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22/03/2008

Foire du livre

La foire du livre de Paris est terminée et on se demande toujours s’il fallait ou non la boycotter.
Certains, par solidarité envers la population de Gaza, estimaient que la moindre des choses était de marquer sa désapprobation envers un état qui bombarde allégrement des populations civiles.
D’autres, au contraire, disaient que la littérature n’avait rien à voir avec la politique et que d’ailleurs rien ne disait que les écrivains israéliens invités approuvaient la politique d’ostracisme menée par leur pays.

Pierre Assouline, sur son blogue que je ne lis jamais, ne cache pas son ironie à l’égard des partisans du boycotte, estimant qu’ils ont manqué leur objectif et que s’il y a eu effectivement une petite désaffection du public, elle est surtout due au risque d’attentats et au mauvais temps (les mesures de sécurité ayant été renforcées à cause de tous ces méchants terroristes, les files d’attente étaient plus longues). Bref, selon lui, le public français ne s’est pas laissé impressionné ni influencé et il a montré tout l’engouement qu’il porte à la littérature israélienne.

Il a peut-être raison. Il n’empêche que je n’apprécie pas trop le ton persifleur qu’il emploie ici. Je n’attendais d’ailleurs rien d’autre de lui car je n’oublie pas l’article qu’il avait écrit en son temps contre le journaliste Alain Ménargues. Celui-ci avait écrit un livre dans lequel il s’opposait à la construction du mur de la honte en Palestine, ce qui avait fait dire à certains qu’il tenait des propos antisémites (et non antisionistes). Assouline avait alors donné raison aux rumeurs, qualifiant le mur de simple « barrière de sécurité » qui aurait servi de prétexte à Alain Ménargues pour se répandre en propos haineux envers le peuple juif.

C’est évidemment toujours l’éternel problème quand on parle de la politique israélienne. Oser la critiquer, c’est se faire taxer d’antisémite. Dans son livre, Ménargues regrettait que la religion juive, axée sur l’idée de pureté, incitât ce peuple à vouloir séparer le pur de l’impur, d’où l’ostracisme manifeste envers le monde arabe et le peuple palestinien en particulier. Du coup, on lui a reproché de ne pas simplement s’opposer à a construction du mur, mais d’être fondamentalement raciste envers les représentants du peuple hébreux, ce qui me semble aller un peu vite en besogne. Même le Monde diplomatique, dont j’apprécie les articles pour leur ouverture d’esprit, a demandé à ses sympathisants locaux de ne pas inviter Alain Ménargues Tout cela ressemble tout de même à une cabale qui ne dit pas son nom, car ce mur reste une honte, tout comme la politique de colonisation systématique ou l’enfermement de 3.00.000 de personnes dans la bande de Gaza. Certes, il y a les attentats, qui constituent un grave problème. Mais alors que tout le monde condamne à juste titre les extrémistes arabes qui voudraient voir disparaître l’état d’Israël, il n‘y a pas beaucoup de voix qui s’élèvent (ou en tout cas elles sont de peu de poids) pour désapprouver l’impérialisme israélien qui ne cesse de vouloir étendre ses frontières sous prétexte de garantir sa sécurité intérieure.

Pourtant, quand les Russes étaient partis autrefois à la conquête de l’Afghanistan, tout le monde occidental avait trouvé cela choquant. Comme on a trouvé choquant l’invasion de l’Irak par les troupes américaines sous un prétexte fallacieux (le terrorisme). Tout comme on désapprouve encore aujourd’hui l’annexion du Tibet par la Chine. Pourquoi ce qui peut être dit à l’encontre de l’impérialisme de certains états ne peut-il l’être quand il s’agit d’Israël ?

Parce que Israël est la victime (des attentats) me direz-vous. C’est vrai et on ne peut que le regretter. Mais est-ce en pratiquant cette politique du mépris que les choses vont s’améliorer ? Bush a-t-il éradiqué le terrorisme mondial en détrônant Sadam Hussein ? Bien sûr que non et il n’y a jamais eu autant de musulmans mécontents. Une majorité du peuple palestinien aspire à la paix, comme une majorité du peuple israélien. N’y aurait-il pas moyen de s’entendre plutôt que de se lancer dans une politique de fuite en avant qui amènera toujours plus de violence, laquelle débouchera sur plus de répression encore ?

On le voit, la situation n’est pas simple et pour revenir à la Foire du livre de Paris, le moins qu’on puisse dire, c’est que la question du boycotte pouvait au moins être posée. Quand un de nos politiciens s’en va en Chine signer des contrats commerciaux, nous ne trouvons pas normal qu’il fasse passer les intérêts économiques avant les droits de l’homme ou l’annexion du Tibet. Pourquoi alors l’annexion systématique et progressive d’une partie du territoire palestinien ne doit-il pas être dénoncé ?

Parce que, me direz-vous, une Foire du livre est une manifestation culturelle qui n’a rien à voir avec la politique. Si c’était vrai, je vous donnerais raison, mais malheureusement on sent bien que ce n’est pas un hasard si on a attendu le soixantième anniversaire de la naissance de l’état d’Israël pour inviter les écrivains israéliens. Je crois au contraire qu’on veut se servir de notre passion pour les livres pour justifier un événement politique et nous faire approuver indirectement la politique extérieure israélienne. C’est ce qu’on appelle de la manipulation.

Sans compter que si on invite un état, la moindre des choses est de donner un aperçu de toutes les composantes de cet état. Imaginerait-on inviter l’Espagne et nier la catalogne, l’Andalousie et le Pays basque ? Or ici, a-t-on vu des écrivains israéliens arabes musulmans ? Non bien sûr. A-t-on vu des écrivains arabes chrétiens ? Pas que je sache. L’explication qu’on nous donne relève du sophisme : on n’a invité que les écrivains s’exprimant en hébreux. Le critère serait donc devenu subitement linguistique. Mais pourquoi alors n’avoir pas intitulé ce salon « Salon de littérature hébraïque » ? Pourquoi pas ? Un peu comme on ferait un salon de langue arménienne ou kurde. Mais on n’a jamais vu un salon consacré à la langue kurde, puisque ce pays n’existe pas. C’est bien la preuve que c’est le pays politique qu’on invite et pas les représentants de telle ou telle langue (que se passerait-il d’ailleurs si on faisait un salon de langue anglaise ? On inviterait la moitié de la planète ?).

Tout cela pour dire qu’il y avait manipulation et que c’est bien l’état hébreu qui était à l’honneur beaucoup plus que sa littérature.

Maintenant fallait-il ou non le boycotter, c’est une autre question. Quel est l’impact d’une telle mesure ? Il est probablement fort mince. D’un autre côté, c’est en mettant autrefois l’Afrique du Sud au banc des nations que petit à petit l’apartheid a été vaincu. Et puis il faut être honnête. Tous ces bien-pensants qui verraient d’un mauvais œil un salon consacré au Cuba de Fidel Castro auraient été moins regardants si on avait invité le Chili du temps de Pinochet. Preuve supplémentaire que tout cela est bien politique alors qu’on ne vienne pas nous dire que cela ne l’est pas.

Bon, je parle, je parle, mais c’est surtout pour le plaisir d’être en votre compagnie, car dans le fond, n’habitant pas Paris, je ne vais jamais au salon du livre. Il fut un temps, cependant, où j’aimais me rendre dans celui de ma région, situé dans ma capitale à moi. Quand j’étais plus jeune je trouvais cela intéressant. On pouvait voir toutes les collections d’un même éditeur ou bien avoir une idée de la production de différents pays (le Québec, la Chine, etc.). J’y ai même vu, dans les années quatre-vingts, un stand israélien qui jouxtait un stand palestinien, comme quoi… Puis les années passant, je me suis lassé de ce genre d’événement, sans que je sache si c’est la qualité des salons qui a diminué ou si c’est moi qui me suis montré plus exigeant. Ce qui est sûr, c’est que les deux dernières fois il m’a semblé que l’aspect commercial avait pris de telles proportions, que j’en ai été dégoûté. Il ne s’agissait plus de montrer, mais de vendre. Les micros n’arrêtaient plus d’annoncer des séances de signatures et des débats. On avait l’impression qu’il fallait tout acheter et tout de suite. Si on ajoute à cela la chaleur, le bruit, le monde et l’impossibilité de flâner à son aise, j’en suis arrivé à la conclusion que je préfère butiner les rayons de ma librairie favorite, plutôt que de me rendre à ce genre d’événement où il s’agit surtout, pour les écrivains, de se faire voir et pour les lecteurs d’acheter et de consommer. Bref, on y vendrait des produits gastronomiques que ce ne serait pas fort différent.

Ah, au fait, qu’est-ce qu’ils ont comme spécialité culinaire, en Israël ?

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Commentaires

Eh bien, la carpe farcie o;) (gefilte fisch), le "gehäckte leber", pâté de foie... Les gâteaux aux raves, un petit déjeuner fait de tomates à l'huile d'olive... Le pain du shabbat, et les menus de Pâques. (En somme, toutes les recettes des cuisines askénaze -du nord-est, et sépharade, du sud et de l'Afrique du nord...

Très intéressant ton article. L'attitude des organisateurs à ton salon du livre était évidemment la bonne (littérature juive et palestinienne). Je partage plutôt ton avis pour les salons du livre. Le nôtre se passait au centre Rogier, en ville, sur deux ou trois étages. C'était un salon de bonne compagnie. Là, depuis quelques années, sauf pour les auteurs et les éditeurs, c'est pas très drôle.

Écrit par : Pivoine | 22/03/2008

Le boycotte est une mesure efficace lorsqu'il est appliqué à l'unanimité, et de façon ciblée. Opéré de façon systématique, je me demande s'il ne devient pas une forme de la vanité occidentale. Je suis important, donc mon boycotte le devient aussi. Est-ce si vrai ? Dans certains cas, ne frise-t-on pas aussi le ridicule ?

Écrit par : solko | 25/03/2008

Bonne remarque. Mais le ridicule n'est présent, comme vous le dites, que si vous êtes en position de supériorité (ou que vous croyez l'être). Il n'est pas loin de l'embargo (voir la situation irakienne entre les deux guerres du golfe) et affiche votre mépris envers un adversaire que vous dénigrez et que vous renvoyez au néant (n’existant pas à vos yeux, il n’existe plus du tout).

Ici, on ne peut pas dire que la cause palestinienne soit en position de force, même si elle compte beaucoup d’adeptes. Ce serait plutôt un geste de désespoir afin d’attirer l’attention. Un peu comme la situation actuelle au Tibet, qui pourrait déboucher sur un éventuel boycotte. Sarkozy envisage de ne pas être présent aux cérémonies d’ouverture (ce qui, vu la haute opinion que le personnage a de lui-même, représente en effet à ses yeux une sanction) tandis que le Dalaï-Lama ne veut pas entraver la tenue des Jeux. Mais c’est un sage et il est sans doute plus modéré que moi.

Mais sans vouloir boycotter le salon du livre, est-ce que faire comme si de rien n’était, ce n’est pas aussi cautionner la politique du gouvernement israélien ? A ce rythme-là et sans vouloir faire de rapprochements tendancieux, qu’aurions-nous dit si les Américains avaient accueilli une manifestation culturelle allemande sur leur sol en 1940 ou 1941 ? Cela aurait tout de même signifié de leur part une acceptation du régime de Hitler ? On n’en est pas là, certes, mais enfin l’Union européenne finance de ses deniers des tas d’infrastructures (universités, centrales électriques, etc.) dans la bande de Gaza et ses efforts sont systématiquement réduits à néant par des bombardements ciblés dont le seul but et de faire fuit les populations. Faire comme si rien ne se passait, c’est tout de même curieux. On a un peu l’impression qu’on assiste à une double culpabilité. On se sent coupable (indirectement) du massacre des Juifs (et donc on cautionne l’existence de l’état hébreux) et en même temps on se sent coupable d’avoir autorisé la spoliation d’une partie des terres des Palestiniens, d’où cette aide financière qui permet d’avoir bonne conscience.

Écrit par : Feuilly | 25/03/2008

Le racisme et le nazisme sont partout... ne pas oublier que c'est l'affaire Dreyfus qui a convaincu Herzl de créer le sionisme qui a débouché sur la création de l'état d'Israël. Oserais-je le parallèle en disant que c'est le nazisme, en établissant un état "ethniquement pur" qui a convaincu le pouvoir israëlien de mettre en place un état "hébraïquement pur" ?

Écrit par : Ouadou | 26/03/2008

Oui, il y a de cela, vous avez raison. On peut comprendre, bien entendu. Après un tel massacre scientifiquement programmé, le désir d'avoir un état à soi semble légitime. Le problème, c'est qu'il a fallu défendre cet état, contesté de toutes parts. D'où ces arguments actuels qu'il faut continuer à coloniser la Palestine et étendre les limites de l'état pour protéger le noyau central (l'occupation du Liban dans les années 80 relevait de la même logique: constituer une zone tampon). Evidemment, face à des kamikazes itinérants qui s’infiltrent partout, une telle logique n’est plus pertinente. Par contre, elle suppose l’anéantissement systématique de toute nation arabe. On l’a vu avec l’Irak, on le verra sans doute avec l’Iran. Mais tout cela est une fuite en avant qui aura finalement un terme. Il viendra un jour où ceux d’en face seront les plus forts et on recommencera la logique des massacres et de la répression. On dirait que l’intelligence humaine est impuissante à enrayer le déterminisme historique.

Écrit par : Feuilly | 26/03/2008

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