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09/02/2009

La cabane dans les bois (2)

Ces nuits-là, je sombrais aussitôt dans le sommeil, que venait parfois interrompre le hululement d’une chouette, dans la clairière toute proche. Je savais que si je me levais, je la verrais sur la branche du grand chêne, les yeux écarquillés dans ma direction, semblant s’étonner sur le sens de ma présence en ces lieux. Mais à quoi bon me lever ? Il faisait froid dans la chambre et j’étais si bien sous ma couette ! Je me rendormais aussitôt, mais des rêves étranges souvent peuplaient mon sommeil. C’était toujours le même rêve, en réalité, mais sous des formes différentes. Il s’agissait d’une femme que j’aurais aimée autrefois (mais quand ?) et qui surgissait comme cela du cœur de la nuit. Elle avait les yeux en amandes comme une louve et me fixait intensément. Cette fixité même m’effrayait un peu et à chaque fois je croyais entendre les hurlements de la meute dans les lointains. Etait-ce le fruit de mon imagination ou y avait-il vraiment des loups occupés à chasser quelque part, je ne saurais le dire. Ce qui est sûr, c’est qu’à chaque fois je les entendais et je sentais mon sang se glacer tandis que la femme continuait à me regarder intensément. Que désirait-elle, quel message voulait-elle transmettre, dans quel but était-elle venue ? Mystère. Pourtant il me semblait percevoir vaguement comme un reproche dissimulé derrière ce regard intense. Comme si je l’avais abandonnée un jour, alors que je ne l’avais jamais vue en dehors de mes rêves. Souvent, je me réveillais en sursaut, saisi d’effroi, tremblant presque. Autour de moi, régnait l’obscurité la plus totale. En prêtant l’oreille, on entendait seulement le trottinement des souris, là-haut au grenier, qui devaient être occupées à grignoter mes réserves de pommes.

Alors je me rendormais, pour ne pas continuer à fixer l’obscurité. Mais aussitôt la femme revenait. Elle était plus jeune cette fois et me souriait. Moi, je ne savais que faire. Parfois, j’essayais de lui parler, mais elle mettait un doigt sur ses lèvres, me signifiant par-là qu’il ne fallait rien dire ou que tout, déjà, avait été dit. Dans son regard, il y avait maintenant une sorte de tendresse. Petit à petit, ma peur s’estompait et je me sentais en confiance. C’est moi, maintenant qui la regardais, tandis qu’elle ne semblait plus s’apercevoir de ma présence. Elle était là, se promenant dans la clairière, sans but précis. Parfois, elle appuyait son front contre le tronc du grand chêne et je sentais comme de la tristesse dans son attitude. J’aurais voulu lui venir en aide, la consoler peut-être. Alors dans mon rêve je me levais et marchais vers elle en vacillant, mais à chaque fois que je j’atteignais enfin l’arbre, elle avait disparu. Une grande tristesse s’emparait alors de moi et il m’est arrivé de me réveiller en pleurs.

Un jour j’en ai eu assez et j’ai décidé de partir. Ce n’était pas que ma vie dans la forêt ne me plaisait plus, bien au contraire, mais ces rêves récurrents devenaient des cauchemars. J’en étais arrivé à ne plus oser m’endormir de peur de me retrouver à nouveau devant ces yeux de louve qui me fixaient ou bien devant cette jeune fille évanescente. Il fallait réagir sinon j’allais devenir fou. Mes lectures, qui n’étaient que plaisir pur au début, étaient en train de devenir un moyen commode pour échapper au sommeil et donc aux rêves étranges qui les habitaient. Je lisais maintenant toute la nuit pour fuir mon tourment, mais c’était un mauvais calcul car alors je dormais toute la journée, terrassé par l’épuisement. Je me réveillais qu’il faisait déjà noir, je ne sortais plus en forêt (les loups me semblaient de plus en plus nombreux), me traînais jusqu’au matin suivant, bref, je vivotais et ne parvenais plus à trouver l’épanouissement que j’étais venu chercher ici. Il me fallait donc partir au plus tôt, tout quitter, tout abandonner et aller chercher dans un ailleurs improbable ce que ne me donnait plus ce lieu reculé.

Un matin, je refermai donc la porte et mis la lourde clef au fond de ma poche. Sans me retourner, je pris le chemin qui conduisait au village, distant de seize kilomètres. En passant près du grand chêne, je ne pus m’empêcher de poser mon front contre son écorce rugueuse, imitant ainsi le geste que j’avais si souvent vu faire à la jeune fille de mon rêve. En moi, nulle tristesse, mais plutôt l’impression qu’un jour je reviendrais, apaisé, après avoir couru le monde. Puisse le destin me faire découvrir ce que je cherchais et dont j’ignorais moi-même la nature.


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00:40 Publié dans Prose | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : littérature

Commentaires

Longtemps que je n'étais venu par chez toi. J'avais donc un peu de retard dans mes lectures et j'ai lu tes trois dernières notes d'un trait.
Je suis quand même un peu étonné que tu aies pris tant de précautions...La formule feuilleton est une formule qui a déjà fait ses preuves, notamment avec des grands du 19ème que je n'aurais pas l'outrecuidance de te citer.
Moi qui suis un petit du 21ème, je l'avais pratiquée avec une espèce de polar en 7 épisodes et, à moins qu'il n'y ait une certaine dose homéopathique d'hypocrisie de bon aloi dans les commentaires, il m'a semblé que ça avait "plu".
L'avantage du feuilleton n'est pas à mon sens où tu le situes. La lecture écran est devenue un quasi réflexe et si tu fais la somme de ce que les gens lisent par jour, de blogs, de journaux, de météo, de part de leur activité salariale, ils lisent désormais, sinon plus, du moins autant sur écran que sur papier.
La résistance est presque inutile. L'histoire de la communication humaine a parlé.
Ce qui n'empêche pas le papier traditionnel, bien sûr. Je serais de bien mauvaise foi en disant cela puisque je publie aussi sur papier.
Donc l'avantage du feuilleton sur blog c'est la liberté du lecteur de lire ce qu'il veut, quand il veut, d'abandonner si ça lui chante et, surtout, de donner spontanément son sentiment. Voilà.
Ceci dit, ta fiction me plaît bien et je ça me parle bien: Je vis dans une forêt enneigée, pas si longtemps que ça hantée par les loups, même, des fois qu'ils peuvent réapparaître de façon sporadique, je suis passionné de lecture et d'écriture et de solitude...
Pour le reste...J'attends évidemment la suite..
Cordialement

Écrit par : B.redonnet | 09/02/2009

J'ai pensé à Bertrand justement en lisant cette deuxième partie, car j'ai fait le rapprochement avec sa maison de bois dans sa lointaine Pologne enneigée... Ce matin j'ai ouvert ce blog comme j'ouvre un livre avec un marque pages posé avant de le refermer... Je ne remarque pas trop la différence entre l'écran et le papier .... C'est le contenu du texte qui compte... J'attends aussi la suite ....Donc je pose à nouveau mon marque pages....

Écrit par : Débla | 09/02/2009

@ Bertrand: La précaution, c'était juste pour prévenir. Mettre tout le texte en une fois aurait été trop long et une lectrice m'a déjà dit qu'elle ne lisait pas mes notes quand elles étaient trop détaillées. D'où le recours aux épisodes. Mais il valait mieux le dire à l’avance, comme cela celui qui n’aime pas cette formule (rester sur la même histoire une semaine) eh bien il ne commence pas du tout la lecture et il va butiner ailleurs en attendant.

Ta propre cabane ? Oui, c’est vrai que… Je n’y avais pas pensé, mais sait-on jamais où on va chercher son inspiration ? Et effectivement tu avais parlé de loups…
La différence c’est que le héros quitte sa cabane, qui est son foyer, pour voyager au loin tandis que toi tu viens de loin pour habiter une cabane et écouter les loups. Tu as tout du poète maudit et on devrait faire avec toi un personnage de roman.

Écrit par : Feuilly | 09/02/2009

Oui on attend la suite...

Très bien vu l'image du marque pages Débla ! :-)

Écrit par : Cigale | 09/02/2009

@ Cigale et Debla: le marque-page? Finalement ce découpage en épisodes va fidéliser les lecteurs. Il y aurait moyen de concurrencer les feuilletons télévisés interminables

Écrit par : Feuilly | 09/02/2009

Ah, c'est gentil, ça, Feuilly...C'est vrai que c'est le parcours inverse...
J'attends d'autant plus de savoir où ça va le mener. C'est-à dire où ton imagination va l'emmener...
Mais l'important, c'est de larguer les amarres quand le bateau trouve que le port ressemble tous les jours au même port..Dans quelque sens que ce soit et où qu'on mette le cap.
Des fois : Même les plus chouettes souv'nirs, ça t'a une de ces gueules..."
Tu connais la suite....

Écrit par : B.redonnet | 09/02/2009

Oui et avec ça, il est parti. Pas Bertrand, Bertrand il est partout, chez nous, sur nos écrans...
Notre voyageur de papier, il vient de partir, fuyant la femme de ses rêves. Heu, pardon, la jeune femme qu'il voit en rêve, de plus en plus jeune d'ailleurs...
Une lourde clé dans sa poche. Hé, hé.
Allez, on a mis le marque-page jusqu'à demain Débla.
Bertrand, son polar, c'était tous les lundis. On n'a pas été déçus du voyage.
Ici, on serait plutôt dans le fantastique (veine que l'on trouvait dans "SANS NOUVELLES D'ELLE", de façon très heureuse; c'est pas facile, le fantastique ; à réussir, je veux dire).

Écrit par : michèle pambrun | 09/02/2009

Je vois, Michèle, que cette histoire, "SANS NOUVELLES D'ELLE" vous avait marquée car vous en parlez souvent. Il y avait en effet un côté fantastique. Il y avait surtout la relation de la douleur devant la disparition de l'héroïne. Ici, on ne peut pas dire cela.

Écrit par : Feuilly | 09/02/2009

Cela me fait parfois penser à certains écrits de Jean Ray !

Écrit par : Pivoine | 15/02/2009

Voilà qui est encourageant pour moi, Pivoine. Mais il reste du chemin à parcourir...

Écrit par : Feuilly | 16/02/2009

Avec du retard je reprends la lecture et je n'avais pas oublié le début.
Un peu étonnée par la nature du rêve : il me semble qu'un bel homme m'apparaissant en rêve, même avec un regard de fauve serait un rêve agréable plutôt qu'un cauchemar.
En fait c'est la cabane au fond des bois qui, d'entrée est un cauchemar...Comment y vivre sans mourir de peur !
J'ai hâte qu'on arrive au village.

Je fais une différence entre papier et écran...la lecture sur papier n'est pas fatigante.
je reviendrai demain.

Écrit par : Rosa | 16/02/2009

@ Rosa: "un bel homme m'apparaissant en rêve, même avec un regard de fauve serait un rêve agréable " Si vous aimez être mangée...

Mais c'est vrai que cauchemar n'est peut-être pas le mot qui convient. C'est plutôt le caractère répétitif du rêve qui fait que le héros ne le supporte plus.

Écrit par : Feuilly | 16/02/2009

J'avais compris...c'était pour vous provoquer un peu !
C'est comme un film cassé qui s'arrête toujours au même endroit : on a envie de connaître la fin.
Pourtant dans le rêve du personnage mieux vaut peut-être ne pas connaître la fin du rêve.

Écrit par : Rosa | 17/02/2009

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