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09/06/2008

Sans nouvelles d'elle (suite et fin)

J’ai patienté pendant un bon mois et puis subitement il m’a semblé que j’avais un urgent besoin de vacances. La valise bouclée en un quart d’heure, j’ai pris l’autoroute du Sud, en direction des Pyrénées. Le soir-même je me trouvais dans un petit hôtel de Collioure. Par la fenêtre ouverte, on entendait le bruit calme et régulier de la mer qui venait mourir sur la plage. Cette rumeur monotone était pour moi comme une présence amie qui m’enveloppait et qui ne me quittait pas. Je pensais aussi que Collioure avait été la patrie du fauvisme et je me demandais ce qu’Yseut aurait bien pu dire sur Matisse. Je suis sorti boire un verre et j’ai flâné dans les rues étroites de la cité. Chaque fois que j’entendais un pas de femme, je me retournais avec l’espoir que ce fût elle. Attitude idiote, évidemment. Comment l’aurais-je reconnue ? Je ne l’avais même jamais vue.

Le lendemain, j’ai repris la voiture et j’ai commencé à gravir les contreforts pyrénéens en suivant les indications du GPS. Puisqu’elle m’avait donné autrefois son adresse, il fallait s’en servir. Arrivé à l’entrée du village, je me suis arrêté un bon moment. Le paysage était magnifique et même époustouflant. Comme il devait être agréable de vivre ici ! Et dire que je n’avais même pas emporté mes pinceaux, c’était un crime. Je commençais à mieux comprendre ce qu’elle me disait et certaines de ses phrases, qui me revenaient en mémoire, prenaient tout leur sens, ici, au milieu de ces montagnes grandioses. C’était un monde minéral dans lequel l’homme se sentait superflu. Pour survivre, il lui fallait donc trouver de bonnes raisons. En même temps, la beauté qui se dégageait de ces pics, le trouble qui vous prenait en contemplant ces gouffres, vous donnait l’impression d’avoir enfin atteint le bout du monde. Après cela, il ne pouvait plus rien exister, cet endroit était le terme où toute vie devait s’achever.

Le temps passait et si je me plongeais ainsi dans des considérations philosophiques, c’était aussi parce que j’avais peur de reprendre mon véhicule et de parcourir le dernier kilomètre qui devait encore me séparer de ma destination. Allons, il fallait bien y aller. J’ai repris le volant et, effectivement, après avoir traversé le village et gravi une pente, je me suis retrouvé sur le sentier signalé dans la fameuse lettre. Une maison, deux maisons, une troisième un peu en retrait, puis plus rien. J’ai encore roulé un peu, au pas, mais me suis vite retrouvé dans un chemin de terre qui semblait se perdre dans la montagne. Je suis sorti de la voiture pour tenter de distinguer quelque chose, mais non, il n’y avait pas d’autres habitations que les trois maisons que j’avais aperçues tout à l’heure. Autour de moi s’étendait la chaîne pyrénéenne, grandiose, majestueuse, silencieuse aussi et pour ainsi dire inhumaine. J’étais là avec mon angoisse de ne pas retrouver Yseut (et ma peur aussi devant la possibilité de la retrouver, il faut bien l’avouer) et je me sentais tout petit et dérisoire devant ces montagnes qui occupaient l’espace jusqu’à l’horizon, m’écrasant de leur masse de pierre et restant complètement insensibles à ma peine. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi seul et aussi désemparé. Au-dessus de moi, seule trace de vie dans ce décor, un vautour tournoyait et, se laissant emporter par la seule force du vent, il parvenait à planer indéfiniment sans jamais donner un seul coup d’aile. C’était le dieu des cimes et il était ici chez lui, incroyablement majestueux. La vie, soudain, m’a semblé toute proche de la mort, comme si seule une mince paroi les séparait. Il suffisait, pour s’en convaincre, de contempler cet oiseau au vol superbe et de se rappeler, l’instant d’après, que ce n’était qu’un charognard. Troublé par cette pensée qui brisait mes certitudes, je remontai dans la voiture, fis demi-tour et me laissai descendre jusqu’aux maisons.

L’une portait le numéro 2, l’autre le 3 et la dernière, allez savoir pourquoi, le 7. Comme c’était le 4 que je cherchais et que son absence déclenchait en moi un immense découragement et même une sorte de peur, je suis aller frapper à l’une des portes. Une petite vieille m’ouvrit d’un air soupçonneux et réprobateur. Non, le n° 4 n’avait jamais existé. La commune était passée directement au 7 pour le cas où on construirait un jour sur le terrain disponible, mais ce n’était pas demain que cela arriverait. Le village se vidait, les jeunes partaient vivre en ville et à part quelques touristes qui passaient sur le chemin en été pour faire des randonnées, on ne voyait plus personne. Une nommée Yseut. Bien sûr que non qu’elle n’avait jamais entendu parlé d’elle. Avec un nom étrange comme cela elle ne l’aurait pas oubliée.

Je me suis retrouvé dans la voiture sans trop savoir comment. De grands coups sourds me résonnaient dans la tête et je n’arrivais plus à réfléchir. Je me suis arrêté sur la place du village et je suis entré dans le seul café existant. Il était vide, bien entendu. Quand le patron est entré, il m’a tout de suite dévisagé d’un air soupçonneux, mais alors quand j’ai commandé un cognac, vous n’imaginez pas la tête qu’il a faite ! Comme il restait là à son comptoir en train de m’épier (il avait peur que je lui vole sa bouteille ou quoi ?), je lui ai demandé s’il ne connaissait pas une certaine Yseut, qui se passionnait pour la peinture. D’un ton rauque, il a répondu que s’il y avait eu un peintre dans le patelin, tout le monde l’aurait su, mais que de toute façon ce n’était pas d’artistes qu’ils avaient besoin, les gens d’ici, mais d’un vrai peintre en bâtiment, pour rafraîchir un peu les façades. J’ai payé et sans un mot j’ai regagné la voiture.

La descente vers Collioure fut pénible. Il faisait chaud mais à l’horizon les montagnes étaient dissimulées par une brume blanche qui allait en s’épaississant. Manifestement, un orage se préparait et il promettait d’être violent. Je ne savais que penser. M’avait-elle menti en inventant une fausse adresse ? Savait-elle pertinemment que le numéro quatre n’existait pas ou bien avait-elle inventé un nom de rue au hasard, après avoir pointé un village sur la carte ? Cela ne lui ressemblait pas. Elle s’était montrée trop sincère et trop présente pendant tout le temps qu’avait duré notre correspondance. Avait-elle seulement existé et n’avais-je pas tout inventé ? Mais dans ma poche je sentais la copie de son dernier courriel, ce qui au moins prouvait que je ne devenais pas fou. Il fallait me rendre à l’évidence, mon bon génie avait disparu pour toujours. Un grand vide s’installait en moi, que je ne savais comment combler. Y parviendrais-je jamais ?

Il faisait complètement nuit quand j’ai garé la voiture à proximité de l’hôtel. Les premières gouttes, énormes, commençaient à s’écraser sur le pare-brise. J’étais parqué devant une galerie d’art et instinctivement, j’ai jeté un coup d’œil à la vitrine. Ce que j’ai vu alors m’a laissé sans voix. Bien en évidence, sur un chevalet, se trouvait une toile intitulée « Soleil couchant ». Elle représentait des montagnes avec un petit chemin de terre à l’avant plan. Dans le coin inférieur droit, une touffe de lavande irradiait de tout son éclat. C’est à ce moment que le premier éclair zébra le ciel et que l’éclairage public s’éteignit tout d’un coup. Il me fallut tâtonner dans le noir et raser les murs pour parvenir tant bien que mal jusqu’à l’hôtel. J’étais complètement trempé. Derrière son comptoir, la gardienne de nuit me tendit la clef de la chambre. Elle me dévisagea et, sans rien dire, me sourit d’un air étrange.

L’éclairage de secours donnait aux lieux un caractère insolite, pour ainsi dire fantastique. Bien entendu, l’ascenseur ne fonctionnait plus ! J’ai gravi l’escalier comme j’ai pu et je suis enfin arrivé au bon étage. J’étais exténué et me suis littéralement affalé sur le lit. Ce n’est pas pour cela que j’ai trouvé le sommeil, car des tas d’idées me trottaient en tête. A la lueur d’un éclair, j’ai aperçu mon portable qui traînait sur une table, bien en évidence. Avec un pareil orage, ce n’était pas le moment de l’ouvrir et puis, honnêtement, je n’en avais vraiment plus aucune envie. Ne me demandez pas pourquoi.

22:07 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, nouvelle

Commentaires

Ah, c'est beau ! Il faut juste que je vous dise : ce n'est pas la force du vent qu'utilise le vautour, il se laisse porter par les courants chauds, ascensionnels, en grandes invisibles spirales ou bien en voies traversantes, c'est dans la puissance de la légèreté qu'il évolue. Et puis, ce n'est pas "qu'un" charognard, je l'aime beaucoup. Voilà, en guise de nouvelles d'ailes !
Cordialement

Écrit par : Alina | 10/06/2008

Ah bonjour Alina et merci pour ces précisions.
Certes, le vautour n'est pas "qu'un" charognard et son vol est admirable. J'ai pu l'observer de visu dans les Pyrénées, c'est de toute beauté.

Il a hélas mauvaise réputation et quand il ose s'attaquer à un peu de chair fraîche, on le lui reproche encore.

http://www.europe1.fr/Info/Actualite-France/Societe/Pyrenees-les-vautours-attaquent-de-nouveau/(gid)/140959

Écrit par : Feuilly | 10/06/2008

Tu as encore de la fiction comme ça ? J'ai bien aimé !!!

Écrit par : Pivoine | 13/06/2008

Ici, c'était un texte tout récent, sinon, bien entendu, il y a tout ce qui traîne dans mes tiroirs et dont les éditeurs ne veulent pas, mais c'est trop long à mettre sur un blogue.

Mais on pourrait imaginer, de temps à autre, écrire un texte relativement court et le déposer ici. Au moins il aura des lecteurs.

Écrit par : Feuilly | 13/06/2008

En me promenant chez Helena, j'ai découvert cette adresse (vraie, celle-ci pour le moment, voyez à quel point je suis influencée par votre texte) que vous auriez eu tort de ne pas proposer.

Très beau texte presque fantastique, plein de sensibilité et d'intelligence. Vos descriptions sont superbes. Le virtuel offre donc aussi d'immenses possibilités de créativité.

Écrit par : Saravati | 29/01/2009

Oui, le virtuel est un monde dont on découvre seulement toutes les possibilités. Le tout est d'en faire un bon usage.

Écrit par : Feuilly | 29/01/2009

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