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22/10/2010

Obscurité (55)

 

 

 

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Ce ne fut pas bien facile de trouver ce troisième garage. Enfin, si on pouvait appeler cela un garage... C’était plutôt une sorte de prairie encadrée par une palissade de tôles de toutes les couleurs et de toutes les dimensions. Là-dedans, il y avait bien une centaine de véhicules, dans tous les états possibles et imaginables. Certains semblaient quasi-neufs, d’autres n’avaient plus de pare-chocs ou avaient les vitres brisées, d’autres encore étaient sans moteurs et laissaient béer un capot désespérément ouvert. De nombreuses voitures étaient même méconnaissables. Déclassées lors d’un accident ou brûlées lors d’une émeute, elles offraient des carcasses de tôle déchiquetée ou calcinée, quand ce n’était pas les deux à la fois. Il y avait aussi des sièges qui traînaient un peu partout. Certains, éventrés, laissaient échapper leurs ressorts. Abandonnés là depuis des années, malmenés par les hivers rigoureux et les étés torrides, ils ne ressemblaient plus à grand-chose. Dans ce cimetière, une bonne dizaine d’hommes s’affairaient à démonter des pièces. La mère les regarda d’abord distraitement, puis avec incrédulité quand elle s’avisa qu’ils faisaient partie de la clientèle. Manifestement, chacun allait chercher ce qui lui convenait dans ce tas de ferraille et ensuite on passait à la caisse pour payer. Elle était tombée dans une sorte de self-service des pièces détachées, il ne manquait plus que cela !

 

Cela ne l’arrangeait pas beaucoup car elle ne voyait pas comment elle allait repérer un démarreur sur une vieille 206 ni surtout comment elle allait s’y prendre pour le démonter sans casse. C’est donc avec une certaine appréhension qu’elle franchit la porte de la petite cabane qui servait de bureau. Trois hommes étaient en train de discuter avec le patron, mais tout le monde se tut quand elle entra. A part le patron, personne ne répondit à son bonjour et elle se sentit aussitôt mal à l’aise. Mais déjà on ne faisait plus attention à elle et la conversation reprenait. A vrai dire, elle ne comprenait pas grand-chose à ce qui se disait. On parlait de vilebrequin, d’arbre à cames, de vérin rotatif ou de silentbloc, bref on employait un tas de termes qu’elle ne connaissait absolument pas et elle en était à se demander si ces gens-là s’exprimaient bien en français. Ben oui, pourtant. Le malaise qu’elle avait ressenti en entrant s’amplifiait. Elle se sentait vraiment étrangère dans ce monde d’hommes, à mille lieues de leurs centres de préoccupation à eux. Parfois, un des locuteurs la regardait à la dérobée et cela l’agaçait vraiment. Elle avait l’impression d’être une bête curieuse qui aurait débarqué d’une autre planète.

 

(...)

00:16 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature

Commentaires

Aïe l'étau se referme...

L'épisode "voiture" et "garagiste" est très réaliste, je m'y serais cru, "petite dame" compris !

Écrit par : Cigale | 22/10/2010

J'aime que la voiture soit le symbole des emmerdes, c'est très vrai. A ajouter dans la liste des affreux: le garagiste!

Écrit par : Natacha S. | 22/10/2010

Oui, l'étau se referme, en effet. Quant aux voitures, elles permettent de se déplacer, pour le reste ...

Écrit par : Feuilly | 22/10/2010

Aïe !!!

Écrit par : Débla | 23/10/2010

Il me plaît de penser que ce personnage de la mère n'était pas programmé pour le malheur. Que si le malheur lui advient c'est parce qu'elle l'a croisé sur sa route (je ne parle pas de la chaussée), comme il nous arrive de jouer de malchance ou de voir le sort s'acharner sur nous.
Comme le dit Sylvie Germain (Les personnages), la vie est aussi prodigue en bonnes qu'en calamiteuses surprises, mais les funestes sont plus spectaculaires, voilà tout.

Écrit par : Michèle | 25/10/2010

On écrit rarement le roman de personnages heureux qui mènent une vie où il ne se passe rien.

Écrit par : Feuilly | 25/10/2010

Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je voulais dire que ce qui arrive aux personnages est l'indice de leur humanité, l'indice de leur appartenance à l'immense et tumultueuse communauté humaine. Qu'à ce titre, ils sont aussi libres que chacun de nous, de se frayer ou pas, un chemin lumineux dans l'histoire qu'ils ont suscitée.
Ce n'est pas tant la situation de catastrophe qu'ils peuvent vivre, qui a de l'importance, que cette faille qu'ils ouvrent en nous qui les faisons entrer dans notre vie.

Écrit par : Michèle | 25/10/2010

Cette faille qu'ils ouvrent en nous. Oui, en tout cas c'est ce que j'essaie de faire passer.

Écrit par : Feuilly | 25/10/2010

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