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29/02/2016

L'enterrement

Il était quatre heures du matin quand on frappa à la porte. C’étaient des coups violents et répétés, qui ne s’arrêtaient un instant que pour reprendre de plus belle. Manifestement, le bougre qui était là dehors avait l’air de s’impatienter. Qui est-ce qui pouvait bien venir réveiller les gens à une heure pareille ? Et en plein hiver, alors qu’il faisait nuit noire ! Il fallait que ce soit drôlement urgent…  Le père alluma une bougie et sortit du lit en maugréant. Il enfila un pantalon au-dessus de son pyjama et descendit le vieil escalier dont les marches craquaient. Dans la cuisine, il faisait glacial. De l’autre côté de la porte, l’autre continuait à frapper sans arrêt. Norbert tenta de distinguer par la fenêtre qui cela pouvait bien être, mais les carreaux devaient être gelés car à la lueur de bougie il ne vit que de grandes fleurs de givre qui remplissaient toute la vitre. Il allait bien falloir ouvrir. Il se dirigea vers l’étable et s’empara d’une fourche. Brusquement tirées de leur sommeil, les vaches le contemplèrent de leurs yeux vides, avec un air d’incompréhension. A pas de loup, il se dirigea vers la petite porte latérale qu’il ouvrit sans faire de bruit. Qu’est-ce qu’il faisait froid ! Il aurait dû enfiler un vêtement chaud… Mais aussi quelle idée de venir réveiller les gens à une heure pareille alors qu’il gelait à pierre fendre ! Cet énergumène allait en prendre pour son grade, ça c’était certain ! Norbert longea le mur de l’étable et une fois au coin de la maison, il regarda prudemment. Il était maintenant à quatre mètres du visiteur, lequel continuait à frapper sans arrêt contre la porte principale du logis. Fourche en avant il avança, en prenant garde de ne pas glisser sur les plaques de neige gelées. Quand il fut à un mètre, il hurla : « Qu’est-ce que vous venez foutre ici à une heure pareille ?» L’autre sursauta et se retourna d’un bond. Il était emmitouflé jusqu’aux oreilles et un grand bonnet de laine lui descendait presque sur les yeux. Impossible de savoir qui ça pouvait bien être.

– Norbert, enfin, tu m’as entendu !

– Ca pour t’entendre, je t’ai entendu, c’est certain ! Avec tout le raffut  que tu fais… Mais ça ne me dit pas qui tu es et ce que tu viens faire ici à pareille heure. Il n’y a que les voleurs pour se promener ainsi au milieu de la nuit. Les bons chrétiens, eux, dorment tranquillement dans leur lit.

– Norbert, tu ne me reconnais pas ? Je suis Pierre.

– Quel Pierre ? Personne ne s’appelle Pierre ici au village…

– Non, Pierre, de la ferme de l’Almoine. Suis le fils du grand Jules.

– Pierre ? De l’Almoine ? Mais qu’est-ce que tu fiches ici en pleine nuit ? Ta ferme est à trois jours d’ici.

– Je vais t’expliquer. Mais je meurs de froid, on ne pourrait pas entrer une minute ?

– Si da. Viens par ici, on va passer par l’écurie, car de ce côté, l’huis est barricadé.

Une fois à l’intérieur, Norbert prit la bougie qu’il avait déposée sur le rebord d’une fenêtre et la leva à hauteur des yeux de son visiteur. Celui-ci ôta son bonnet et ce n’est que quand il fut certain que c’était bien là le Pierre de l’Almoine, le fils de Jules, que Norbert déposa sa fourche contre le mur.

– Allez, passe à la cuisine, je vais réveiller Marie et elle nous fera du feu, puis tu me diras pourquoi t’es venu jusqu’ici.

Mais Marie était déjà en bas, l’air inquiet et interrogateur. Quand elle eut reconnu le visiteur, son visage se décomposa. On ne vient pas réveiller les gens à une heure pareille sans que quelque chose de grave ne se soit  produit. Sans rien dire, elle alluma le feu, pendant que Norbert allait chercher deux verres et une bouteille d’eau de vie. Quand les flammes se mirent à crépiter dans l’âtre et qu’il eut rempli les deux verres, il invita Pierre à s’asseoir et à trinquer un coup pour se réchauffer. Marie, elle, resta debout au bout de la table, observant les deux hommes avec attention tout en serrant autour de sa poitrine le vieux châle qu’elle avait enroulé autour de ses épaules et qui cachait tant bien que mal sa robe de nuit rapiécée.

– Allez, m’fi, maintenant qu’on a bu un bon coup, dis-nous un peu ce qui t’amène à pareille heure. Ca doit être drôlement important pour que tu coures les routes en pleine nuit avec un froid pareil et avec la neige qui risque de tomber d’un moment à l’autre.

– Oui, c’est important, pour sûr. C’est la Mélanie qui m'envoie et c’est au sujet du vieil Alfred.

– Mon père ? s’enquit aussitôt Marie.

– Ben oui, n’y en a pas d’autre au village. Il était déjà pas bien costaud, ces derniers temps, mais vl’a qu’il a glissé et qu’il s’est fracassé le crâne sur la grosse pierre en schiste qui sert de seuil à la maison. Il se meurt. Autant dire qu’il est fichu. Le curé est même venu pour l’extrême-onction et du coup on en a profité pour fixer la date de l’enterrement pour ce lundi à dix heures. Maintenant, il doit déjà être mort le pauvre. Ne traînez pas, j’ai mis plus de deux jours pour arriver jusqu’ici et si jamais la neige se met à tomber, vous ne pourrez pas franchir les cols.

– Ben ça alors, si on s’attendait à une pareille nouvelle. Certes, il était vieux, le beau-père, mais quand même… Le problème, c’est qu’il y a les vaches, là, à côté, qu’il faut nourrir tous les jours.

– T’inquiète pas, j’y ai pensé. Je vais rester ici moi et je vais te les soigner, tes vaches. Marie, c’est son père, elle doit être à l’enterrement et ce n’est pas toute seule qu’elle va faire ces deux ou trois jours de marche, à travers forêts et montagnes.

Marie ne disait rien. Le regard fixe, elle serrait un peu plus son châle contre sa poitrine, déjà résignée à ce malheur qui s’abattait sur elle et en même temps parfaitement digne.

– T’a raison mon gars. Marie doit aller enterrer son vieux. Et puis, pour tout dire, ça me ferait enrager que ses frères empochent tout l’héritage. J’ai jamais pu les voir, ceux-là. C’est pas pour rien qu’on est parti habiter bien loin. Bon, Marie, va t’habiller. Prends ta robe noire et surtout quelque chose de chaud car on va geler sur ces routes. Surtout sur les hauts plateaux, c’est là que le vent souffle le plus. Prépare à manger aussi, qu’on ne doive pas aller quémander notre nourriture en chemin. On va prendre le petit chariot et la jument…

(à suivre)

 

Littérature

00:05 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature

27/02/2016

Poésie


01:25 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : chants corses

19/02/2016

Le chemin

Il est des chemins aux lisières du temps,

Des chemins qui serpentent longtemps,

Avant de nous mener au bout de nos rêves.

 

Il est des rêves d’hier et d’aujourd’hui,

Des rêves d’enfance,

Qui nous ont conduits en ces lieux.

 

Ces lieux mystérieux dont je ne sais rien,

Ces lieux où un jour je t’ai rencontrée,

Toute perdue au milieu de tes songes.

 

Des songes étranges et très secrets,

Des songes noirs et bleus,

Qui parlaient de tous les lendemains.

 

Des lendemains qui ne viendront pas,

Des lendemains qui resteront à jamais un rêve,

Puisque nos chemins se sont séparés

A la lisère du temps.

 

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00:06 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature

15/02/2016

La poésie pour survivre


 

Julos Beaucarne chantant Verlaine...

12/02/2016

"Obscurité"

Ci-dessous, une lecture de mon roman "Obscurité" par Christine Brunet :

 

Un père violent, une mère battue dominée, un fils maltraité... Lorsque le monstre s'en prend à la petite sœur, la mère trouve le courage de s'enfuir pour les mettre tous les trois à l'abri.

Fuir... Ne pas se retourner. Quel qu'en puisse être le prix : voici le fil de ce roman.

Jean-François nous propose avec "Obscurité" une sorte de road book à trois sur lequel plane l'ombre implacable du père dépossédé de ses souffre-douleur.

Trois personnages, ballottés au gré d'événements que la mère ne peut surmonter mais qui, peu à peu se découvrent une envie commune de liberté.

Un voyage vécu au travers des yeux du fils qui observe, juge, décide, évolue et va découvrir l'amour.

Des régions, des paysages, des villes émaillent un trajet chaotique, de simples prétextes pour des épisodes jamais très heureux, toujours négatifs au final.

Des rencontres certes fortes mais souvent vécues comme autant de violences : la figure du chasseur violeur, violent, effrayant, ponctue le récit un peu comme ce notaire inhumain, ces gendarmes trop rigides, ces gens qui pourraient les aider mais qui préfèrent les dénoncer.

Une mère et son fil déshumanisés par l'auteur qui leur refuse un prénom comme si les coups du père leur avaient enlevé cette simple existence que donne une identité formelle. La petite n'a pas encore été pervertie tout à fait et s'appelle Pauline : la seule candide de l'aventure, trop petite pour tout comprendre.

La mère inconsistante ne serait pas allée bien loin sans son fils de 12 ans, trop mûr pour son âge, trop lucide. Ce déséquilibre met le lecteur mal à l'aise et participe à ce sentiment lancinant que l'aventure ne peut durer et que cette fuite en avant se terminera mal.

Ce roman porte bien son nom... Obscurité... Celle de l'ombre pesante du père maltraitant, d'une justice aveugle, ou d'un destin inéluctable ? Peut-être celle de l'âme humaine, tout simplement.

Christine Brunet

www.christine-brunet.com

 

A lire aussi ici 

 

Littérature, Obscurité

08/02/2016

Les contes de Perrault

Je me disais, en lisant les contes de Perrault, que la forêt y tient décidément un rôle important. On connaît la forêt du petit Poucet, où le père va perdre ses enfants. Cette forêt est immense et impénétrable ou plus exactement si on y pénètre, on ne peut plus en ressortir. Par ses petits cailloux et ses morceaux de pain (nourriture cuite, qui symbolise la culture par opposition à la nature, nous aurait dit Lévi-Strauss), le jeune garçon tente d’échapper à cette nature sauvage et hostile qu’est la forêt, véritable labyrinthe végétal. On sait que son stratagème ne réussit pas : « les voilà donc bien affligés, car plus ils marchaient, plus ils s’égaraient et s’enfonçaient dans la Forêt. (…) Ils croyaient n’entendre de tous côtés que des hurlements de loups qui venaient à eux pour les manger ».

Mourant de faim, abandonnés par leurs parents  à cause du manque de nourriture qui sévissait au logis familial, le Petit Poucet et ses frères risquent donc bien d’être dévorés tout crus par les loups de la forêt. Quand ils arrivent chez l’ogre, la femme de celui-ci les exhorte à fuir, mais les enfants préfèrent être mangés par l’ogre plutôt que dévorés par les loups.

A l’intérieur, on notera qu’un mouton entier est en train de cuire à la broche (on retrouve donc le thème de la nourriture, cette dernière ne faisant pas défaut chez l’ogre comme c’était le cas chez les parents des enfants). Malheureusement ils n’auront pas l’occasion de se restaurer car ils devront se cacher. L’ogre, lui, malgré tout ce qu’il a mangé, voudra quand même dévorer les garçons. Il ne dévorera en fait que ses sept filles, le Petit Poucet leur ayant enlevé leurs couronnes et les ayant remplacées par les bonnets de ses frères, ce qui induira l’ogre en erreur. Finalement, c’est avec l’aide des bottes de sept lieues qu’ils parviendront à regagner leur logis (par magie, donc), non sans s’être emparés du trésor de l’ogre.

On ne peut que rester admiratif par la piété filiale de ces enfants car alors que leurs parents les avaient abandonnés, non seulement ils reviennent vers eux, mais en plus ce sont eux qui vont subvenir à leurs besoins. Les rôles sont donc inversés, ce qui est une caractéristique des contes. Ainsi c’est Cendrillon, reléguée comme domestique, qui sera choisie par le prince. On retrouve le même thème dans Grisélidis, où le jeune roi refuse toutes les demoiselles de la Cour avant de s’éprendre d’une bergère. Notons qu’ici aussi la forêt a un rôle prédominant puisque c’est au cœur des bois qu’il découvre celle qu’il va aimer. Après s’être perdu lors d’une partie de chasse, il aperçoit la bergère avec ses moutons au milieu d’une clairière. La forêt est si grande et si touffue, que la jeune fille (qui ignore la condition du bel étranger) doit le raccompagner jusqu’à la sortie de la forêt, afin qu’il ne s’égare pas davantage. La forêt est donc bien un lieu hostile, mais comme les contes aiment inverser les valeurs, c’est au cœur de cette forêt que le prince va trouver la seule femme qui soit digne de lui. Certes elle est pauvre, mais elle n’a pas été corrompue par les moeurs de la Cour et son cœur est pur.

Dans Peau d’âne, la fille du roi échappe de justesse aux amours incestueuses de son père en se sauvant, recouverte d’une horrible peau d’âne. Elle survivra en devenant domestique mais là aussi, comme Cendrillon, elle sera remarquée par un beau prince (ce n’est pas par un soulier de verre qu’elle sera reconnue, mais par son anneau, que seul son doigt fin peut porter)

La Belle au bois dormant repose dans un château dissimulé parmi les arbres que les bonnes fées ont fait pousser pour l’abriter du regard des humains durant les cent ans que doit durer son sommeil. Comme par magie, seule le prince charmant parvient à passer entre ces arbres et à réveiller la belle endormie, qu’il épouse aussitôt.

Dans le Chaperon rouge, la forêt n’est jamais loin, non seulement parce que la petite fille rencontre un loup, mais aussi parce que celui-ci hésite à manger l’enfant « à cause de quelques bûcherons qui étaient dans la forêt ». Il préfère donc attendre et l’attirer dans un piège. Elle qui porte de la nourriture cuite (une galette) ou du moins travaillée (un pot de beurre) finira par être mangée toute crue après avoir traversé la nature sauvage qui sépare son village de celui de sa mère-grand.

« Promenons-nous dans le bois, pendant que le loup n’y est pas » chantions-nous quand nous étions enfants…Symbolisant la nature à l’état sauvage, la forêt est donc un lieu d’épreuve où l’individu (le Chaperon est fondamentalement seul, tout comme le Petit Poucet, à qui les frères ne sont d’aucune utilité) va être confronté à de grandes difficultés. Il en sortira généralement vainqueur, mais aura changé. En un mot, il sera devenu plus adulte (le Petit Poucet va nourrir ses parents, la Belle au bois dormant va sortir de l’adolescence pour devenir une femme à marier et bientôt une mère, et Grisélidis, non seulement devient femme, mais aussi reine, elle qui n’était que bergère).

Cependant, pour sortir victorieux de l’épreuve, il faut d’abord accepter de se perdre dans le labyrinthe végétal qu’est la forêt. Certes des sentiers la traversent, mais ceux-ci s’entrecroisent et ne font que perdre davantage le héros. Point d’Ariane ici, pour indiquer la sortie à nos jeunes Thésée. On notera d’ailleurs que les héros sont souvent des garçons et s’il y a des filles, elles ont un rôle plus passif puisqu’elles sont arrachées à la forêt pour devenir reines et mères.

Pénétrer dans la forêt, c’est accepter d’être confronté à son destin. Il n’y aura pas de retour possible dans le sens où on ne ressortira pas comme on y était entré. Dans ce monde végétal, tout est identique (les arbres se ressemblent) et on n‘a aucune vision. Ainsi, le Petit Poucet doit grimper à un arbre pour s’orienter et c’est grâce à une lumière qu’il découvrira la maison de l‘ogre. Tout ce qu’il connaissait n’a plus d’utilité (les morceaux de pain, dernière nourriture qui le rattachait au foyer familial, ont disparu, mangés par les oiseaux sauvages) et il doit affronter son destin seul, en ne comptant que sur lui-même pour échapper au danger. Confronté à un être extraordinaire (l’ogre) le héros devra faire preuve de courage et d’imagination pour s’en sortir (intervertir les couronnes des filles avec les bonnets des garçons ou s’emparer du trésor de l’ogre en faisant croire à sa femme qu’il faut payer une rançon pour son mari qui aurait été attaqué par des brigands).

La forêt n’est donc pas un but en soi, c’est un lieu hostile qu’on ne fait que traverser et qu’il faut parvenir à quitter. A la sortie, le héros est devenu libre, libre d’être lui-même et d’exploiter tous ses talents. Mais avant, il faut accepter de mourir à celui que l’on était, c’est-à-dire un enfant. La Belle au bois dormant meurt d’ailleurs symboliquement lors de son sommeil qui dure cent ans. Autour d’elle tous les domestiques sont eux aussi endormis et quand le prince charmant parvient enfin en ce lieu, il est saisi par la présence de la mort : « C’était un silence affreux : l’image de la mort s’y présentait partout (= dans la forêt), et ce n’étaient que des corps étendus d’hommes et d’animaux qui paraissaient morts ». Le Petit Poucet risque la mort en présence de l’ogre tandis que le Chaperon rouge sera finalement mangé. Mais cette mort préfigure le passage obligé vers un autre état, l‘état adulte et donc le retour dans la communauté des hommes. Ayant vaincu sa peur, le héros a maintenant un rôle à jouer dans la société (les jeunes filles se marient et deviennent des femmes, les jeunes garçons sont devenus des hommes). On notera d’ailleurs avec quelle rapidité les mariages sont conclus, preuve que la finalité du conte est de dire qu’une jeune fille doit devenir une femme et une mère (« et ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants »). L’histoire du Chaperon rouge ne dit pas autre chose car la faim que le loup a de cette fille doit se comprendre comme une faim sexuelle. D’ailleurs il la dévore au sens propre après l’avoir invitée à le rejoindre dans le lit de la mère-grand.

Etant donné le rôle différent assigné aux hommes et aux femmes, on ne s’étonnera pas que là où le jeune garçon traverse la forêt afin d’en sortir, la jeune fille s’y réfugie plutôt provisoirement (voir la forêt qui protège la belle endormie dans la Belle au bois dormant ou Grisélidis qui conserve sa virginité et sa naïveté au beau milieu de la forêt profonde). Notons quand même que c’est rarement de leur propre initiative que les garçons pénètrent dans la forêt (c’est le père du petit Poucet qui décide de perdre ses enfants dans les bois). Faut-il y voir un rite initiatique, la société (les parents) rejetant leurs enfants loin d’eux afin de les obliger à s’assumer seuls et à devenir adultes ? Faut-il même y voir une initiation sexuelle ? Après tout c’est en pénétrant dans la forêt que le roi trouve Grisélidis et que le  prince va réveiller une jeune fille qui l’attendait dans son sommeil depuis cent ans, laquelle va devenir sa femme. L’acte charnel étant tout de suite consommé (après un mariage vite expédié), on pourrait dire que pénétrer dans la forêt est un préliminaire obligé pour posséder une femme et finalement pour pouvoir la pénétrer.

Cette femme n’est jamais victime (pas de viol ici) et est au contraire fort consentante. En trouvant l’amour, elle acquiert aussi un statut social enviable : non seulement elle devient une mère respectable (ce qui, selon la morale du conte, semble être ce pour quoi elle est faite) mais aussi souvent une reine. Réalisation personnelle et réalisation sociale sont pourtant parfois remises en question. Ainsi, si Grisélidis la bergère connaît d’abord le parfait amour avec le roi son mari, celui-ci se montre par la suite si méchant avec elle (il l’humilie, il lui fait croire que leur petite fille est morte ou encore il veut éprouver sa docilité en la répudiant, ce qu’elle accepte humblement) qu’elle perdra provisoirement son statut social de reine en retournant en hardes vivre dans sa forêt (dans une version antérieure à celle de Perrault, on lui hôte même ses vêtements devant toute la Cour et c’est complètement nue qu’elle est reconduite dans les bois). Comme elle croit que son enfant est mort, elle n’est donc plus mère non plus et a tout perdu. L’histoire cependant se terminera bien (ce n’est pas un conte pour rien) et le roi viendra la rechercher, non sans avoir au préalable éprouvé la soumission de sa femme une dernière fois. En effet, il lui demande de devenir la servante de sa future épouse (qui n’est autre que leur fille qui a grandi, thème incestueux s’il en est) ce qu’elle accepte encore. Emu par son bon caractère, il la reprend pour femme et reine et marie sa fille à un noble jeune homme dont elle est amoureuse.

Le destin de la femme semble donc moins enviable que celui des hommes dans les contes. Certes leur passivité et leur soumission leur permettent de devenir reines (pensez à Cendrillon qui accepte son rôle de domestique sans rechigner et qui va même jusqu’à repasser les vêtements de ses soeurs qui vont au bal), mais ce statut social peut donc toujours être remis en question puisque finalement elles dépendent du bon vouloir de leur mari.

Les hommes, eux, quittent l’enfance et trouvent le courage et la liberté d’agir en affrontant la forêt ou bien ils sont déjà au départ rois ou princes. On peut donc dire que le rôle attribué à chacun des deux sexes est très conventionnel.

Il existe finalement beaucoup de cruautés dans ces contes qu’on dit « pour enfants » : le Chaperon rouge dévoré par le loup, le Petit Poucet abandonné dans la forêt et qui a failli se faire manger par un ogre, l’inceste dans Peau d’âne, le dur destin de Grisélidis, etc.. Quant à la forêt profonde, symbole de la nature sauvage, lieu non-culturel par excellence, elle représente le chaos originel qu’il faudra vaincre pour parvenir à un nouveau mode de vie plus harmonieux.

 

Littérature

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01/02/2016

Le chaperon rouge, étymologie

Revenons encore une fois au conte du Petit Chaperon rouge.

Mais avant d’aller plus loin, il conviendrait de s’interroger sur le sens de ce « chaperon ». Ce terme désigne une coiffure à bourrelet terminée par une queue que portaient les hommes et les femmes du Moyen Âge. Selon Furetière, cette coiffure serait restée en usage pour les hommes jusque sous le règne de Charles VII. Pour les femmes, le chaperon était plutôt « une bande de velours qu’elles portaient sur leur bonnet ; et c’était marque de bourgeoisie ». Le terme a désigné également un grand voile dont les veuves se couvraient la tête et le «bourrelet à pendant d'étoffe, garni d'hermine, fixé sur l'épaule gauche de la robe des magistrats, docteurs, professeurs ».

L’idée de base est donc bien celle d’une étoffe qui recouvre. Chaperon est en fait un diminutif de chape.

Le Robert historique nous apprend que « cape », puis « chape » est issu du bas latin « cappa », désignant un capuchon et manteau à capuchon. Notre mot « cape » actuel est de formation savante.

La « chape de plomb » était le nom d’un ancien instrument de torture qui est passé dans l’usage avec une valeur figurée. Sinon, le terme a pris une valeur technique en maçonnerie : la chape qui recouvre un mur.

Le chaperon, quant à lui, est comme je l’ai dit un diminutif de chape et désignait donc une coiffure à bourrelet terminée par une queue. Dans le conte de Perrault, c’est par métonymie que le terme a désigné la petite fille qui portait le chaperon. A mon avis la couleur rouge choisie n’est pas innocente puisqu’elle préfigure le carnage perpétré par le loup. Si on veut bien accepter la théorie qui veut voir dans le conte l’éveil d’une jeune fille à la sexualité (cf. aussi l’expression « voir le loup », « avoir déjà vu le loup ») cette couleur rouge pourrait faire référence aux premières règles de la puberté. Quant à voir une autre allusion sexuelle dans la queue du bonnet, il y a un pas que je ne franchirai pas.

Revenons plutôt à l’histoire de la langue.

Par extension et au figuré, le chaperon a fini par désigner « une personne respectable, généralement d'un certain âge à qui l'on confiait naguère (parfois encore aujourd'hui) pour des raisons de convenance et notamment pour les sorties, la surveillance d'une jeune fille ou d'une jeune femme. » (Dictionnaire de l’Académie, 1932).

Furetière parle de « grand Chaperon » pour désigner ces dames respectables qui accompagnent les jeunes filles. Le Dictionnaire de l’Académie (1694) reprend la même définition : « on appelle figurément grand chaperon les femmes d’âge qui accompagnent les jeunes filles dans les compagnies, par bienséance et comme pour répondre de leurs conduites ».

L’idée de protection que contenait le mot chaperon est donc passée dans le sens moral.

Notons aussi que ce sens du mot « chaperon » renvoyait donc bien une personne et dès lors Perrault n’a eu aucune difficulté à nommer la petite fille de son conte par sa coiffe.

Quant au verbe « chaperonner », utilisé surtout au participe passé, il signifiait à l’origine « coiffé d’un chaperon », mais le sens strict s’est limité au domaine de la fauconnerie (« Petit casque de cuir dont on recouvre le crâne et les yeux des rapaces »).  Au sens dérivé, chaperonner veut dire « accompagner une jeune personne pour la protéger et la surveiller ».

Pour revenir à notre conte de Perrault, on remarquera donc toute l’ambiguïté du terme « chaperon » puisque la petite fille ainsi habillée était supposée être protégée (contre les intempéries, mais aussi moralement) alors qu’en réalité elle est livrée à elle-même sur les routes où rode le loup. C’est d’ailleurs sur les conseils du loup qu’elle prend le chemin le plus long (tandis que le loup prend le plus court). De plus, tandis que le loup se met à courir, la petite fille prend le temps de cueillir des fleurs (reflet de ses états d’âme romantique, préfiguration de l’amour ?)

La couleur rouge, celle du sang, accolée au chaperon supposé la protéger est donc une sorte de contradiction ou si vous aimez les figures de style, un oxymore.

 

Littérature