Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/02/2009

La cabane dans les bois (3)

Je suis arrivé au village vers midi. Les rues en étaient désertes, les habitants étant probablement occupés à déjeuner chez eux. Il régnait un grand silence, qui me parut plus pesant que celui de la forêt. C’est que ce silence, même s’il pouvait se comprendre à cette heure, avait je ne sais quoi d’inquiétant, un peu comme si une épidémie avait emporté tout le monde ou comme si un commando des forces spéciales était intervenu pendant la nuit et n’avait laissé aucun survivant. Tout imprégné de cette ambiance macabre, je me suis assis sur l’unique banc de la place, le dos appuyé au mur de l’église. C’est là en principe que l’autocar qui passait une fois par semaine devait s’arrêter à treize heures précises pour me conduire à la ville. Il ne me restait donc plus qu’à attendre.

Le temps semble long dans ces cas-là. Moi qui ne m’ennuyais jamais, je me sentais comme mal à l’aise. Je n’avais aucune envie de lire. D’une maison proche, un bruit de vaisselle et de couverts me parvint, preuve que là on était occupé à manger. Un chien passa, sans même me gratifier d’un regard. Superbe dans son indifférence, il menait sa vie de chien consciencieusement, reniflant à gauche et à droite, levant la patte là où il fallait et finalement s’éloignant la tête bien droite, fier d’être ce qu’il était. Je me suis dit que finalement les animaux avaient en eux une dignité intrinsèque que les humains n’avaient pas toujours. Chez nous, beaucoup d’individus semblent résignés ou vaincus. Certains respirent l’ennui, d’autres semblent ne plus rien attendre de la vie. Ils marchent en baissant la tête, sans un sourire, soumis aux obligations qu’ils se sont eux-mêmes imposées. L’animal au contraire, s’il est moins intelligent et s’il se pose moins de questions existentielles (et probablement pas du tout), n’en est pas moins content d’exister. Il semble contenir en lui sa propre perfection. Avez-vous déjà vu un chat devenir dépressif parce qu’il n’a pas réussi à attraper une souris ? Non, il se concentre davantage et attrape la suivante, c’est tout. Un homme, dans des circonstances similaires, se met à douter de lui-même et pour s’apprécier il se croit obligé d’accomplir des exploits au-dessus de ses forces. Le chien que je venais de voir, lui, trouvait son équilibre en lui-même et non en dehors de lui.

J’en étais là de mes réflexions quand un bruit étrange se fit entendre. L’autocar arrivait dans un grand nuage de fumée. Bringuebalant, toussotant et râlant, il se traînait comme il pouvait. A la fin, il s’immobilisa devant moi dans un dernier hoquet, comme s’il venait de rendre l’âme. Une forte odeur d’huile et de gazole brûlés envahirent la petite place. Il fallait croire que le mécanicien de la compagnie avait pris sa pension et qu’il n’y avait plus personne pour régler le moteur. Tant pis pour la pollution ! Manifestement, dans cette campagne reculée, ce n’était le souci de personne. Les portes s’ouvrirent dans un grincement et une petite vieille descendit péniblement les trois marches qui la séparaient du sol, se tenant comme elle pouvait à une rampe métallique qui semblait devoir se détacher d’un moment à l’autre. Par miracle, l’ancêtre mit le pied à terre sans encombre, non sans me lancer au passage un regard noir et méfiant. Etait-ce ma jeunesse qu’elle enviait ? Ou bien avait-elle reconnu l’étranger de la cabane, celui qui vivait au milieu des loups et dont on devait parler le soir au coin du feu ?

Sans me poser de questions, je montai dans l’autocar, pris un ticket et allai m’asseoir sur la banquette du fond. Il n’y avait aucun passager et quant au chauffeur, il ne m’avait même pas salué et n’avait pas prononcé la moindre parole en me rendant la monnaie. Tout cela était assez lugubre et je n’étais pas fâché de m’en aller. Dans un râle étrange, le moteur se remit en marche. L’autocar fit deux ou trois bonds et s’achemina finalement vers la sortie du village. Nous fîmes un écart pour éviter la petite vieille qui trottinait au milieu de la route. A une des maisons, je vis distinctement un rideau bouger puis retomber vivement à notre passage. En me retournant, j’aperçus même quelques habitants : ils commençaient à sortir de chez eux et ils regardaient l’autocar s’éloigner. Etrange contrée tout de même !


vieux%20car%20001.jpg









Le lendemain dans l’après-midi, j’étais à Paris et je flânais au milieu de la foule le long des quais de la Seine. Le beau fleuve d’Apollinaire coulait calmement sous ses ponts et les librairies d’occasion étaient ouvertes. Le dépaysement était total, comme on s’en doute. L’autocar m’avait d’abord conduit dans une ville. De là j’avais pris un train, puis encore un train, de nuit celui-là, et finalement un TGV m’avait amené directement ici. On ne comprend pas comment deux mondes aussi différents peuvent cohabiter et être finalement aussi proches l’un de l’autre puisqu’une seule journée de voyage suffit à les relier. Ceci dit, il en est ainsi de tout. La nuit, qu’on a du mal à imaginer en plein midi, finit toujours par rattraper le jour et même par l’évincer, ce qui prouve que les contraires se rejoignent. Et, pour prendre un autre exemple, qui a-t-il de plus différents qu’un homme et une femme ? Ils vivent dans des mondes parallèles, opposés même et pourtant les rencontres existent, d’autant plus fortes qu’elles sont plus soudaines.

Tout cela pour dire que ma vie à Paris était à l’opposé de celle que je menais auparavant. Néanmoins, après une semaine, je dus constater que j’avais pris de nouvelles habitudes, tout aussi régulières finalement que les précédentes. La seule différence résidait dans le fait que la visite des musées remplaçait mes promenades en forêt, mais finalement je me sentais aussi isolé ici au milieu de la foule que je ne pouvais l’être là-bas au milieu des arbres. A la limite je me sentais même plus seul, car la nature m’apportait le calme et l’apaisement tandis que je me sentais exclu de cet attroupement de badauds, qui ne me voyaient pas et que je ne voyais pas. A la longue, un sentiment de malaise s’empara de moi, sentiment que je ne parvenais même pas à vaincre une fois rentré à l’hôtel. La lecture des livres me semblait plus fade, dans cette chambre de passage, et les histoires racontées moins essentielles, comme s’il avait fallu la chaleur et l’intimité de mon feu de bois pour leur donner tout leur sens.

Je n’étais pas parti pour m’enfermer dans une chambre d’hôtel mais pour découvrir le monde. Or Paris n’était pas le monde, même s’il en était le centre. Force fut donc de repartir.


007-quais-BP.jpg


00:07 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature

Commentaires

Je suis pas à pas cet homme sur son chemin ...
Je suis la passerelle qui l'emmène d'un monde à l'autre où tout finit par se ressembler quand on est seul ....
Le voyage commence à peine, il me tarde de connaître les prochaines étapes...

Écrit par : Débla | 10/02/2009

Une forêt immense, des oiseaux de proie au cri de fin du monde, des halliers, des marécages aux limites imprécises, des ronciers, des chemins de traverse : l'endroit d'où part cet homme est aussi mystérieux que l'origine de toutes choses.
Et parce qu'on ne peut pas raconter l'origine, on se raconte les naissances qui succèdent à l'origine.
Comme Débla, je suis cet homme.
Dans la cabane, dans le village désert, sur le banc de la place, jusque dans la fumée de l'autocar brinquebalant. Et les odeurs sont là. Toutes les odeurs de tous les autocars qu'on a pris...

Écrit par : michèle pambrun | 10/02/2009

Prenez donc vous aussi l'autocar chère Michèle et suivez ce jeune homme à la trace. Et ne laissez pas Débla toute seule au milieu de la place vide.

Écrit par : Feuilly | 10/02/2009

" Comme Débla, je suis cet homme."
Du verbe "suivre", nous espérons.....
Sans quoi, vous seriez l'une et l'autre de sacrées cachotières...
B.

Écrit par : B.redonnet | 11/02/2009

Sacré Bertrand !!

Écrit par : Débla | 11/02/2009

@ Bertrand

J'aime l'ambiguïté de "je suis" et ce fut écrit sciemment.
Je suis le personnage autant que je le suis. Homme et femme, femme et homme. Part masculine, part féminine.
De tous les êtres qui nous tissent savons-nous bien ce que nous gardons ?
Voilà, vous êtes content, ou au fond, vous vous en fichez ? Sourire. Amitié.

Écrit par : michèle pambrun | 11/02/2009

C'était une boutade, bien sûr....C'est le berger qui dit :

" Je suis ce que je suis mais ne suis pas ceux que je suis."

Écrit par : B.redonnet | 12/02/2009

Il faudra revenir sur les lieux de lecture car il me surprend ce personnage qui ne peut lire que dans sa cabane au fond de la forêt. A sa place il me semble que j'aurais lu au moins dans le car ...et même dans la chambre d'hôtel : plus le lieu est sinistre, plus on a envie de lire pour fuir.

à propos des chiens, il y en qui deviennent dépressifs...à cause des hommes sans doute.
L'Ecole vétérinaire de Maison Alfort a créé une spécialité psy.
Le chat ne déprime pas car il est moins dépendant de l'homme.

Enfin :
"Et, pour prendre un autre exemple, qui a-t-il de plus différents qu’un homme et une femme ? Ils vivent dans des mondes parallèles"
rien de plus juste. D'où le côté miraculeux des rencontres.

Écrit par : Rosa | 17/02/2009

Les commentaires sont fermés.