Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

04/03/2009

De la célébrité des écrivains

L’autre jour, dans la note intitulée «De l’enseignement des auteurs classiques », j’avais souligné qu’il vaudrait peut-être mieux, dans les écoles, étudier des auteurs (et même des auteurs classiques) en se penchant sur leurs œuvres et le texte en main plutôt que de se contenter d’inviter un écrivain dans la classe. Cette dernière démarche peut être intéressante à l’occasion, mais le risque est de focaliser l’attention sur un personnage finalement médiatique (aux yeux des élèves, un auteur possède forcément une certaine aura prestigieuse) au détriment de ses écrits.

En y réfléchissant un peu plus, je me dis que l’école ne fait là que reproduire ce qui se passe dans la société. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder les émissions littéraires, dans lesquelles l’accent est surtout mis sur la personnalité de l’écrivain beaucoup plus que sur ses livres. C’est un fait connu et une évidence : il vaut mieux avoir un physique agréable et un bon bagout pour se faire remarquer sur un plateau de télévision. C’est un peu normal, me direz-vous. Non, pas vraiment en fait, puisque le propre d’un écrivain est d’écrire et non de venir faire le guignol devant une caméra. Si on attend en principe d’un animateur qu’il soit charismatique et qu’il sache emporter les foules, je considère au contraire qu’un bon écrivain n’a pas forcément à avoir ces qualités-là.

Le problème, c’est que pour être connu (et donc vendre suffisamment d’exemplaires de manière à ce que son éditeur accepte sans trop de problème son prochain manuscrit) il doit passer par la télévision. Nous sommes donc en présence d’un double paradoxe. D’une part c’est lui qui assure la publicité de ses écrits et non l’éditeur (lequel ne fait que récolter les fruits de la prestation télévisée de « son » auteur) et d’autre part il est jugé non sur ses livres mais sur la manière dont il fera bonne figure devant les téléspectateurs. Autant demander à un juriste de se singulariser dans une piscine olympique ou à un diplomate de faire ses preuves devant les fourneaux d’un grand restaurant trois étoiles, c’est la même chose.

Vous me direz qu’il n’est pas nécessaire de passer à la télévision pour être consacré auteur, mais je vous répondrai que par les temps qui courent ce n’est pas si sûr. En effet, qu’est-ce qu’un auteur ? Il y aurait mille définitions à proposer, mais il est certain que Bernard Pivot, dans son «Métier de lire » a pu dire que « tout auteur passé par « Apostrophes » était un écrivain et inversement, si l’on n’avait pas été invité à l’émission, c’est qu’on n’était pas écrivain. »

C’est donc l’émission qui accorde le titre d’écrivain et pas l’inverse. On n’est pas invité parce qu’on est écrivain, on le devient parce qu’on est invité. Le problème (encore un), c’est que ce sont toujours les mêmes que l’on revoit sur les plateaux. Ce ne sont pas forcément les meilleurs prosateurs (notons en passant qu’il y a peu de poètes dans ces émissions) mais ceux qui défendent mieux leur produit (oui, on en est là !). On tourne donc avec une trentaine de célébrités et de temps à autre on invite un petit nouveau. A lui de se montrer à la hauteur s’il veut revenir la prochaine fois. De plus, comme ces émissions ont souvent un thème (la culture, l’œnologie, la psychologie, etc.) on peut aussi faire venir des personnes célèbres dans un autre domaine et qui ont écrit sur le sujet du jour (à la demande probable d’un éditeur, qui, misant sur le fait que ces personnes étaient déjà connues, leur a demandé de traiter un thème porteur et qu’ils connaissent un peu : Sarkozy, Internet, l’inceste, etc.). Les voilà donc reconnues comme écrivains par le seul fait d’avoir écrit un livre et confirmées dans ce statut par le fait d’avoir été invitées à TF1 ou Antenne 2.

Et tous les autres me direz-vous ? Les 600 auteurs de le rentrée d’automne ? Les 59.400 qui se sont vu refuser leurs manuscrits en 2008 (on n’accepte qu’un texte sur cent, c’est bien connu) ? Et les 600.000 qui écrivent dans leur petit cahier ? Et bien ceux-là ne sont pas écrivains, voyons. Ils écrivent, c’est différent.



pivot.jpg
Du pouvoir exorbitant de la télévision…

Commentaires

J'adhère absolument ... Il est rare que je regarde une emission littéraire jusqu'au bout, justement parceque le bagout ,le m'a tu vu y a une trop grande place ...
Je garde mes cahiers d'écoliers pour y coucher quelques ressentis et parfois quelques croquis ...Je ne suis pas écrivain, mais j'aime mes petits cahiers...
J'aime aussi venir lire ce blog et d'autres encore car on y trouve la sincérité , la sensibilité de l'écrivain , du poète, c' est loin du battage médiatique qui envahit tout, il faut bien le dire ....

Écrit par : Débla | 04/03/2009

Mais attention que les blogues des écrivains célèbres n'existent qu'à des fins publicitaires, à mon avis. On retombe donc alors dans le même travers.

Écrit par : Feuilly | 04/03/2009

Oui nous sommes dans le talk-show permanent.

Il y a quand même deux émissions littéraires que je regarde volontiers, même si ne s'y trouvent pas les écrivains que j'aimerais y voir ; Café littéraire de Picouly et puis La grande librairie sur TV5 je crois. Et je regrette le Bateau-Livre.

Quant aux blogs des "célébrités", je n'en vois qu'un, mais pour moi ce n'est pas un écrivain, tout au plus un faiseur de livres.

Il y a par contre, deux sites, deux ateliers d'écrivains, de vrais écrivains, et là on ne peut qu'être heureux de cette extraordinaire invention de l'internet.

Puis-je, pour finir, citer cet extrait de "Cambouis" d'Antoine Emaz (Seuil 2009, collection Déplacements):

" Etre connu importe peu ; pouvoir faire le prochain livre sans trop de retards, et de difficultés, sans contraintes externes, est essentiel. Le succès n'est pas un objectif premier ni même second. La nécessité, comme l'air, c'est d'aller jusqu'au livre, jusqu'à la confrontation au lecteur. Qu'un livre "marche" ou non, du point de vue de l'écrivain, est accessoire. Que le livre existe est vital. "

Écrit par : michèle pambrun | 05/03/2009

Cet Emaz me semble rempli de sagesse.

Écrit par : Feuilly | 05/03/2009

Si, Michèle, dans la forêt dense, broussailleuse, immense et sombre encore qu'est l'internet littéraire, il n'y a que deux sites "de vrais écrivains", dont celui de François quasiment incontournable, on se demande bien ce que les autres, dont nous- mêmes, foutent là, n'est-ce pas ?
C'est bien là le noeud gordien qu'essaie de trancher notre ami Feuilly...
Il y a effectivement plein de jours où je me le demande et des fois la tentation est grande, très grande même, de biffer tout ça d'un lucide et lapidaire coup de souris. De cesser de m'amuser à jouer à écrire dans ce silence confidentiel et, somme toute, assez désespéré. D'arrêter de flatter le narcissisme sous-jacent. De caresser l'existentiel dans le sens du poil.

La célébrité est une marchandise à emballage multiple. Souvent en promo et en tête de gondole.
Et tu as oublié aussi, Feuilly, que faut avoir du bagou et tout, d'accord, mais, comme on n'est plus au temps de Marguerite Duras, si on est une femme qui veut parler de son livre dans la télévision, vaut mieux aussi être dotée d'un beau cul...ça peut aider à tenir la plume par le manche.

Amicalement

Écrit par : Bertrand Redonnet | 05/03/2009

Bertrand, quand j'ai écrit "vrais écrivains" c'était par opposition au blog que j'évoquais la phrase précédente; et puis oui, plusieurs livres, une voix, un travail acharné, quotidien.
Le travail acharné, quotidien, une voix, et le début, nous l'espérons de plusieurs livres, c'est vous aussi (même si ce n'est pas vous le second site dont je parlais).
Et que croyez-vous que nous venons chercher sur les blogs, si ce n'est une écriture, une voix.

Et ceci d'Emaz, parce que j'aime bien, si vous permettez, Feuilly :
"Apparence physique, vêtements...qu'est-ce que cela peut faire si l'on n'a pas besoin de faire figure ? Cela m'étonne toujours comme les gens peuvent être costumés vacances alors que toute l'année ils sont déjà costumés ville."

Écrit par : michèle pambrun | 05/03/2009

@ Michèle:Il y a plein de sites d'écrivains. Plus ces derniers sont célèbres, plus ces blogues sont tenus par des comparses ou bien sont davantage une vitrine qu'un lieu d'écriture.

Moins l'écrivain est célèbre, plus le blogue devient dense, pour arriver à nous, qui ne sommes rien ou pas grand chose et qui jouons à écrire devant un public confidentiel. Bertrand n'a pas tort quand il dit qu'on ferait peut-être mieux de tout effacer d'un coup de souris.

Mais ce serait avouer qu'il n'y a que la célébrité qui compte. Pourtant, les auteurs les plus connus ne sont pas forcément les meilleurs non plus.

@ Bertrand: quant au joli minois d'une jeune auteure, oui cela joue évidemment. J'y avais pensé et n'avais pas osé l'écrire. Tu le dis plus vertement que je ne l’ai pensé, mais c’est bien ainsi que cela se passe.

Écrit par : Feuilly | 05/03/2009

Comme vous y allez, d'un coup de souris ! Des amies de ce blog l'ont fait, nous le savons.
J'imagine la lassitude ou la colère, parfois. Je ne pourrais jamais, je crois, tenir un blog. Trop lente, ça me boufferait la vie.
De nombreux sites d'écrivains ? On ne met pas la même chose sous ce mot, je pense.

Écrit par : michèle pambrun | 05/03/2009

Ouais, très intéressant, la dernière phrase de Michèle.
Que mettez-vous donc, l'une et l'autre, sous ce mot tellment vaste et galvaudé ?
Et moi, ce que j'y mets ?
Un écrivain est queqlu'un qui écrit des choses que je lis avec émotion et plaisir.

Écrit par : Bertrand.redonnet | 05/03/2009

Un écrivain, pour moi, est quelqu'un qui écrit des choses qui me donnent "un surcroît de langue", "un surcroît de vie".

Donc bien sûr de l'émotion et du plaisir. Je suis entièrement d'accord Bertrand.

De ce point de vue, les blogs que je lis sont des blogs d'écrivains.

J'y ajoutais (y ajoute toujours) la condition de publication, nécessaire, mais pas suffisante bien évidemment. Sinon.

Écrit par : michèle pambrun | 05/03/2009

Nous avons la même définition ressentie, je vois mais ça n'est pas une surprise, de l'écrivain.
Reste ce douloureux problème de l'édition. Celui qui écrit ne se console pas avec Lautréamont posthume ou Stendhal désavoué de son vivant. Celui qui écrit veut être lu, que son appropriation du monde par l'écriture rencontre d'autres appropriations, et c'est en cela que les blogs, quelle que soit leur valeur intrinsèque, ont été et reste d'un grand humanisme. Une révolution. Des milliers de gens ont trouvé un écritoire sur leur table pour pouvoir dire ce qu'ils avaient à dire et avec le sentiment, souvent abusif certes, d'être lus. L'illusion disons.
Je préfère parfois vivre une chaude illusion qu'une froide réalité.
Etre édité est autre chose. Mais j'en serai au printemps à ma troisème publication et je n'arrive pas à me considérer pour autant comme un écrivain édité.
Parce que j'écris depuis trente ans et plus et que trente ans d'échecs, d'avanies, de lettres de vendeurs de machines à coudre, trente ans où la putasserie marchande vous dit entre les lignes que vous êtes médiocre et indigne d'entrer au sérail, ne s'effacent pas comme ça, d'un coup, parce que votre nom est soudain sur une table de librairie.
Il est là, pour moi, le drame social de l'écriture et il est vécu avec douleur parfois.
Et je rends honneur à tous les gens qui écrivent dans l'ombre comme à tous ceux qui écrivent - au sens où nous l'entendons - sous la pleine lumière du jour si celle-ci n'est pas artificielle et lumière de pute.

Écrit par : Bertrand Redonnet | 05/03/2009

Je vous lis et approuve, ayant par ailleurs peu de temps pour détailler.

Écrit par : Feuilly | 05/03/2009

Oui moi aussi je vais me remettre à mes choux à planter ; les patrons ne nous paient pas pour rigoler tout de même.
Je méditais sur cette formule de Bertrand "Drame social de l'écriture". Très juste. Rien à ajouter.

Écrit par : michèle pambrun | 05/03/2009

Les commentaires sont fermés.