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12/06/2008

Du français et de ceux qui le parlent.

Le Petit Robert 2009 vient de sortir. On sait que chaque année de nouveaux mots font ainsi une apparition officielle, leur présence soudaine dans ce dictionnaire de référence leur conférant une légitimité qu’ils n’avaient pas encore.

On pourrait épiloguer longuement sur ce qui préside au choix de certains termes, tandis que d’autres sont irrémédiablement refusés.

Nous, qui sommes les locuteurs du français, nous avons souvent l’idée fausse que les mots n’existent que parce qu’ils sont repris dans les dictionnaires. C’est évidemment l’inverse qui se passe, les dictionnaires ne faisant qu’admettre à un certain moment (après un laps de temps plus ou moins long) des termes déjà bien ancrés dans l’usage.

Le choix des rédacteurs du Robert n’est pas facile à faire. S’ils vont trop vite pour accepter un mot et que celui-ci disparaît de lui-même dans les années qui suivent, ils se couvrent de ridicule. Inversement, s’ils s’obstinent à refuser des termes qui manifestement sont passés dans l’usage, ils se montrent alors particulièrement réactionnaires.

De tout ceci il faut retenir que ce ne sont pas les grammairiens qui font la langue, mais bien nous, modestes locuteurs. Autrefois, le système scolaire et des ouvrages de référence comme le Bon usage de Grevisse (que j’adore par ailleurs et auquel je me réfère tout le temps) ont fait de la langue leur chasse gardée. Ils détenaient la vérité et nous, pauvres citoyens, nous tentions tant bien que mal de ne pas commettre trop de fautes. Maintenant, la tendance s’est inversée. Les linguistes ont pris le pouvoir face aux grammairiens et pour eux, tout se vaut. Une langue, par définition, évolue tout le temps et dès lors le fait d’employer une tournure plutôt qu’une autre témoigne d’une étape historique et non de la supériorité de cette tournure sur celles qui ont été évincées. Plus de bon usage donc. Au lieu d’imposer une norme, les linguistes se promènent avec leur micro pour tenter de capter la langue telle qu’elle se parle aujourd’hui. Plus de hiérarchie des valeurs non plus : l’argot ou le parler adolescent valent la langue de Proust ou de Mauriac. J’en ai même entendu un (de linguiste) qui disait que le parler des jeunes des banlieues était bien plus innovant et partant beaucoup plus riche et créatif que la langue littéraire, faite finalement de conventions (utilisation de l’acceptation ancienne de certains mots, tournures désuètes, langue figée, emploi du passé simple, du subjonctif imparfait, etc.). Bref, selon lui, la vraie littérature se fait dans la rue par des jeunes à peine scolarisés et pas par des académiciens qui ont un pied dans la tombe et qui écrivent comme au XIX° siècle.

Il y a du vrai dans tout cela, évidemment. Ceci dit, j’ai déjà entendu des discours similaires à propos de l’enseignement autrefois : le jeune était riche de toute la potentialité qui était en lui tandis que l’enseignant venait contrer son imagination par un savoir aussi figé que ridicule. Depuis, beaucoup d’eau est passée sous les ponts et on est revenu, par une sorte de logique dialectique propre semble-t-il à la pensée humaine (comme quoi Hegel n’avait rien inventé), à plus de modération. L’idéal est finalement de transmettre un savoir sans brimer la spontanéité propre à la jeunesse mais en lui permettant au contraire, par ce savoir, de faire fructifier au mieux ses possibilités innées.

Il en va donc de même en matière de langue française. Si le Bon usage a pu parfois nous paralyser par la crainte que nous avions de commettre des fautes, il est certain que le laisser-faire généralisé n’apporte rien non plus. Une langue n’est finalement qu’une norme. Celle-ci est certes arbitraire mais il importe que chaque locuteur la respecte au même moment, sinon, c‘est la compréhension même du message qui se trouve en danger.

Tout cela pour dire que nous ne devons pas perdre de vue que nous sommes les utilisateurs de notre langue. Je ne peux pas faire avec elle tout ce que je veux (puisqu’elle appartient aux autres aussi) mais je ne dois pas non plus me laisser paralyser par ce qui n’est finalement qu’un outil. Le principal, c’est que je parvienne à m’exprimer et à me faire comprendre (sciemment, je n’emploie pas le terme à la mode « communiquer », qui ne veut plus rien dire) et si parfois je prends quelques libertés avec la langue, ce n’est tout de même pas si grave que cela.

Le danger, en fait, c’est de vouloir à tout prix s’exprimer dans une langue parfaite car à partir de ce moment-là celle-ci se sclérose et devient hermétique à toute innovation. L’emploi des anglicismes s’explique à mon avis en partie à cause de ce phénomène. D’abord il convient de les relativiser : ils n’affectent que le vocabulaire (et encore, dans des domaines bien spécifiques) et non la grammaire et ils sont dus en partie à la suprématie économique de l’Amérique et à son avance en matière en matière scientifique et technologique. Ensuite, leur introduction est facilitée par la peur des locuteurs francophones de créer des néologismes. Si nous étions moins timorés et si nous osions proposer des termes nouveaux au lieu d’attendre que l’Académie en suggère un avec vingt années de retard, il se pourrait bien que notre langue se montrerait beaucoup plus vivante.

Bref, en matière de langue, il faut se montrer exigeant (et refuser les facilités et les compromissions) mais ne pas fermer la porte aux innovations, lesquelles sont nécessaires pour que cette langue demeure dynamique.

Commentaires

La langue, c'est la conscience parlée, audible.
Elle est donc, juste avant l'écriture, écriture du monde. Il est alors bien normal et même souhaitable que la Banlieue ne s'exprime pas comme le 16eme arrondissement, passe-moi le poncif.
Ils n'ont pas tout à fait le même monde à traduire !
C'est là le fondement de l'argot, lui-même dérivé du Jargon, avec un grand J et tel qu'inventé et employé par les Coquillards (désir d'appartenance et de n'être pas entendus des mouchards et de la police.)
Exigence fâcheusement reprise par ce qu'on nomme le jargon spécialisé des avocats, des toubibs, des philosophes, des techniciens, des pédants aussi etc....
Cordialement

Écrit par : Redonnet | 13/06/2008

La langue, en principe, n'est qu'un moyen, pas un but en soi (sauf en littérature bien entendu, où les fonctions rhétorique et poétique jouent précisément sur la matière même de la langue). Elle a pour mission de traduire une réalité. Chacun emploie donc le niveau de langue qui convient à ce qu’il a à exprimer.

Le problème, c’est qu’à côté de cela elle doit demeurer un moyen de communication pour tous (c’est bien pour cela qu’il convient que chacun respecte suffisamment le code commun sinon on ne se comprendra plus). Evidemment, quand un médecin ou un juriste arrive avec son code super spécialisé et qu’il croise un loubard qui a son parler propre, l’écart est au maximum, d’où l’impression d’avoir plusieurs langues.
Les patois ont longtemps jouer ce rôle. Le « bon » français était réservé au curé et à monsieur le comte, les paysans, eux exprimaient en patois leur réalité agricole.

Mais la langue (quel que soit son niveau) crée un sentiment d’appartenance. On le voit bien avec les parlers méridionaux, qui ont été une manière de fédérer les gens du Sud.

La langue crée un peuple (voir la situation actuelle en Belgique, qui éclate parce que précisément ce pays comporte deux langues).

Écrit par : Feuilly | 13/06/2008

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