03/12/2007
La gloire de Vincent
Question idiote, que je me posais en lisant sur Internet la biographie de Joan Miro. Que serait devenu ce peintre s’il n’était pas « monté » à Paris ? Certes, il avait déjà organisé une exposition à Barcelone avant de partir pour la France et on peut supposer qu’il aurait continué à persévérer dans son art. Cependant, on apprend qu’à paris il a côtoyé Picasso, ainsi que Breton et tout le groupe surréaliste. On peut donc raisonnablement supposer qu’il a évolué plus vite à partir du moment où il a été en contact avec ceux qui détenaient le haut du pavé en matière artistique dans ces années-là. Il suffit de comparer ses premières toiles et les suivantes pour se rendre compte de la rapidité de son évolution.
Donc, s’il était resté en Espagne, peut-être n’aurait-il été qu’un bon peintre local, célébré par les artistes du coin. Peut-être aussi que la guerre civile aurait entravé sa production.
Mais non, il monte à Paris, change de style au contact des célébrités du moment et finit par devenir incontournable. Quand on lit l’histoire à posteriori, on se dit qu’il ne pouvait en être autrement. Un tel génie ne pouvait rester à l’écart et il se devait de percer. Certes. Mais s’il n’avait pas connu Picasso et Breton ? Que serait-il devenu ? Qu’on me comprenne bien. Ma remarque n’enlève rien à sa capacité de peindre ni à son génie. Je me demande simplement si c’est grâce à son génie potentiel qu’il a été reconnu par ces célébrités (qui ont deviné avant tout le monde tout ce qu’il avait en lui) ou si c’est parce qu’il les a connues qu’il a été propulsé en avant (en partie parce que son art a évolué en fonction de la mode du moment, en partie parce que Picasso et les autres lui ont ouvert des portes). Cela revient donc à se demander ce qui est à l’origine du succès d’un artiste. Bien sûr les capacités doivent être là, cela semble l’évidence même, mais ne faut-il pas, à un certain moment, que des relations entrent en jeu ?
Si Miro, à Paris, s’était imprégné du mouvement surréaliste sans côtoyer personne ? Ses peintures auraient été les mêmes que celles qu nous connaissons, mais aurait-il percé avec la même facilité ? Les personnes optimistes diront qu’oui, que de toute façon quelqu’un aurait bien fini par le remarquer, isolé dans son coin et lui aurait ouvert les portes des salons et des expositions. Mais si cela n’avait pas été le cas ?
Qui dira jamais le rôle des relations dans ces affaires ? Je ne parle pas même pas ici de relations dans le sens habituel (relations politiques, personnages importants), mais simplement de relations amicales. De fil en aiguille, votre ami connaît quelqu’un, qui connaît quelqu’un et vous vous retrouvez subitement sous les feux de la rampe.
Imaginons un instant que Marcel Proust (sans même revenir sur ce problème de l’édition de la Recherche, les manuscrits ayant été refusés dans un premier temps comme chacun sait) n’aurait pas eu les relations qui étaient les siennes pour remporter le prix Goncourt (dont il est manifestement un des seuls lauréats à présenter une œuvre vraiment digne d ‘intérêt), aurait-on parlé de lui ? Beaucoup moins. Et qui dit qu’il n’aurait pas été oublié ?
Le chanteur Yves Simon, quand il avait décidé de renoncer à la chanson et de se consacrer à la littérature s’était vite rendu compte qu’il ne parviendrait pas à en vivre. Il ne cachait pas qu’il était allé trouver les bonnes personnes afin d’assurer à ses livres la publicité nécessaire. Il considérait que cela n’enlevait rien à sa capacité réelle d’écrire (c’est vrai, finalement) mais que cela prouvait simplement son désir d’entrer dans ce métier. Le fait d’employer son intelligence pour se positionner auprès des bonnes personnes n’étant qu’un moyen pour pouvoir ensuite s’adonner tout entier à l’écriture. Donc acte. Mais s’il n’avait pas agi de la sorte ? Ou s’il n’avait pas été capable de trouver ces bonnes personnes ? Et bien il se serait retrouvé professeur de lycée, ce qu’il redoutait par-dessus tout. Vous me direz qu’il aurait sans doute fait là œuvre plus utile. Sans doute. Mais les autres ? Les vrais grands génies ? Si personne, à un moment donné, ne les avait pris par la main ?
Il y a Van Gogh, bien entendu, qui est mort misérable et quasi-inconnu. Vous m’objecterez que son génie a fini par être remarqué et donc que la célébrité du moment ne fait rien à l’affaire. Peut-être. Mais peut-être existe-t-il aussi d’autres Vincent, qui sont mort anonymes dans leur coin et dont jamais personne n’a parlé ? Inversement, il y a pas mal d’artistes ou d’écrivains dont on nous rabat les oreilles tous les jours à la télévision (enfin, pour ceux qui la regardent) et qui finalement ne méritent sans doute pas le bruit qu’on fait autour de leur œuvre.
Alors ? Que serait-il advenu de Miro, s’il n’avait pas trouvé Picasso et les autres sur sa route ?
Donc, s’il était resté en Espagne, peut-être n’aurait-il été qu’un bon peintre local, célébré par les artistes du coin. Peut-être aussi que la guerre civile aurait entravé sa production.
Mais non, il monte à Paris, change de style au contact des célébrités du moment et finit par devenir incontournable. Quand on lit l’histoire à posteriori, on se dit qu’il ne pouvait en être autrement. Un tel génie ne pouvait rester à l’écart et il se devait de percer. Certes. Mais s’il n’avait pas connu Picasso et Breton ? Que serait-il devenu ? Qu’on me comprenne bien. Ma remarque n’enlève rien à sa capacité de peindre ni à son génie. Je me demande simplement si c’est grâce à son génie potentiel qu’il a été reconnu par ces célébrités (qui ont deviné avant tout le monde tout ce qu’il avait en lui) ou si c’est parce qu’il les a connues qu’il a été propulsé en avant (en partie parce que son art a évolué en fonction de la mode du moment, en partie parce que Picasso et les autres lui ont ouvert des portes). Cela revient donc à se demander ce qui est à l’origine du succès d’un artiste. Bien sûr les capacités doivent être là, cela semble l’évidence même, mais ne faut-il pas, à un certain moment, que des relations entrent en jeu ?
Si Miro, à Paris, s’était imprégné du mouvement surréaliste sans côtoyer personne ? Ses peintures auraient été les mêmes que celles qu nous connaissons, mais aurait-il percé avec la même facilité ? Les personnes optimistes diront qu’oui, que de toute façon quelqu’un aurait bien fini par le remarquer, isolé dans son coin et lui aurait ouvert les portes des salons et des expositions. Mais si cela n’avait pas été le cas ?
Qui dira jamais le rôle des relations dans ces affaires ? Je ne parle pas même pas ici de relations dans le sens habituel (relations politiques, personnages importants), mais simplement de relations amicales. De fil en aiguille, votre ami connaît quelqu’un, qui connaît quelqu’un et vous vous retrouvez subitement sous les feux de la rampe.
Imaginons un instant que Marcel Proust (sans même revenir sur ce problème de l’édition de la Recherche, les manuscrits ayant été refusés dans un premier temps comme chacun sait) n’aurait pas eu les relations qui étaient les siennes pour remporter le prix Goncourt (dont il est manifestement un des seuls lauréats à présenter une œuvre vraiment digne d ‘intérêt), aurait-on parlé de lui ? Beaucoup moins. Et qui dit qu’il n’aurait pas été oublié ?
Le chanteur Yves Simon, quand il avait décidé de renoncer à la chanson et de se consacrer à la littérature s’était vite rendu compte qu’il ne parviendrait pas à en vivre. Il ne cachait pas qu’il était allé trouver les bonnes personnes afin d’assurer à ses livres la publicité nécessaire. Il considérait que cela n’enlevait rien à sa capacité réelle d’écrire (c’est vrai, finalement) mais que cela prouvait simplement son désir d’entrer dans ce métier. Le fait d’employer son intelligence pour se positionner auprès des bonnes personnes n’étant qu’un moyen pour pouvoir ensuite s’adonner tout entier à l’écriture. Donc acte. Mais s’il n’avait pas agi de la sorte ? Ou s’il n’avait pas été capable de trouver ces bonnes personnes ? Et bien il se serait retrouvé professeur de lycée, ce qu’il redoutait par-dessus tout. Vous me direz qu’il aurait sans doute fait là œuvre plus utile. Sans doute. Mais les autres ? Les vrais grands génies ? Si personne, à un moment donné, ne les avait pris par la main ?
Il y a Van Gogh, bien entendu, qui est mort misérable et quasi-inconnu. Vous m’objecterez que son génie a fini par être remarqué et donc que la célébrité du moment ne fait rien à l’affaire. Peut-être. Mais peut-être existe-t-il aussi d’autres Vincent, qui sont mort anonymes dans leur coin et dont jamais personne n’a parlé ? Inversement, il y a pas mal d’artistes ou d’écrivains dont on nous rabat les oreilles tous les jours à la télévision (enfin, pour ceux qui la regardent) et qui finalement ne méritent sans doute pas le bruit qu’on fait autour de leur œuvre.
Alors ? Que serait-il advenu de Miro, s’il n’avait pas trouvé Picasso et les autres sur sa route ?
15:27 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : Littérature, Miro, Van Gogh
Commentaires
Le chanteur Yves Simon, quand il avait décidé de renoncer à la chanson et de se consacrer à la littérature s’était vite rendu compte qu’il ne parviendrait pas à en vivre. Il ne cachait pas qu’il était allé trouver les bonnes personnes afin d’assurer à ses livres la publicité nécessaire.
Yves Simon a publié ses premiers romans en même temps que ses premiers disques, il a envoyé les uns et les autres aux personnes qui comptaient à l'époque où il publiait et il a fait la cour à Brassens ou Montand. Il s'est arrêté un temps durant les années 90 de produire des disques (l'homme n'a pratiquement jamais été présent sur scène, ce qui en dit plus long qu'on ne croit), mais c'était parce que le revenu de ses disques et aussi de ses livres précédents (qui avaient déjà été cités pour des prix littéraires préemptés par Grasset comme l'Interallié) lui permettait de vivre. Il ne faut pas se laisser abuser par des poses pseudo-artistiques.
Écrit par : Dominique | 03/12/2007
Donc, il faut comprendre que dès le début il était allé trouvé les bonnes personnes?
Écrit par : Feuilly | 04/12/2007
Vaste question et réponses complexes.
Le monde artistique (de la peinture) ne réagit pas tout à fait comme les milieux littéraires. IL est à la fois plus facile et plus difficile de le côtoyer.
Plus facile parce qu'il y a des lieux: les académies - et donc une tradition de la rencontre et du voyage (le tour d'Italie, le prix de Rome, etc.) - Même chose pour la musique, pour l'architecture.
En littérature, ce n'est pas tout à fait la même chose. Et les ateliers d'écriture, qui fonctionnent un peu sur le modèle des ateliers de peinture, ne bénéficient pas de la même reconnaissance.
Ca, c'est pour la genèse de l'oeuvre. Le succès, ce sont plutôt les galeristes qui le faisaient. Et les critiques - et les salons. Les salons fonctionnant selon la cote commerciale - ou la cote intellectuelle si on a affaire à des salons parallèles (comme la Libre Esthétique en Belgique).
Le chanteur Y.S. a sûrement bénéficié de son expérience de chanteur. Là aussi, le mécénat (ou le rapport imprésarios/chanteurs) est mieux organisé.
Je ne sais pas... J'ai connu les deux, j'ai toujours eu l'impression qu'à qualité égale, les écrivains perçaient moins facilement que les peintres (ou les sculpteurs), et gagnaient moins que les artistes. Mais le travail est aussi fort différent. La peinture est littéralement physique, l'écriture - c'est différent, je ne peux pas expliquer (je suis assez empêtrée entre les deux o;)
La question de Proust est curieuse. Dans le fond, est-ce que Proust ne surclasse pas Gide dans l'inconscient littéraire? On parle toujours de la phrase proustienne. Parle-t-on encore de la phrase de Gide? Et pourtant, Gide reconnut s'être trompé à propos de deux personnes...
Proust (et une femme tout à fait obscure, épouse d'un artiste tout aussi obscur).
La célébrité (post mortem) est encore fonction d'un autre critère, je pense.
L'art pur et la littérature pure font rarement vivre leur homme. Les artistes crèvent (pardon, crevaient) la dalle ou donnent cours dans des académies (et heureusement qu'on se presse aux portillons o;) Les écrivains se rabattent sur l'enseignement (grosse erreur)... Enfin, je schématise, il y a mille et une façons de gagner sa vie en tant que l'un ou l'autre...
mais il est vrai que l'enseignement laisse du temps pour pratiquer son art. On peut plus facilement opter pour des temps partiels (du moins en Belgique) en gagnant mieux sa vie que dans le privé (pour l'expérience que j'en ai).
Écrit par : Pivoine | 05/12/2007
Les artistes (...)donnent cours dans des académies (et heureusement qu'on se presse aux portillons o;) Les écrivains se rabattent sur l'enseignement (grosse erreur)...
Mais c'est la même chose en fait. Ils donnent des cours de peinture dans les académies.
Mais cela ne répond toujours pas à la question de départ. Les artistes/écrivains célèbres ne sont-ils pas devenus célèbres parcequ 'ils connaissaient quelqu'un (et bien entendu parcequ'ils étaient capables). Ou, pour le dire autrement, le même artiste/écrivain, perdu dans sa campagne et sans relation (mais avec le même génie) aurait-il fini par percer? J'en doute.
Rimbaud est absolument admirable. Mais s'il n'avait pas eu l'audace de s'adresser à Verlaine? Il fallait oser, tout de même.
Écrit par : Feuilly | 05/12/2007
Oui, mais de toute façon, à partir du moment où tu choisis un medium pour t'exprimer (et pour communiquer), tu cherches à rentrer en contact avec d'autres qui pratiquent le même art que toi.
Même Jane Austen, même les soeurs Brontë, perdues dans leurs campagnes respectives, sont allés chercher l'éditeur là où il se trouvait, pas dans un presbytère ni dans une campagne anglaise reculée.
Oui, mais Verlaine n'était pas une première, il avait déjà fait lire ses poèmes à ses profs, Georges Izambard notamment (c'est le nom qui me revient).
Sacrée histoire !
Écrit par : Pivoine | 06/12/2007
En effet. Je crois que là on s'approche de ce qui est l'attitude normale et habituelle de l'écrivain. L'acte d'écrire serait donc une activité plus grégaire qu'on ne le pense d'habitude.
Écrit par : Feuilly | 06/12/2007
Peut-être n'y a-t-il pas de hasard et que nous rencontrons ceux que nous devons rencontrer, comme un cercle où nous nous retrouvons, un jour, même pas étonnés...
Écrit par : Christiane | 19/07/2008
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