugle n'a pas vu, ni personne depuis : que le personnage ne saurait rien comprendre à ce qui lui arrive et que tout récit repose sur une subrogation inconsciente au terme de laquelle un tiers, un infirme, un quinquagénaire substitue sa vision aux impressions du tout jeune héros et que ce n'est pas du tout la même chose ?

Dans ce passage du plus achevé des romans du XIXe siècle, le plus fin des romanciers énonce littéralement ce à quoi nul n'a pris garde jusqu'ici et dont les conséquences sont incalculables.

Le monde qui se reflète dans le miroir du roman n'est pas ce qu'il fut quand c'était vraiment lui, au moment réel, mais l'image assagie, remaniée, intelligible, littéraire qu'il devient lorsqu'on le considère avec le recul de trente années, dans un bureau silencieux, morne, aux heures prosaïques de la monarchie de Juillet.

L'espace d'une page ou deux, Stendhal a marché sur la vertigineuse arête où se joignent et s'aheurtent les versants de notre être. Mais bientôt effrayé de la liberté qu'il a laissée au personnage, du désordre qui va envahir le récit, il en reprendra la conduite d'une main habile.

Après s'être rapproché comme jamais de sa source enfouie, de l'incohérence et de la confusion, le récit bat en retraite. Il s'écarte de la chose informe, assourdissante, encore sans nom - "est-ce une vraie bataille ?" - en quoi consistent la réalité, le monde, d'abord, et qui menace les structures narratives de dislocation.

Écrit par : michèle pambrun | 19/12/2008

Réflexion intéressante, en effet. On a toujours su que les personnages n'agissent pas par eux-mêmes (encore que: celui qui écrit a souvent l'impression de se laisser emporter par ses propres personnages) et qu'ils ne sont que des personnages de papier, soumis à la volonté de l'auteur.

On savait aussi que la littérature impliquait une distance par rapport à la réalité.

Mais ici, on montre que cette disatnce peut se situer entre le narrateur-écrivain et son propre personnage.

Ceci dit, concernant Stendhal, il ne faut pas oublier son engouement pour l'époque napoléonienne, qui offrait des opportunités remarquables à des jeunes gens comme lui qui avaient fui Grenoble et leur père et qui souhaitaient se hisser dans la société par la seule force du poignet.

Hélas, Stendhal arrivera un peu tard et il connut surtout les défaites puis les postes diplomatiques sans envergure. D'où, peut-être, la non-participation de Fabrice à la bataille. Les événements le dépassent et il n'y comprend rien.

Merci, Michèle, pour ce tetxe de Bergounioux.

Écrit par : Feuilly | 19/12/2008

Je précise, par respect pour le texte de Bergounioux, que j'ai prélevé des extraits et bâti un cheminement le plus direct possible. Le texte original chemine tout autrement. Chacun connaît l'ampleur de l'écriture de Bergounioux.

Écrit par : michèle pambrun | 19/12/2008

Les commentaires sont fermés.