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10/03/2009

Réflexion sur le terme "écrivain" (2)

Sur son blogue "L'exil des mots", Bertrand Redonnet avait développé quelques idées suite à ma note précédente. Voici mon point de vue sur la question, qui prend sans le vouloir la forme d'un échange épsitolaire.

Bertrand, merci pour cette longue réponse.

Pourquoi je m’obstine sur ce thème ? Parce que si c’est le lecteur qui donne tout son sens à un texte écrit, de la même manière c’est le regard de la société (qu’on le veuille ou non) qui fait l’écrivain.
Un grand-père qui ferait les devoirs avec ses petits-enfants ne peut être qualifié d’instituteur, même si, peut-être, il explique mieux la matière qu’un enseignant officiel dûment diplômé. De même, celui qui cuisinerait chez lui avec grand art ne peut être qualifié de cuisinier. Pour cela il doit travailler dans le secteur de la restauration.

Mais je ne veux pas spécialement faire de l’art d’écrire un métier. D’ailleurs il n’y a heureusement ni école ni diplôme d’écrivain (je ne sais quels écrits académiques pourraient sortir de ce genre d’établissement). Il est donc logique que l’écrivain, en dehors de son activité d’écriture, trouve un moyen quelconque pour subsister, là n’est pas le problème.

Le problème, c’est de savoir à partir de quand quelqu’un qui a, comme tu dis, des velléités d’écriture, peut se qualifier d’écrivain (et on laissera le talent réel ou supposé de côté pour les besoins de notre démonstration).

L’écrivain est selon toi un homme qui écrit. Mais alors tous les adolescents qui tiennent un journal intime seraient des écrivains ? J’aurais tendance à dire, plus raisonnablement, qu’ils font œuvre d’écriture. D’ailleurs on sent bien que cette première définition ne te satisfait pas non plus puisque tu en propose aussitôt une deuxième, qualifiée très justement de «sociale » (preuve que c’est bien le regard des autres qui me positionne comme auteur). Ici, serait écrivain tout qui publie et touche des droits d’auteur.

C’est là que le bât blesse. En effet, pas plus qu’il n’y a d’école d’écrivains, il n’y a de profession officiellement reconnue. Et comme chaque auteur, en gros, tire ses revenus d’une autre activité, il y a confusion. Ecrire n’est pas un métier puisqu’on ne peut en vivre, mais bizarrement on a tendance à qualifier d’écrivain celui qui, par le nombre de livres parus et par la réputation qu’il s’est acquise, donne l’impression de ne pas avoir d’autre activité que l’écriture.

Tu me dis que je suis un écrivain. C’est très gentil, mais je n’arrive pas à y croire. Je serai écrivain le jour où des éditeurs auront bien voulu éditer quelques-uns de mes manuscrits (car ce sont eux qui délivrent le laissez-passer, en ayant estimé en tant que professionnels que mes écrits ont de la valeur).

Tu me diras que tu penses beaucoup de mal des éditeurs, qui ne font pas bien leur travail et tu auras raison. Malheureusement, en effet, ils viennent souvent avec des critères contestables, qui ne sont pas les nôtres, mais il n’en reste pas moins que ce sont eux qui dans un premier temps te sacrent écrivain. Après, il faut encore que le public suive.

Maintenant si tu me donnes un de tes textes à lire ou si Débla (puisque tu parles d’elle), fait pareil, il est évident que dans mon fort intérieur je vais vous considérer comme des écrivains. Mais Débla qui n’est pas encore parvenue à être publiée (pas plus que moi donc) peut-elle dire à sa voisine ou au boulanger du coin de sa rue qu’elle est un écrivain ? Non, bien sûr, ces personnes éclateraient de rire parce qu’ils n’auraient pas connaissance de l’existence du moindre manuscrit. C’est bien la preuve que pour pouvoir officiellement se dire écrivain, il faut donc une certaine reconnaissance du public. Je n’ai pas dit qu’il fallait passer tous les huit jours à la télévision et avoir trois millions de lecteurs, mais être reconnu par un certain nombre d’initiés me semble être le minimum. En fait, j’ai un peu l’impression qu’on est en présence de cercles concentriques. On est d’abord reconnu par quelques amis, puis on est publié. Ensuite, on peu avoir une certaine notoriété dans sa région (sans pour autant être un écrivain régionaliste), puis enfin être reconnu sur le plan national, voire international (avec ce paradoxe que les auteurs les plus connus ou les plus traduits ne sont pas forcément ceux qui offrent la meilleure littérature, du moins pas toujours).

C’est dans ce contexte déjà passablement embrouillé et qui manque de visibilité et de clarté, que sont apparus les blogues, qui ont permis à tout un chacun (et à moi le premier), de venir s’exprimer. Les quatre millions de blogueurs qu’il doit y avoir en France sont-ils tous des écrivains ? Non, nous sommes d’accord pour n’en retenir qu’un certain nombre, ceux qui font de l’écriture et de la transmission d’un certain message leur objectif. Pourtant, il faut tenir compte du fait que ces blogues non littéraires que nous classons un peu vite comme inintéressants ont tout de même permis à un certain nombre de personnes de (re)prendre la plume, depuis l’adolescent qui enfin aligne des phrases de plus de trois mots jusqu’à la mamy qui se croit de nouveau à l’école devant sa rédaction. Ces gens-là sont-ils des écrivains ? Mummm. Ils écrivent en tout cas. Et nous, avec nos blogues pompeusement qualifiés de littéraires, comment serions-nous perçus par des écrivains reconnus ? Comme de piètres imitateurs, comme des gamins qui veulent jouer dans la cour des grands, en tout cas pas comme de véritables écrivains.

Donc, bien sûr qu’on se moque du deuxième métier d’un auteur et il est évident que la vie militaire de Choderlos de Laclos ne nous intéresse pas comme telle et qu’elle ne porte pas ombrage non plus à sa qualité d’écrivain. Mais tu le dis toi-même, « le lecteur est souverain dans son plaisir». C’est donc lui qui me sacre écrivain. Encore faut-il avoir des lecteurs. Et pour en avoir (en dehors des blogues), il faut être édité. Et pour être édité…



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Commentaires

"Qu'il soit bon ou mauvais, un écrivain est d'abord un acharné de travail". Cet immense temps de travail (de lecture et d'écriture étroitement liés), existe ou pas. Des qui écriraient sans lire ni travailler l'écriture au corps, je n'y crois pas.

"J'ai d'abord l'impression de faire ce que j'ai à faire, ce que je peux faire. Je me sens libre, mais dans une marge de manoeuvre qui n'est pas infiniment extensible. Ma vie porte en partie d'autres vies, et j'y tiens. D'où peut-être le creusement plutôt que la découverte horizontale et le voyage. Je ne raisonne pas mon parcours, je le constate, et n'ai aucun regret. Je n'ai jamais envié Rimbaud, Perse, Claudel...parce que je ne pouvais pas vivre leurs vies, et je n'ai jamais souhaité être du côté des maudits (Nerval, Corbière, Artaud...) ou du côté des cérébraux (Mallarmé, Valéry...). Je mène une existence banale, commune, moyenne...donc je creuse, écris là.
L'azur mallarméen, pour lui oui, pour moi non. Je suis persuadé qu'il n'y a rien d'autre à partager que la vie basse, la vue basse, le ras de terre, et puis creuser jusqu'à lui donner une profondeur.
La métaphysique, s'il en est besoin, n'est pas stratosphérique, elle naît du rien ici-bas creusé, autrement dit la tombe. La question de la fin est la question puisqu'à partir d'elle prennent sens toutes les autres, et surtout celle du temps. Qu'est-ce qu'on fait d'une vie ? Le poème ramène inlassablement là, même quand il finit par garder trace pour plus personne."

Qui a écrit ça ? (Ce n'est pas NArval...)

Écrit par : michèle pambrun | 10/03/2009

Moi-même ici, et je demande que vous, me pardonniez mon immodestie et que l'auteur - ou sa mémoire - de votre citation n'en prenne point ombrage :
http://lexildesmots.hautetfort.com/archive/2009/02/04/quand.html

Écrit par : B.Redonnet | 10/03/2009

Je vous livre ici mes réflexions ...Mon parcours d'écriture est assez confus encore. J'ai voulu écrire l'histoire de ma vie pour laisser un héritage à mes petites filles ... J'ai déposé ce manuscrit comme tel ... Mais en écrivant s'est réveillé le goût des mots , et pas seulement ceux qui se traduisent par l'écriture , mais la lecture aussi que j'avais abandonné...
J'ai trouvé vos blogs à Bertrand et toi , j'y ai trouvé ' la patte de l'écrivain ' un vrai talent, des textes qui emmènent dans vos imaginaires ...Pour ma part j'ai du mal à partir de rien à bâtir un texte, y donner du corps .. J'ai besoin de puiser dans ma vie ,dans mon expérience passée pour laisser filer quelques impressions ...
Je ne sais pas répondre à la question : à savoir à partir de quand , nous pouvons nous considérer ou pas comme écrivain ... Ma réflexion a ce sujet est encore trop restreinte ....

Écrit par : Débla | 10/03/2009

Je trouvais que je faisais un peu trop de citations, mais je suis ravie que le fragment que je citais dans mon commentaire (extrait de "Cambouis" d'Antoine Emaz), fasse venir votre très beau texte, Bertrand.

Écrit par : michèle pambrun | 10/03/2009

Ce que dit Débla est très significatif de notre propos : Le goût d'écrire et à quel moment peut-on se réclamer de cette "confrérie" (au sens large) qui partage le même goût de se transmettre par des mots ?
Est-ce que ceux qui écrivent dans l'ombre avec conviction ne sont pas plus écrivains que tous les pourceaux qui ne le sont que par circonstances particulières, souvent extérieures à eux ?
(Je ne parle pas ici de ceux qui sont écrivains, qui sont connus parce qu'ils méritent de l'être et que la dynamique sociale, justement, ne s'y est pas trompée en les reconnaissant comme artisans et artistes de la littérature...)
Le débat serait sans fin...Il se mord la queue...L'erreur est de vouloir qualifier, cerner, savoir qui est qui...Un poète, tiens, c'est qui ? Un gars qui écrit des poésies ? Non. En tout cas pas forcément. C'est un gars qui vit sa vie avec une certaine sensibilité, désinvolture, qui voit le monde autrement que par la lorgnette des sentiers battus. Il n'a pas besoin de poèmes. S'il en fait et s'ils sont bons, tant mieux pour nous, mais ça n'est pas nécessaire.
On ne devient pas poète si on ne porte pas en soi du chaos, comme disait en substance le Zarathoutra.
J'ai connu un tas de gars et de garces (vieux français) qui vivaient leur vie en poètes, avec une sensibilté au couteau, une honnêteté sans concession, avec une vision acerbe des choses et des hommes, dans une joie ou solitude sans ambages, loin des turpitudes de l'exigence de survie.
Ces gens-là, pour la plupart, se fussent-ils mis en devoir d'écrire des poèmes, qu'ils auraient été, pour la plupart, assurément ridicules !

Pour mon auto-citation : si deux êtres qui ne se connaissent ni des lèvres ni des dents, qui ne se sont jamais lus, disent à peu près la même chose, le mérite en revient exclusivement à la réalité sous-jacente de la vie, réalité qui s'impose à l'écriture et non l'inverse.

Écrit par : Bertrand.Redonnet | 10/03/2009

Bon, bon, vous allez tous finir par me convaincre si cela continue...

Écrit par : Feuilly | 10/03/2009

Mon avis rejoint celui de Bertrand.Redonnet mais est tout de même très proche également de l'avis exprimé dans ce billet. Disons que de coeur je crois qu'un écrivain est écrivain s'il a du talent quand bien même il brûle tous ses textes sitôt écrits sans jamais les faire connaître à quiconque, mais de raison je ne puis m'empêcher de donner quelque crédit à l'éditeur, au public qui fait d'un "écrivant" un écrivain. Je tiens à préciser que le crédit que je leur accorde n'a strictement rien à voir avec leur perception ou définition du talent mais uniquement avec le pouvoir de certains de publier, des autres de permettre la célébrité (même éphémère ou restreinte).

J'apprécie, par exemple, tels textes d'une personne qui n'a jamais pas même publié un seul mot dans une revue à tels autres tirés à des milliers, voire des millions d'exemplaires ; pourtant je dirais de la personne ayant été publiée qu'elle est écrivain et de la première qu'elle écrit.
Ce qui revient à peu près au même et me fait penser que je néglige trop l'avis qui correspond le plus à ma vision des choses, à savoir, permettez, Monsieur Bertrand Redonnet, que j'use de vos paroles en supprimant l'interrogation : que ceux qui écrivent dans l'ombre avec conviction sont plus écrivains que les pourceaux qui ne le sont que par circonstances particulières, souvent extérieures à eux.

Écrit par : Meriem | 10/03/2009

@ Meriem
"pourtant je dirais de la personne ayant été publiée qu'elle est écrivain et de la première qu'elle écrit." Voilà, c'est un peu cela que je ressens. Intérieurement je reconnaîtrai la qualité de cet "amateur" qui écrit si bien, je trouverai son texte admirable, mais je n'oserai pas le qualifier d'écrivain en public. Je réserverai ce terme à l'autre personne même si au fond de moi je trouve ses livres un peu faibles. Je penserai qu'il usurpe son titre ou que la société l'a consacré un peu vite écrivain.

Écrit par : Feuilly | 10/03/2009

@ Feuilly
Je suis entièrement d'accord avec vous.

p.-s. et je ne manquerais sans doute pas de souligner l'absence de talent de l'écrivain "officiel" (sauf s'il en a, vien sûr). -sourire-

Écrit par : Meriem | 10/03/2009

Pour souligner cette absence de talent, faites-nous confiance...

Écrit par : Feuilly | 10/03/2009

:)

Écrit par : Meriem | 11/03/2009

Xavier Patier, dans un très joli petit livre "Horace à la campagne" où il rend hommage au poète romain, a cette formule que j'aime beaucoup (je cite de mémoire)
"il est des auteurs de livres qui ne sont pas écrivains et des écrivains qui n'ont jamais écrit de livres".
il me semble que ça dit tout...

Écrit par : Rosa | 11/03/2009

Et merci pour les blogues inintéressants dont les auteurs ont retrouvé le goût d'écrire.
Un peintre du dimanche ne s'est jamais pris pour Rembrand et personne n'ironise sur leur goût de barbouiller la toile donc pourquoi n'en serait-il pas de même pour les écrivassiers de la blogosphère qui ont plaisir à galoper sur leur clavier pour le plaisir des mots qui défilent ?

Écrit par : Rosa | 11/03/2009

Excusez-moi de lire dans le désordre, j'aurais peut-être dû commencer par les précédentes notes...

Écrit par : Rosa | 11/03/2009

Il se dit des choses vraies et sensibles ici...
Il en reste beaucoup à dire aussi...

Rosa, votre citation illustre assez bien le propos, oui.
Et Meriem, bien sûr que vous pouvez reprendre ce qui vous semble vrai dans mes propos, pas de copyright...
Ami Feuilly, à bientôt, comme dit chez moi derrière Philip

Écrit par : Bertrand Redonnet | 11/03/2009

Derrière Philip ? Le prince consort ?
que signifie cette expression ?

Écrit par : Rosa | 11/03/2009

Non, "comme Philip le dit chez moi", autrement dit il est fait allusion au long commentaire de Philip Seelen (celui qui fait par ailleurs les photos sur le site de LJK et beau-frère d'icelui) sur le site de Bertrand:

http://lexildesmots.hautetfort.com/archive/2009/03/09/ecrivain-reponse-a-marche-romane.html

Mais c'est vrai que cette correspondance croisée devient un peu compliquée.

Écrit par : Feuilly | 11/03/2009

Et pour compliquer un peu plus encore :
http://lexildesmots.hautetfort.com/

Écrit par : Bertrand redonnet | 11/03/2009

Arg, je ne suis plus, je n'ai pas encore fini de répondre au commentaire de Philippe...

Écrit par : Feuilly | 11/03/2009

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