04/12/2007
L'Etranger
« Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillon dans les amas de pierres »
Nicolas Sarkozy.
Non ? Non, Je me trompe, cette phrase n’est pas de Nicolas, mais d’Albert Camus. C’est un extrait de Noces à Tipasa, le premier texte qui compose Noces, ce beau livre dans lequel Camus se fait lyrique, prouvant par-là qu’il sait manier un autre style que celui, rugueux et sec, de l’Etranger.
Etranger, Camus ne l’était certainement pas en Algérie, puisqu’il y était né. Par contre Nicolas, à ce que l’on dit, ne semble pas particulièrement être le bienvenu. Il est vrai qu’il débarque avec sur le dos l’étiquette qu’il s’est collée lui-même, à savoir celle de « soutien inconditionnel de Georges Bush ». De plus, certains se demandent à Alger s’il n’aurait pas trop tendance à soutenir la politique extérieure de Tel Aviv, ce qui, d’un point de vue arabe, vous classe d’emblée dans le clan des suspects.
Mais laissons là toutes ces querelles. Oublions un instant le Proche-Orient, la politique et surtout Nicolas pour laisser parler Camus, qui s’exprime tout de même beaucoup mieux et dans un registre plus fleuri que l’ex-maire de Neuilly.
"Que d'heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d'accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde ! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d'insectes somnolents, j'ouvre les yeux et mon cœur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n'est pas si facile de devenir ce qu'on est, de retrouver sa mesure profonde.
(…)
Des millions d'yeux, je le savais, ont contemplé ce paysage et, pour moi, il était comme le premier sourire du ciel. Il me mettait hors de moi au sens profond du terme. Il m'assurait que sans mon amour et ce beau cri de pierre, tout était inutile. Le monde est beau, et hors de lui, point de salut. La grande vérité que patiemment il m'enseignait, c'est que l'esprit n'est rien, ni le cœur même.
(…)
A Tipasa, je vois équivaut à je crois, et je ne m'obstine pas à nier ce que ma main peut toucher et mes lèvres caresser.
15:40 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : Littérature, Sarkozy, Camus
Commentaires
En effet, c'est très, très beau.
Écrit par : Pivoine | 05/12/2007
C'est ce que dit aussi Sarkozy, homme de grande culture comme chacun sait:
"C'est beau, hein ?", ne cesse d'interroger le président : "Depuis que j'ai lu Noces j'avais envie de venir ici. Camus, c'est le lien entre les deux rives de la Méditerranée." (cité dans Le Monde)
Écrit par : Feuilly | 05/12/2007
C'est Sarkozy l'étranger, alors.
Écrit par : sancho | 06/12/2007
La-bas, c'est lui l'étranger. Etrange, n'est-ce pas.
Enfin, on sait au moins qu'il a été obligé de lire Camus au lycée. Comme quoi, la culture, quand même il n'y a que cela.
Écrit par : Feuilly | 06/12/2007
De cascade en cascade, j'approche du sens de ce chemin révélé par la beauté du monde. Oui, comme il est difficile de naître à soi quand le soleil est à la verticale de notre mort et la nuit comme un désir d'infinie lumière. Camus bascule, par l'émerveillement, à cet avènement de nous qui est déroulement d'acanthe de notre sève accordée à cette douceur du vivre jusqu'à l'extase qui est la mort, le paroxysme , la parousie. Nous entrons, ici, dans les sentes inviolées de la création du monde par la langue, ô, beauté...
Encore, encore, encore...
Écrit par : Christiane | 05/07/2008
La création du monde par la langue? Diable, vous êtes aussi une de ces admiratrice du Verbe?
Écrit par : Feuilly | 06/07/2008
lire "admiratrices" bien entendu.
Écrit par : Feuilly | 06/07/2008
Bonjour,
Dans ce monde où tout est illusion pourquoi ne pas suivre le sentier de la joie pour rencontrer les moments d'infini ? Quand je suis face à une telle langue, quelque chose se crée qui n'était pas là, avant et cela est dans les mots, dans cette danse, cette fête.
En lisant certaines pages de Camus, ah, oui, la joie est là et l'on repart avec ces noces ( de Tipasa ) dans les yeux, une fois le livre fermé... et on l'ouvre à la même page pour les retrouver. Cela méritait bien ces quelques lignes ...enthousiastes ( c'est le moins qu'on puisse dire...je relis !!!!) écrites en découvrant, non seulement ce texte, mais le choix, si justifié, qui a présidé à l'enchaînement des textes offerts ici.
Écrit par : Christiane | 06/07/2008
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