06/12/2017
Des signes symboliques
On savait que des personnes bien intentionnées ont attaqué les livres de Tintin car ils véhiculaient des thèmes coloniaux et que certains personnages de cette bande dessinée tenaient des propos condescendants envers la race noire. C’est vrai que lorsqu’il lit « Tintin au Congo », le lecteur contemporain sent tout le décalage qui existe entre notre époque et celle où Hergé a écrit ce livre. Le constater et en prendre conscience est peut-être plus important que de faire interdire la vente du livre.
Mais nous sommes dans une société où il est de bon ton de tout contester. On a vu ainsi que le personnage du père fouettard, qui accompagne traditionnellement le bon Saint Nicolas, a été vivement critiqué aux Pays-Bas. Faire tenir le rôle du domestique subalterne à un Noir a paru choquant et en faire un méchant qui punit les enfants (et les effraie par la couleur de sa peau) en a ému plus d’un. Certes, tout ce que disent ces braves gens est cohérent et ils n’ont pas tort, mais ne risque-t-on pas, en les écoutant, de bannir de notre culture les éléments traditionnels qui en font la base ? Car on ne s’arrête plus. Après avoir contesté l’existence même du père fouettard, on a retiré la croix de la mitre de Saint Nicolas, qui était pourtant évêque de Myre (ville antique de Lycie, au sud-ouest de l'Anatolie, sur le fleuve Myros) entre 250 et 270. Certains y ont vu la main du mouvement de la laïcité, d’autres ont imaginé qu’il s’agissait là d’une sorte de complaisance à l’égard du monde musulman. Dans tous les cas, les esprits ont commencé à s’échauffer, de la gauche laïque à l’extrême-droite raciste. Ceci dit, cela semble devenir une habitude de supprimer les croix partout où elles se trouvent. On se souvient de la publicité récente d’une chaîne de grande surface qui avait effacé les croix sur les dômes des églises grecques pour mieux vendre du yoghourt ou du fromage. Là encore il s’agissait de ne pas heurter le client potentiel, qu’il soit indifférent à la religion ou au contraire musulman irascible.
Moi qui ne suis pas croyant du tout (et c’est un euphémisme), je regrette pourtant cette manière sournoise de venir effacer des symboles culturels traditionnels. Saint Nicolas est la fête des enfants et à ce titre fait partie de notre patrimoine depuis des siècles. Pour la petite histoire, au dixième siècle une relique du saint (une phalange) a été transférée depuis Bari vers le Duché de Lorraine. Une basilique a ensuite été dédiée au saint, qui très rapidement est devenu le saint-patron de la Lorraine. La région étant un centre commercial avec les grandes foires qui y étaient organisées, le culte de Saint-Nicolas se répandit très rapidement, notamment en Belgique et en Allemagne. Voilà pourquoi cette fête est toujours célébrée aujourd’hui dans ces régions. Alors je trouve regrettable de commencer à édulcorer l’image traditionnelle pour la faire correspondre à une vision contemporaine neutre et insipide.
Où s’arrêtera-t-on ? Après Tintin et Saint Nicolas, c’est maintenant au conte de la Belle au bois dormant d’être la cible de féministes intransigeantes. On se souvient de cette histoire : la belle princesse est victime d’un sortilège et s’endort pour l’éternité jusqu’au moment où un prince vient la sortir de sa torpeur en lui donnant un baiser. J’avais toujours trouvé tout cela merveilleux et poétique. Un bel hommage à l’amour en quelque sorte. Mais non, on voit maintenant dans le geste salvateur du prince un comportement machiste dominateur. Embrasser une femme de force, sans son consentement ! Scandale ! Et on demande à l’école de ne plus donner à lire un tel livre de contes, qui risquerait de pervertir la jeunesse ou en tout cas les petits garçons, lesquels en effet, en lisant de telles histoires pernicieuses, risqueraient bien de devenir des violeurs potentiels à l’âge adulte.
19:45 Publié dans Actualité et société | Lien permanent | Commentaires (19)
Commentaires
C'est ubuesque en effet.
Bruno Bettelheim doit se retourner dans sa tombe...
Lui qui avait écrit une très intéressante psychanalyse des contes de fées.
On entend aussi beaucoup ça et là critiquer les artistes pour leur vie privée ou leurs prises de position.
Le monde n'est plus fait que d'"opinions"...
La pensée, celle qui s'épanouit avec bonheur sur ce blog, est en train de se barrer en courant et les gens ne savent plus penser par eux mêmes....
C'est grave.
¸¸.•*¨*• ☆
Écrit par : celestine | 07/12/2017
La laïcité, c'est la LIBERTÉ DE CONSCIENCE et donc la liberté de religion. Pas d'autre limite que celle de ne pas contrevenir à l'ordre public, à la liberté d'autrui.
Quant à l'ordre moral, ce beau billet de Jérôme Leroy :
http://feusurlequartiergeneral.blogspot.fr/2017/12/balthus-capitalisme-ordre-moral-et.html
Écrit par : Michèle | 07/12/2017
La laïcité, c'est la LIBERTÉ DE CONSCIENCE et donc la liberté de religion. Pas d'autre limite que celle de ne pas contrevenir à l'ordre public, à la liberté d'autrui.
Quant à l'ordre moral, ce beau billet de Jérôme Leroy :
http://feusurlequartiergeneral.blogspot.fr/2017/12/balthus-capitalisme-ordre-moral-et.html
Écrit par : Michèle | 07/12/2017
@ Célestine : oui, la pensée, la vraie, ne semble pas devoir faire partie du monde futur. Qu'on ne lise plus Molière, qui s'est moqué des femmes (savantes), Racine, qui a fait l'apologie des relations incestueuses (Phèdre) et Voltaire, qui tolérait l'esclavage.
Qu'on retire des musées toutes les peintures où les personnages sont totalement ou partiellement dénudés. Qu'on bannisse aussi toutes les toiles à caractère religieux. Ca va faire de la place !
http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2017/12/04/03015-20171204ARTFIG00238--new-york-une-petition-reclame-le-retrait-d-une-toile-de-balthus-jugee-pedophile.php
Écrit par : Feuilly | 07/12/2017
@ Michèle ; tu m'as devancé avec le tableau de Balthus. :))
Écrit par : Feuilly | 07/12/2017
La laicité ? Hummm... Celui qui s'en méfie ne perd pas son temps....
Écrit par : Bertrand | 07/12/2017
http://feusurlequartiergeneral.blogspot.fr/2017/12/balthus-capitalisme-ordre-moral-et.html
Écrit par : Michèle | 07/12/2017
Cet envoi du lien a été ma première tentative infructueuse de ce matin. Il a dû rester en mémoire et il tombe là. Ce n'est pas voulu :)
Écrit par : Michèle | 07/12/2017
@ Michèle : trois fois le lien! :))))
Écrit par : Feuilly | 07/12/2017
Je crois qu'il y a laïcité et laïcité. Dans le mouvement laïque organisé où j'ai travaillé (et bien qu'après, j'aie quand même eu l'impression d'avoir eu la tête savonnée), on s'occupait de choses quand même plus importantes que St Nicolas, les contes de fée(s) sûrement, et même peut-être Tintin. On se préoccupait plus de la commission Lumumba, qui était justement en train d'établir les responsabilités ou les intrusions de la Belgique dans ce dossier. Les laïques d'antan, qui ne se proclamaient pas comme tels étaient dans des combats pour l'enseignement ouvert à tous et gratuit, pour les cimetières publics sans excommunication, pour les plannings familiaux, etc. etc. De vrais projets éthiques.
Je ne les porte pas dans mon coeur, vu ce que j'y ai vécu, mais il faut quand même leur laisser ce qu'ils ont fait de bien.
Tout au plus, pour les contes de fées, pourrait-on reprocher le fait que les filles attendent le prince Charmant, ou sont susceptibles de devenir romantiques, romanesques et sentimentales (lol), alors que la réalité ne répondra pas vraiment à cette attente. Il y a des choses bien pires dans les contes de fées qu'un baiser qui réveille une endormie.
Pour St Nicolas je suis d'accord. Sauf qu'il faisait autant peur, je crois, que Zwarte Piet. Dont on voyait parfaitement le maquillage. Alors mettre un rond sur sa mitre, je trouve ça débile, parce que de toute façon, on a le père Noël, et c'est bien suffisant. Et effectivement, c'est un non-sens historique.
Écrit par : Pivoine | 10/12/2017
@ Pivoine : voilà qui me rassure sur les combats de la laïcité... :)
Quant à l'attente du prince charmant, je ne sais pas si c'est culturel ou non. Cela vient probablement du fait qu'à une certaine époque seuls les hommes détenaient le pouvoir.
Écrit par : Feuilly | 10/12/2017
J'aime beaucoup votre commentaire, Pivoine.
Écrit par : Michèle | 10/12/2017
Bertrand, cette loi de liberté qu'est la laïcité, a pourtant une belle date de naissance, le 9 décembre... :)
Écrit par : Michèle | 11/12/2017
Consolons-nous :
il ne reste quand même le grand méchant loup poursuivi par trois petites cochonnes qui voulaient lui faire subir les derniers outrages. Pauvre loup qui était homosexuel…
(Voir les "Contes à faire rougir les petits chaperons" Jean-Pierre Enard)
Écrit par : Alainx | 12/12/2017
@ Alain X : mais même le conte classique du Chaperon rouge finira par être contesté : un loup mâle qui déguste une grand-mère et une petite fille "sans leur consentement", vous imaginez ?
Et puis la mère, qui a cuit des galettes, ça ramène la femme à un rôle purement domestique, non ?
Écrit par : Feuilly | 12/12/2017
Le communautarisme n'est-il pas un moyen pour contourner, ou même pour combattre, la laïcité? Les querelles et polémiques que vous avez mentionnées, ont coexisté et se sont développées avec le communautarisme. Est-ce un hasard? Peu importe les causes de ce dernier- causes multiples qu'il faudrait connaitre pour le combattre-, je ne prends en compte que ses effets. La laïcité est une arme seulement défensive, elle protège quand la règle est clairement enfreinte. Le communautarisme a l'avantage d'une force offensive (souvent sournoise), il peut imposer à la société de nouvelles normes.
Écrit par : Halagu | 13/12/2017
@ Halagu : le communautarisme, oui. Ces groupements qui revendiquent tout et n'importe quoi finissent par imposer leur point de vue.
Écrit par : Feuilly | 13/12/2017
Comme dit Célestine, le monde n'est plus fait que d'opinions, et les réseaux sociopathes en sont les vecteurs, que d'affirmations fortes, de rejets de l'autre, d'insultes, de fermeture à toute autre "opinion". On est automatiquement un fasciste, un sexiste, un raciste, un macho, un imbécile obtus si on a un autre avis... Bravo pour la tentative de "rapprocher" les gens : on ne réfléchit plus, on rejette ...
Écrit par : Edmée De Xhavée | 12/01/2018
@ Edmée : il faut dire que la presse et la télévision jouent sur l'émotion et les sentiments sans arrêt. Rien d'étonnant donc à ce que tout problème soit abordé sans discernement et avec passion. On aime ou on n'aime pas. Si on aime, il y a le bouton de Facebook, si on n'aime pas, on tombe dans des opinions tranchées et on attaque en justice.
Écrit par : Feuilly | 12/01/2018
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