01/12/2008
Les rêves d'Amérique
Qui étaient ces hommes qui découvrirent l’Amérique ? Des aventuriers, des chercheurs d’or ? Probablement. Des géographes aussi, passionnés par leur science. Des missionnaires, pressés d’aller évangéliser ces contrées. Et dans tout cela, il me plait d’imaginer quelque poète perdu, quelque fou qui croyait donner un sens à sa vie en s’embarquant vers l’inconnu.
Ainsi donc ils partirent, les fiers aventuriers.
Ils lancèrent leur nef fragile sur la mer océane, voulant quitter ce monde pour en découvrir un autre, bien meilleur.
Là-bas, on disait qu’il y avait des îles incroyables, où poussaient tout seuls des fruits savoureux. Les animaux y étaient fantastiques et étrangement doux. Des espèces de lions venaient, paraît-il, vous lécher les mains tout en vous regardant de leurs grands yeux bleus.
Là-bas, on disait aussi qu’il y avait une grande terre, un continent, peut-être, avec des fleuves aussi larges que la mer. D’étranges poissons y nageaient, avec des corps de femmes et une queue de poisson.
Plus loin, c’est la forêt, immense, impénétrable. Des serpents gigantesques l’habitent et la défendent. Ils nagent dans les mangroves et les marais putrides. Quiconque s’aventure en cette contrée est frappé de fièvres étranges et meurt dans d’atroces souffrances, en ayant oublié pourquoi il était venu.
Il faut rester sur la côte, le climat y est plus doux et les femmes fort lascives. Quant à ceux qui ne pourraient se satisfaire de ces délices, qu’ils remontent les fleuves jusqu’aux origines du monde. En amont, ils trouveront des sauvages qui dansent nus en psalmodiant des chansons insolites. Ce sont des poèmes incompréhensibles qui parlent des dieux et des hommes et puis aussi de l’amour et de la mort. Ils dansent toute la nuit en buvant des nectars inconnus et tombent dans des délires étranges dont ils sortent au matin complètement heureux.
On dit que la-bas l’argent n’existe pas et que tous les hommes sont égaux. Les fleurs y ont des parfums pénétrants et la chair des poissons est tendre et délicieuse quand on la déguste au petit matin. On vit et on mange sans horaire, parfois le jour, parfois la nuit, à la lumière blanche de la lune.
Là-bas, il y a des oiseaux qui parlent des langues inconnues et en plein midi le soleil est si fort qu’il faut se réfugier sous l’ombre salvatrice des grands arbres. On fait alors de longues siestes remplies de rêves doux. On croit voir des rivages devant la mer, des algues sur ces rivages et des filles qui se baignent au son des vagues. Ce sont des vagues immenses et déferlantes, qui se brisent sur des rochers aigus comme la mort. Souvent, les filles émergent de l’écume blanche en riant et en poussant des cris aigus. Leur peau brune appelle les caresses et on se croit au paradis, mais quand on les appelle, elles disparaissent ou se perdent dans le rêve dont elles sont issues. Il ne reste que le soleil implacable dans le ciel infini et la soif qui vous dévore, éternellement.
Là-bas, on dit qu’il est un monde étonnant qu’il faut aller découvrir un jour si on ne veut pas avoir vécu pour rien. C’est une terre vierge restée intacte depuis la création de l’univers, une terre où la vie semble avoir enfin un sens. C‘est un continent éloigné, perdu au bout de la mer et un espoir qui attend nos navires.
Encore faudrait-il se décider à embarquer. C’est qu’on dit tant de choses sur ce territoire qu’on finirait par se demander si ce n’est pas seulement un rêve.
"Feuilly"
00:39 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : poésie
Commentaires
Très beau rêve de poète en effet qui n'est plus tout à fait en accord avec la réalité depuis que l'Européen a mis le pied sur le continent.
Les poètes comme les philosophes (Montaigne) sont arrivés trop tard
...Mon fils aîné y a vécu et j'ai une belle-fille péruvienne.
Les femmes ne sont plus lascives et je ne pense pas qu'elles l'aient été. Elles bossent beaucoup.
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.
de Hérédia me paraît plus juste.
Écrit par : Rosa | 01/12/2008
Très belle strophe, Rosa...
Que je me récite souvent à moi-même, comme ça, pour le plaisir des mots et de la musique...
Et c'est double plaisir que de la retrouver ici.
Écrit par : B.redonnet | 01/12/2008
" Ils lancèrent leur nef fragile sur la mer océane..."
Très beau texte que ces Rêves d'Amérique qui nous disent les hommes dans leur désir fou de "remonter les fleuves jusqu'aux origines du monde".
"Les rêves d'Amérique" et leur pendant de "La nef des fous" qu'on relit avec émotion.
Écrit par : michèle pambrun | 01/12/2008
Quand on risque un commentaire, ce n'est pas qu'on se sente autorisé, en ces temps de marée basse de l'Histoire, à donner son avis sur tout.
C'est qu'il y a des poèmes dans lesquels on sent une quête au sens où l'entendait Pascal lorsqu'il disait que chercher à se connaître, si cela ne servait pas à trouver le vrai, cela servait au moins à régler sa vie et qu'il n'y a rien de plus juste.
C'est la justesse, la sincérité du dire, assez rare, que j'aime ici.
Écrit par : michèle pambrun | 03/12/2008
Si vous appréciez tant la sincérité du dire et que vous jugez qu'elle se fait rare, que ne lui donnez-vous pas l'occasion de se faire moins rare en créant vous-même un espace où nous pourrions vous lire ?
Écrit par : B.redonnet | 03/12/2008
@ Rosa: je ne prétends point être Hérédia.
@Michèle Pambrun: merci d'apprécier "la sincérité du dire". J'aime aussi cette belle phrase de Pascal...
@ Bertrand: Michèle veut se montrer discrète, peut-être..
Écrit par : Feuilly | 03/12/2008
Je vois, cher Feuilly, que nous sommes hantés par les mêmes rêves anciens. Rêves qui ont poussé les hommes à risquer leur vie hors de leurs frontières natales, et, plus tard, nourri l’écriture d'un Melville, d'un Edgar Poe ou d'un Bernardin de Saint-Pierre. Ces rêves continuent de peupler notre imaginaire et ils se gonflent et s’enflent en ces temps de restrictions et de disettes culturelles. Ils nous maintiennent, tête hors de l’eau, en apesanteur au-dessus du vide qui nous guette.
Je ne me souviens pas avoir jamais croisé la silhouette d’un poète sur les galiotes hauturières et les grandes caravelles. Mais bien plutôt celles, très attentives, des dessinateurs chargés de rendre compte, par des relevés exhaustifs, de la flore et de la faune des contrées visitées. Il m’arrive de passer des heures à feuilleter, planche après planche, ces ouvrages précieux qui nous viennent de ces savants-voyageurs. Un peu comme nous le faisions, enfants, des planches du Grand Larousse illustré, en trois volumes. Le rêve visuel s’enrichissait d’envolées olfactives !
Pour le reste, mieux vaut embarquer, les pieds au chaud, aux côtés de Gordon Pym ou de Capitaine Achab, et vivre avec eux leurs aventures à bord d’un baleinier. Devant un bon feu de bois et un plat croustillant de châtaignes rôties.
Écrit par : Angèle Paoli | 04/12/2008
@ Angèle:
Bien sûr qu'il n'y avait pas de poètes sur ces bateaux. Mais les terres inconnues ont toujours fait rêver car elle permettent d'imaginer un monde qui serait comme nous voudrions qu'il soit. N'est-ce pas ce que nous faisons tous, en lisant ou en écrivant: bâtir ou arpenter un monde différent, où nous pourrions enfin vivre en accord avec nous-mêmes ?
Ecrire ou voyager, finalement, quelle différence ?
Il est clair que l’Amérique a toujours fait rêver depuis sa découverte par Colomb. Les uns y voyaient de l’argent facile à gagner, les autres étaient plus sensibles aux terres vierges à découvrir. De nos jours, il me semble qu’une région comme l’Amazonie devient mythique, car elle symbolise la nature sauvage et encore intacte (pour combien de temps?). Rêve moderne qui restera un rêve, sans doute. Rêve de citadins entourés de béton.
Mais vous avez voyagé, vous aussi, même si ce voyage n’était qu’un retour aux sources. Et le cap corse qui vous a accueilli a certainement comblé quelque part un besoin qu était en vous, un désir d’absolu, de sauvagerie et de beauté.
Le rêve d’un ailleurs, toujours. D’un ailleurs où la vie aurait tout son sens.
Écrit par : Feuilly | 04/12/2008
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