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19/12/2009

Des mots, des livres et des lecteurs

Une pause automnale se doit de finir en même temps que l’automne. Il est grand temps, dès lors, de reprendre notre plume et de tenter de trouver notre chemin à travers les mots.

 

Mais que sont les mots, finalement ? Quel sens ont-il vraiment ? Attribuons-nous tous, au même mot, le même sens ? On dit que les dictionnaires ont trente ans de retard sur la langue qui est réellement parlée. Sans doute en va-t-il de même pour nous. Après tout, nous ne faisons que répéter ce que notre instituteur nous a enseigné et lui-même restituait ce qu’on lui avait appris. Ce qui fait qu’entre ce qu’un enfant de six ans apprend sur les bancs de l’école et le sens réel des mots dans la rue au même moment, il y a déjà un écart non négligeable. Par la suite, nous évoluerons peu, ce qui fait qu’un même terme n’aura pas vraiment la même signification selon qu’il est employé par un grand-père ou par son petit-fils. Heureusement, ils parviennent encore se comprendre, mais il n’est pas sûr que les vocables qu’ils utilisent aient vraiment la même signification.

 

De plus, comme chacun sait, chaque mot peut avoir des sens différents et c’est le contexte seul qui détermine lequel il faut choisir. Quant à savoir si nous opérons tous le même choix, c’est une question qui est vaine, car nul ne pourrait apporter de réponse.  En effet, à côté de la signification classique qu’on trouve dans le dictionnaire (je devrais dire à côté d’une des significations classiques) chaque mot a des connotations annexes, des nuances parallèles, qui font qu’une sorte d’aura un peu mystérieuse l’enveloppe. Dans cette aura, dans ce brouillard, chacun de nous va puiser ce qui l’intéresse, selon sa culture, ses affinités, sa sensibilité. Du coup, on pourrait se demander si une même phrase (qui comporte quand même pas mal de mots) est vraiment comprise de la même manière par deux personnes différentes. Nous-mêmes, quand nous lisons un livre, pouvons-nous toujours avoir la prétention d’avoir deviné exactement ce que l’auteur voulait dire ? Non bien sûr. L’écrivain, de son propre aveu, n’a déjà fait qu’approcher la réalité qu’il voulait exprimer, il l’a rendue tant bien que mal et plutôt mal que bien. De notre côté, nous venons avec nos préjugés, nos imperfections, notre méconnaissance de la matière traitée (que puis-je comprendre à la Sicile ou à la Scandinavie si je n’y ai pas vécu au moins vingt ans ?), notre différence d’âge, de nationalité et nous tentons tant bien que mal de saisir le sens de ce que nous lisons.

 

Souvent, un livre prend de l’importance à nos yeux quand il parle d’une réalité que nous comprenons. Nous sommes fiers alors de nous rende compte qu’un écrivain célèbre s’est penché sur les mêmes problèmes que nous et y a apporté des solutions semblables aux nôtres. Illusion probablement que tout cela. Sans doute extrapolons-nous à partir de son texte et tentons-nous d’y trouver ce qui en fait est enfoui au plus profond de nous-mêmes. Entre ce qu’a tenté de dire l’auteur et ce que nous faisons semblant de comprendre, existe un hiatus qui n’est pas près d’être comblé. Enfin, ce n’est pas grave, au moins cela nous fait réfléchir et nous apprend à nous connaître. Gnautis eauton, disait Socrate. « Connais-toi toi-même ».

 

Remarquez aussi que chaque lecteur, quand il aborde un nouveau livre, vient avec toutes ses lectures antérieures, lesquelles vont influencer d’une manière ou d’une autre la manière dont il va percevoir ce texte encore inconnu de lui. Certains passages vont évoquer pour lui tel ou tel extrait lu antérieurement, lequel va influencer sa compréhension du fragment qu’il a sous les yeux. Ainsi, si on a beaucoup parlé de l’intertextualité (les auteurs ne faisant que se recopier et s’imiter les uns les autres, volontairement ou non), il conviendrait maintenant de redonner au lecteur la place de choix dans le phénomène littéraire, car que vaut un texte s’il n’est pas lu et surtout que vaut-il s’il n’éveille rien chez le lecteur ? Or nous venons de voir qu’il n’éveille que ce qui se trouvait déjà dans les consciences (même si c’était bien enfoui). L’auteur est donc moins un homme qui donne sa version des choses (mais il est cela aussi et même d’abord cela) qu’un éveilleur de conscience. C’est sans doute cela que nous recherchons dans les livres, une manière de renouer avec nous-mêmes, avec notre moi le plus profond. En d’autres mots, si les livres nous plaisent, c’est parce qu’ils parlent de nous (ou nous font croire qu’ils parlent de nous), sinon, pourquoi croyez-vous qu’il y aurait autant de lecteurs ?

 

Allons, plus sérieusement, disons que les grands livres traitent de l’homme, ils sont universels et c’est en tant que tels que nous les lisons et qu’ils nous intéressent.

 

 

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Image Internet

Commentaires

Le sens premier des mots, celui des dictionnaires. Et autour, les "sens latéraux", comme dit Borges.
Les harmoniques du mot : les mots de sonorité voisine, qui se mettent à vibrer en lui quand on l'énonce.

ORGUEIL
"Or-gueil...Une oriflamme immense se déploie, une colonne d'or se dresse dans le ciel."
(Nathalie Sarraute, "disent les imbéciles")

OBSEQUES
"Obsèques, obscène. Ces deux mots l'obsèdent, ils tournent en rond agrippés l'un à l'autre, deux mouches accolées vrombissant dans le vide du crâne."
(Claude Pujade-Renaud, "Un si joli petit livre")

Écrit par : Michèle | 20/12/2009

"et nous tentons tant bien que mal de saisir le sens de ce que nous lisons" : voilà pourquoi le meilleur moment de la lecture est encore la relecture : c'est alors seulement qu'on peut parler de littérature véritable, et non pas de littérature de consommation, au sens propre du terme (consommer = détruire par l'usage). Je lis, je relis, je n'épuise pas, ni le texte, ni ses références, ni moi-même. C'est alors aussi qu'on peut parler de la lecture comme d'une véritable école d'écriture.

Écrit par : solko | 20/12/2009

Je trouve très justes les propos de Solko : il y a des textes denses sur lesquels on revient régulièrement. Des livres qui nous accompagnent tout du long.

S'agissant de la présence des livres dans notre vie, je pense à la magnifique réflexion de Danièle Sallenave dans "Le Don des Morts" :

"Ce qui sépare les hommes le plus gravement, le plus radicalement, ce n'est pas l'argent, les places, la réussite, l'accomplissement social, ce n'est même pas la "culture", c'est la lecture : la présence ou l'absence des livres dans la vie quotidienne. Cette différence aggrave toutes les autres.
Les livres ne remplacent rien, ils ne sont le substitut de rien : ni des honneurs, ni de l'argent, ni des places, ni de la culture, ni des accomplissements personnels, des satisfactions ou des honneurs privés ; mais rien ne remplace les livres, rien ne peut se substituer à eux. Sans les livres, toutes les vies sont des vies ordinaires, même comblées d'argent, d'honneurs, de places, d'accomplissements, de satisfactions et de bonheurs privés. Aux honneurs, aux places, à l'argent, les livres ajoutent ceci : ils incluent cette vie que nous menons (basse ou élevée, riche ou pauvre) dans la grande histoire, dans la grande trame du monde. Le livre est ce qui me fait communiquer avec les autres, avec les oeuvres, pensée et expression des vivants et des grands morts, avec les humanités, avec le monde. Le livre est l'autre nom du procès d'humanisation de l'homme : il dit qu'on ne naît pas homme, qu'on le devient. Ce sont les livres qui font de ma vie la participation à cet élan mystérieux et confus qui nous associe tous sans interruption depuis qu'à "l'origine" est né le goût de raconter."

Écrit par : Michèle | 20/12/2009

@ Michèle : Elle est magnifique cette citation de D. Sallenave. Je vous la "pique" pour la soumettre au jugement de quelques élèves, en janvier...
@ Feuilly : Je vous prie de m'excuser, je fais un peu comme chez moi...

Écrit par : solko | 20/12/2009

les mots "je" de " l'égo" ...Les mots lus, les mots écrits, les mots dits, les mots compris , le ton .
J'aime bien cette chanson qui ne parle que de mots tout simplement.
http://www.youtube.com/watch?v=3tT0g1bJGxE

Écrit par : ellesurlalune | 21/12/2009

@ Solko : relire en effet, pour mieux atteindre la « substantifique moelle ». C’est à la relecture, d’ailleurs, qu’on acquiert la certitude qu’un livre est vraiment grand. S’il ne nous déçoit pas mais dévoile au contraire des trésors cachés qu’on n’avait pas toujours soupçonnés la première fois, alors on sait qu’on est devant un vrai écrivain.

@ Michèle : oui, la lecture, comme une étrange barrière qui classe les gens cultivés en deux catégories. J’ai été parfois surpris de voir que d’éminents juristes ou des ingénieurs hautement qualifiés n’ouvraient jamais un livre (ce qui ne les empêchait pas de se tenir à jours dans leur domaine par des revues spécialisées).

@ Ellesurlalune : Oui, qui dira jamais le pouvoir des mots, la fascination qu’ils exercent sur nous ?

Écrit par : Feuilly | 22/12/2009

Exact, cher Feuilli, lire un livre, ce n'est déjà pas mal, mais le relire, c'est s'y relier (tiens, un anagramme!), c'est retrouver vingt ans plus tard des mots qui ont peut-être changé de sens, à moins que nous ayons changé nous-mêmes, ou qu'ait changé le sens que nous leur donnons. Le sens que l'on donne aux mots ? Les mots que l'on donne aux sens ? Les mots prenant un sens interdit ? Les mots tus, les mots dits, les mots lestes ? Les mots qui éveillent des sens l'essence ?

Mais j'arrête le joujou des mots car cela me rappelle ce petit poème extrait de mon recueil "Amour, Humour Fantasmes et (R)appels" (Ed. S.T. 1999 & lect. publ. Journée du Livre 23.4.06):

" Poème d'amour, que n'es-tu l'amour même ?
Tu comblerais bien de gouffres esseulés
remplis à ras bord de vouloir dire je t'aime,
mais vides de tout espoir de se voir aimés.

Poésie d'amour, oh cruelle coquette!
Par tes mots dits et tes allusions pensées,
tu chauffes le coeur et montes à la tête,
mais ne laisses en fin de compte qu'un champ dévasté

entre muse et poète et poète et livre,
dont seul une femme peut boire le vin d'amour,
seul une femme, boire les paroles qui enivrent
de ses sens l'essence bien mieux que maints discours.

Une fois la poésie d'amour envolée,
comme l'oeil du prince au bec de l'hirondelle,
ne me reste que la joie de l'amour donné.
Le prince savait - moi j'ignore tout de la belle,

dont les sens frémissent sous les mains aimées
dans le sens des mots distillés par mes vers
à dix mille lieues de son tendre hyménée,
dont ma plume complice l’accès à découvert."

Bonnes fêtes à toi et à tous les amis de ce blog!

Écrit par : giulio | 22/12/2009

J'aime bien ces échanges où on répond à un texte par un poème.

Écrit par : Feuilly | 23/12/2009

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