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20/11/2010

Bilan sur l'écriture d'Obscurité

Quel bilan convient-il de dresser après cette expérience originale que fut la rédaction d’Obscurité ?

 

Tout d’abord, rappeler qu’au départ il ne s’agissait que d’une nouvelle, l’actuel chapitre un, avec l’enfant apeuré dans la cave. On se souvient que ce sont les lecteurs qui ont insisté pour que je poursuive, alors que de mon côté tout ce que j’avais à dire était déjà exprimé.

 

J’ai donc relevé le défi, un peu par jeu, un peu pour leur faire plaisir, mais surtout pour satisfaire mon propre plaisir d’écrire. Au départ, je n’imaginais évidemment pas que mon texte prendrait une telle ampleur. Je pensais à cinq ou six chapitres, sans plus. Et puis voilà. J’ai eu la chance de trouver un fil conducteur (le voyage), qui me permettait à la fois de parler des paysages traversés et d’ajouter une petite intrigue à chaque épisode. Je veux dire par-là qu’il n’y avait pas de plan d’ensemble, je ne savais absolument pas où j’allais aller.

 

Chaque chapitre était donc plus ou moins fermé sur lui-même. J’inventais un incident que je développais et généralement la fin du chapitre restait ouverte, suscitant la curiosité des lecteurs. Souvent, je me suis trouvé entraîné beaucoup plus loin que prévu. Par exemple, quand nos héros partent à Limoges pour trouver une clef, je croyais traiter cela en un  chapitre. Mais voilà, un incident en a amené d’autres. Pauline a failli se faire écraser en rue, puis il y a eu l’accident du sanglier (une route peu fréquentée, le soir…). Comme l’enfant était à l’écart, en train de regarder la pauvre bête qui agonisait, la mère se retrouvait seule sur la route et dans le noir. D’où l’idée de l’agression, ce qui a amené la fuite précipitée en voiture et la nuit passée dans les bois, etc.

 

Au début, les chapitres étaient de plus ou moins 8.000 signes (bonne longueur pour lire un texte sur écran), mais petit à petite et malgré moi ils se sont allongés (plus de 10.000 signes, parfois 12.000). Heureusement, il y  avait les photos pour aérer un peu le texte.

 

La seule chose dont j’ai assez vite été certain, c’est que l’histoire finirait mal et qu’elle finirait par un accident de voiture dans le Verdon. Mais moi, à ce moment-là, j’étais dans la Creuse. En dehors de cet accident du Verdon, tout a été laissé au hasard. Bien souvent ce sont les personnages eux-mêmes qui m’ont guidé (les souvenirs de la mère à Bergerac ou à Beynac par exemple). J’espère que l’ensemble ne donne pas une impression de décousu, c’est le risque. Evidemment, on est pris par l’action et on a envie de connaître la suite, ce qui fait un peu oublier le manque de structure de l’ensemble.

 

Les lieux géographiques cités sont généralement connus de  moi, ce qui était une force pour en rendre l’atmosphère. A part Limoges, où je ne suis jamais allé  et la plage des Landes sous la tempête, j’ai visité et même logé à Beynac, Hendaye, St Julien d’Arpaon, etc. C’était aussi pour moi l’occasion de renouer avec mes souvenirs, certains fort éloignés et remontant à l’adolescence. Les chouettes de La Courtine sont réelles. Je n’ai jamais entendu autant d’oiseaux de nuit que dans cet endroit. Evidemment, ici, le cri de ces chouettes dépasse l’anecdotique pour prendre une autre dimension (la chouette voit dans l’Obscurité à la différence de l’enfant ; son cri est inquiétant, etc.)

 

Qu’en est-il des commentaires ? Le texte a bien pour origine la volonté des lecteurs d’avoir une suite au chapitre un (qui ne s’appelait pas encore le chapitre un). Très vite le dialogue s’est installé en cours de rédaction. Cela a cependant coincé à un certain moment, quand des désaccords sont apparus (l’incident du bain de la mère : on quittait une histoire innocente pour entrer dans autre chose. On ne se concentrait plus sur l’enfant mais sur tous les personnages). J’ai tenu bon car je sentais que mon texte serait plus volumineux que prévu et que j’avais la possibilité de mettre tout les personnages en scène. Vers la fin de l’histoire, je me suis aussi fait plus discret dans mes réponses aux commentaires car chacun voulait me proposer sa propre manière d’envisager la suite et je ne voulais ni me laisser influencer, ni dévoiler ce que j’avais en tête. Le plus dur, c’est quand dans un commentaire je trouvais exactement ce que j’allais dire le lendemain (partir à l’étranger par exemple). J’avais un peu peur qu’on ne m’accusât de plagiat ou que mon roman ne devînt celui de tous. Car si j’ai innové en écrivant en direct, sans relecture de l’ensemble et sans possibilité d’aller rectifier des détails (je devais me contenter des situations dans lesquelles j’avais mis mes personnages et bien souvent je me suis demandé ce que j’allais faire pour les sortir du pétrin où ils étaient allés se fourrer), si j’ai innové, dis-je, en écrivant en direct, ce « roman » ne fut pas non plus une écriture collective et j’ai très vide mis des barrières. J’aurais été incapable de suivre les suggestions des lecteurs, qui m’auraient envoyé l’un à droite, l’autre à gauche au point que j’en aurais perdu le Nord.

 

Pour ma méthode de travail, elle est chaque fois la même et il en a toujours été ainsi.  L’histoire (le thème plutôt) me trotte en tête pendant un ou deux jours. Je n’y pense pas volontairement ni systématiquement, mais à certains moments (en attendant un métro, en se brossant les dents) des idées viennent. Puis elles s’agencent petit à petit. A ce moment, j’ai donc mon plan pour l’épisode suivant. Je sais ce qui va se passer, mais cela tient en quatre mots. Quand je me mets à écrire, je développe ces quatre mots, c’est tout. Cela se fait alors facilement, mais il me faut donc en amont ces deux ou trois jours durant lesquels les idées, encore embryonnaires, germent, sans cela je ne suis incapable d’écrire. Une fois que tout est rédigé, il faut relire, mais je me contente souvent de corriger les fautes de langue, d’améliorer, de modifier, pour rendre une phrase plus harmonieuse, plus musicale. C’est là sans doute ma faiblesse, je ne corrige pas assez. Mais l’avantage, c’est que le texte, malgré ses imperfections, conserve sans doute une certaine fraîcheur.

 

Ce fut parfois un peu stressant de savoir que les lecteurs attendaient la suite, alors que le dernier épisode avait été posté un lundi par exemple, qu’on était déjà le vendredi et que je n’avais encore rien imaginé dans ma tête. D’un autre côté, je reconnais que sans cette pression derrière moi, j’aurais sans doute trouvé mille prétextes pour faire des choses plus urgentes et soi-disant plus importantes (la gestion des tâches quotidiennes). Merci donc à tous.

 

Pour votre information, Obscurité fait finalement 116 pages Word, des pages pleines évidemment. Il comporte 589.889 signes (espaces compris), ce qui n’est tout de même pas rien.  

 

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16:18 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature

Commentaires

Non ce n'est pas rien ! J'avais abandonné la lecture quotidienne lors de notre pause estivale commune. Là, je viens de reprendre et de l'achever.
C'est vrai que ce périple, cette chasse, et finalement cette fin qui se profile tout au long d'un long ruban (quand on lit tout à la suite, le voyage à travers le fil blanc du blog entre deux bleus et celui de la route) ont quelque chose de particulièrement lié au support aussi ; du coup le sentiment de "décousu" donne un fort sentiment de "cousu", c'est très curieux.
Emporté par la curiosité, on ne peut pas tourner les pages pour savoir la suite comme on le ferait dans un livre, on est contraint comme les personnages de suivre le fil. Et la régie du narrateur "assure", comme on dit à présent.

Il faudrait relire le tout sur papier pour se rendre compte d'éventuels défauts de structure. C'est en tous cas une expérience drôlement originale, innovante, c'est vrai, et d'écriture et de lecture, comme de retrouvailles, aussi, avec des paysages et des pays.

Écrit par : solko | 21/11/2010

Et bien, merci pour cette lecture, Solko. Heureux d'apprendre qu'en lisant de nombreux chapitres d'une traite vous n'avez pas eu une impression de decousu. C'est bon signe. Je crois que c'est l'intrigue qui sert de lien, en fait. Quant à savoir s'il y a vraiment un sens profond, au-delà de cette intrigue, c'est un autre problème.

Écrit par : Feuilly | 22/11/2010

Je vais être honnête... J'ai lu pas mal, mais pas tout. C'est un peu dû aux circonstances: un mi-temps chez moi, un moins que mi-temps sur l'ordi, ce que j'écris -péniblement, cfr la fatigue de la nuque et de la tête- et les blogs que je suis...

Mais ce que j'ai lu, j'ai aimé. J'aimerais beaucoup lire le document sur word par exemple, bref, avoir un exemplaire papier. Lire sur écran un ouvrage d'une telle densité est une fatigue, pourtant l'idée de lire des e-books me plairait assez...

Sinon, je trouve l'expérience intéressante. Et j'admire, parce que comprends-tu, (je l'ai souvent dit), je suis dénuée d'imagination fictive... Je ne parviens à sortir que des bribes d'histoire(s) et en plus, dans un genre tout à fait mineur.

Donc, je sais combien "l'art est difficile" et je te tire mon chapeau... Tu ne te sens pas bizarre, par moments? Quand un travail (même plaisant) d'importance est terminé, n'y a-t-il pas une sorte de vide ? Peut-être pas, si tu as d'autres projets !

Écrit par : Pivoine | 23/11/2010

Votre manière d’écrire aurait enthousiasmé Flaubert, car elle répond à la définition qu’il donnait de l’écriture immédiate et qu’il appelait « écriture naïve ». Il disait : «L'écriture naïve est une écriture de la saillie, énergique, immédiate et communicative… Elle n'y met pas les formes, parce qu'elle est une force. » L’écriture immédiate naturelle et spontanée a la force et la rapidité du message qu’elle transmet, « je sens, je pense, je dis.» Le mot n’est là que pour ratifier spontanément- sans se soucier du poli- une image, un sentiment ou une pensée.
Transporté par son enthousiasme, Flaubert le défenseur acharné du style, n’hésite pas à le sacrifier sur l’autel de la spontanéité et d’énoncer : « les naïfs n'ont pas besoin de faire du style, ceux-là ; ils sont forts en dépit de toutes les fautes et à cause d'elles.» Étonnant non ?

Écrit par : Halagu | 23/11/2010

@ Pivoine : pas toujours évident de lire sur écran, en effet. D’autant plus que la police de caractères n’était pas très grande et que chaque chapitre était tout de même fort long.

Pour le reste, oui, cela fait un vide maintenant que tout est fini. En réalité, je n’ai pas encore vraiment arrêté d’écrire (je termine un article pour une revue), mais ce n’est déjà plus de la fiction. Demain, le réveil sera plus dur. D’un côté le vide et de l’autre l’impossibilité de recommencer tout de suite ce genre d’expérience, du moins avec la même qualité de production (hem, hem…). Car ici, je n’avais qu’à suivre les personnages, mais tout réinventer à partir de rien serait très difficile.

@ Halagu. : Je suis très content de cette citation de Flaubert, que je ne connaissais pas. On sait à quel point Flaubert travaillait son style et quelque part j’ai toujours considéré que c’était lui qui avait raison. Un écrivain doit avoir du mal, corriger et retravailler sans cesse. Je ne suis pas vraiment dans cette démarche là, ce qui me laissait dubitatif sur ma réelle capacité à produire un texte. Mais si Flaubert dit que c’est bon aussi, alors cela change tout (sourire).

Transmettre spontanément ce que l’on a en tête, oui, c’est cela.

Mais si « les naïfs n'ont pas besoin de faire du style » que penser des propos de Céline qui disait ceci :
"Des écrivains, ne m'intéressent que les gens qui ont un style. S'ils n'ont pas de style, ils ne m'intéressent pas. Les histoires, y’en a plein la rue des histoires. J'en vois partout n'est-ce pas des histoires, plein les commissariats, plein les correctionnelles, plein votre vie, tout le monde a une histoire et mille histoires..."

J’ai bien peur que ce ne soit lui qui ait raison.

L’inconvénient avec Obscurité, c’est que c’est une histoire qui vaut par son intrigue, mais qui n’a pas de style au sens où Céline l’entend. Je veux dire que ce sont des mots simples, une écriture correcte, certes, mais un style classique, neutre, celui que tout le monde emploie dans sa vie de tous les jours. Mais comme vous le disiez ailleurs, en retravaillant le tout, on risquerait de perdre la spontanéité initiale et donc de ne rien y gagner.

Écrit par : Feuilly | 23/11/2010

Si l'on revient sur cette "histoire des écritures" que compose Flaubert, - et que résume admirablement Philippe Dufour, de l'Université François Rabelais à Tours -, on trouve une autre caractéristique à l'écriture "naïve" telle que la définit Flaubert : c'est son caractère encyclopédique.

Philippe Dufour rappelle que "Flaubert lit pour écrire. Que durant la période 1845-1857 en particulier, ses lectures littéraires parachèvent son apprentissage et lui donnent son esthétique, dans un jeu de confrontations. D'un côté, les figures admirées du passé, que ce soient les grands génies naïfs, qui inspirent à Flaubert son dogme de l'impersonnalité, ou les maîtres de l'âge classique, qui rappellent l'inspiré à la patience. De l'autre, les figures rejetées de l'époque contemporaine : œuvres informes du romantisme sentimental, œuvres sans art des réalistes, œuvres sans âme de la littérature industrielle."


Aujourd'hui, notre bibliothèque est riche de toutes les écritures, présentes et passées.
Si la littérature s'invente pour dire le monde, alors s'inventent et continueront de s'inventer, des mots inédits, selon des syntaxes inédites, peut-être improbables.

Écrit par : Michèle | 24/11/2010

Bon, ben... c'est un peu le sujet du billet suivant

Écrit par : Feuilly | 25/11/2010

J'ai vu, oui. Tu n'as qu'à enlever mon commentaire, devenu inutile.

Écrit par : Michèle | 25/11/2010

Pour en revenir 'stricto sensu' à "Obscurité", cette façon d'écrire chaque fois sans relire les textes précédents, au fond c'est comme si chaque fois tu commençais quelque chose (au lieu de le continuer), et le texte en a gardé du nerf de bout en bout.

Écrit par : Michèle | 11/12/2010

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