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15/10/2008

Quand les Normands encerclaient Paris

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C’est le 14 octobre 1066 que le duc de Normandie Guillaume le Bâtard remporte la victoire d’ Hastings. C’est par cette bataille que la langue française va se répandre en Angleterre et va donc influencer la langue anglaise, comme on l’a déjà dit ici.

Il est intéressant de souligner que Guillaume, de par ses ancêtres, n’était pas français à proprement parler puisqu’il descendait en fait de Rollon, un chef viking qui s'était établi 150 ans plus tôt à l'embouchure de la Seine. Belle ironie de l’Histoire, donc, qui a fait que ce soit à un «étranger » qu’incomba la tâche d’aller diffuser notre langue outre-manche. Voilà une leçon que certains feraient bien de retenir.

L’origine de cet ancêtre, Rollon, n’est pas très claire. Certains le disent danois, d’autres norvégien. Ce qui semble plus sûr, c’est qu’il s’est attaqué aux côtes de la Mer du Nord et de la Manche. Il aurait ainsi ravagé la Frise ainsi que l’embouchure du Rhin et de l’Escaut. On situe son arrivée dans la « Francia » vers 876. Il s’installe à l’embouchure de la Seine qu’il remonte en organisant des pillages. Ainsi, il aurait participé au fameux siège de Paris de 885-886.

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Statue de Rollon à Falaise









Cela faisait cinquante ans que la région comprise entre Paris et la mer connaissait ces attaques des hommes venus du Nord. Les faubourgs de Paris avaient d’ailleurs déjà été attaqués plusieurs fois, mais jamais l’île fortifiée de la cité. Cette fois-ci, cependant, les Vikings demandent l’autorisation de remonter la Seine plus en amont. Si cette faveur leur est accordée, la ville ne subira aucun dommage. Gauzlin, l’évêque de Paris, refuse et c’est le début des affrontements. Les remparts tiennent bon et les assaillants subissent de lourdes pertes. Pour se venger, ils pillent la région et décident de faire le siège de la capitale du royaume franc, lequel durera un an. A la fin, ayant reçu une importante somme d’argent de la part de l’évêque, Les vikings s’en vont conquérir la région de Bayeux.

La faiblesse des rois carolingiens à s’opposer efficacement aux Vikings leur sera fatale. En effet, le roi Charles III le Gros, qui revient de Germanie avec son armée (un peu tard), préfère à son tour payer une grosse somme d’argent plutôt que d’affronter militairement les envahisseurs. Il aurait même consenti à ce qu’ils remontent la Seine, contribuant ainsi à la mise à sac de la Bourgogne. Conséquence : il sera destitué peu après et les seigneurs français élisent comme roi le comte Eudes (le fils de Robert le Fort), qui lui s’était fait remarquer par ses prouesses pendant le siège de Paris.

Mais revenons à Rollon, qui semble donc bien avoir participé à ce fameux siège. Ce qui est sûr, c’est qu’il a conquis Bayeux et qu’il a pillé la Bourgogne. On sait qu’il a épousé (de force, ce qui nous fait réfléchir sur la triste destinée des femmes en temps de guerre) une certaine Poppa, fille du comte Béranger de Bayeux, que Rollon tua de ses propres mains. Il s’installe et commence à développer des alliances avec les autorités franques en place. On peut donc estimer que vers 910, il n’est plus le simple chef d’une bande de pillards, mais un seigneur établi sur ses terres.

Cela ne l’empêche pas de continuer de guerroyer, mais vers 910 il échoue à prendre Chartres. C’est à ce moment que Charles le Simple (roi carolingien de la Francie occidentale) négocie avec lui le traité de Saint-Clair-sur-Epte (911), qui permet à Rollon de s’installer définitivement dans une partie de la Neustrie (autour de Rouen). La condition de la cession de ces terres (le futur duché de Normandie) était que Rollon empêche l’arrivée d’autres envahisseurs nordiques. Le roi carolingien agit donc comme avaient agi avant lui les derniers empereurs romains. Eux aussi avaient dû accepter l’installation de barbares à leurs frontières et même sur leurs territoires et eux aussi avaient demandé en échange que les nouveaux venus garantissent les frontières de l’empire, que les légions romaines ou gallo-romaines ne parvenaient plus à défendre.

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Pour bien montrer qu’il a changé de camp, Rollon se fait baptiser en 912. Il rétablit même la vie monastique et les moines qui avaient fui la contrée reviennent avec leurs reliques. Maintenant, sur le plan politique, la question est de savoir s’il se comporte en prince chrétien ou en chef barbare. On pourrait aussi se demander quelle langue on parlait à cette époque dans le duché de Normandie et qui la parlait. On peut supposer que la population locale (gallo-romaine) n’avait pas disparu (ou était revenue à la fin des conflits) et qu’elle continuait à s’exprimer dans son patois local qui commençait à se distinguer du latin. L’aristocratie elle, devait être d’origine viking et parlait probablement une langue nordique. Tout ce que l’on sait, c’est que Rollon partage les terres entre « ses chevaliers et des étrangers » (faut-il comprendre entre les chefs Vikings et d’anciens nobles gallo-romains ?) Par ailleurs, la toponymie actuelle de la Normandie prouve bien une présence importante des peuples nordiques dans cette région. Il est clair aussi que le patois roman qui était parlé en Normandie a subi directement l’influence de ces parlers germaniques (voir plus tard, le français parlé par un écrivain comme Wace, qui cumule tout de même un certain nombre de traits spécifiques à sa région, tout comme les textes picards d’ailleurs, qui auront eux aussi leurs particularités propres, qui les distinguent du parler d’Ile de France.)

C’est donc ce patois roman teinté de germanismes que Guillaume, ce descendant des Vikings, va exporter vers l’Angleterre. Ce « français », qui sera parlé pendant quelques siècles par l’aristocratie anglaise, va à son tour influencer la langue anglaise parlée elle par le peuple. Comme quoi l’histoire est un éternel recommencement.

On sait par ailleurs que de nombreux anglicismes actuels réintroduisent dans notre langue des mots dont l’origine remonte en fait à cet ancien patois roman de Normandie alors qu’ils avaient disparu entre-temps en français de France.

Exemples :
- budget de l'ancien français « bougette » (petite bourse portée à la ceinture)
- caddie (de l'ancien français « cadet », chariot tiré à bras utilisé pour transporter de menus objets.
· challenge, de l'ancien français « chalenge ou chalonge » : contestation en justice ou par les armes, dispute.
· gentleman, partiellement de l'ancien français « gentil », homme d'ascendance noble
· humour (ancien français: « humeur », substance aqueuse.
· marketing ancien français: marchié, marchiet (accord, marché, lieu de marché)
· record (de l'ancien français: « record », souvenir; recorder: se rappeler, réciter par cœur.
· Etc. etc



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Commentaires

Un langue mais aussi une manière d'administrer qui va perdurer longtemps et pas mal de bâtiments.. la conquêtes Normande s'est poursuivi jusqu'en Sicile qui en porte aussi les traces.. pour anecdote : la Tour de Londres et l'Église de Westminster (qui l'on nommait Ouestmoutiers) sont en pierre de Caen.. car Guillaume en appréciait particulièrement les propriétés..

Écrit par : Andrea Maldeste | 15/10/2008

En pierre de Caen? Transporté par bateau? J'ignorais cela. Et je n'avais jamais pensé à ce moutier de l'ouest. Comme quoi...

Écrit par : Feuilly | 15/10/2008

Par bateau en effet.. les Normands étaient de grands navigateurs qui, aujourd'hui on le sait, ont d'ailleurs découvert les Amérique bien avant C. Colomb.. On peut voir le tombeau de Guillaume le Conquérant à la superbe abbaye aux hommes de Caen.. encore qu'elle ne referme qu'un tibia.. son squelette ayant été dispersé pendant la Révolution..

Écrit par : Andrea Maldeste | 15/10/2008

Oui, les Amériques, c'est connu. Le Groenland (pas si vert que cela pourtant...), l'Islande, les côtes du Labrador, etc. Et la Sicile de l'autre côté (d'où les yeux bleus de certains Siciliens). C'est fou, quand même quand on y pense. Que de guerres, que de conquêtes, que de brassages de races...

Sans compter que les rois de France auxquels les Vikings s'opposaient étaient en fait des Francs, donc des Germains. L'école oublie parfois de nous le dire, quand elle nous retrace l'histoire de France.

Et à chaque fois tout aurait pu être différent. Ainsi Paris aurait pu être rasée par les Vikings. La capitale serait peut-être Dijon, Chartres ou Orléans aujourd'hui.

Écrit par : Feuilly | 15/10/2008

Oui, il y eut à l'époque de Guillaume le Conquérant, de multiples expériences architecturales qui préludèrent à l'épanouissement de l'art sacré.
Pour améliorer l'acoustique des églises monastiques, pour leur conférer une unité proche de celle du cosmos, les maîtres d'oeuvre s'ingénièrent à remplacer dans la nef, comme elles l'étaient depuis longtemps à l'étage inférieur du narthex, les charpentes de bois par une voûte de pierre.
Ils y étaient parvenus, aussitôt après l'an mille, dans les petites abbatiales de Catalogne.
L'avant-garde de toutes les recherches esthétiques se situait à Cluny, dont la seconde basilique, terminée par l'abbé Odilon, offrait au seuil du XIe siècle, aux inventeurs de l'art nouveau, le plus prestigieux des modèles.
(source: Georges Duby, Histoire de la France, éd. 1970)

Écrit par : michèle pambrun | 15/10/2008

Belle initiative, Michèle Pambrun, que de nous signaler le renouveau qui a suivi ces temps barbares, comme une note d'espoir qui viendrait après le désastre.
On imagine mal ce que devait être la vie quotidienne à une époque où manifestement l'existence ne tenait qu'à un fil.

Le paradoxe, c'est qu'une fois le calme revenu et les barbares installés, le paradoxe, dis-je, c'est que ce sont ces mêmes barbares qui ont contribué aux forces de la nation, comme on le voit ici avec la conquête de l'Angleterre mais on pourrait citer aussi l'empire de Charlemagne (qui après tout parlait une langue germanique dans son palais d'Aix la Chapelle/Aachen) ou celui de Clovis. L'origine de la France est là, dans ces barbares intrépides, dans ces chefs de guerre belliqueux encore à demi-nomades et prompts aux rapines. Mais il a fallu d'abord qu'ils assimilent la civilisation ambiante, la vieille civilisation latine et grecque, avant de proposer une synthèse originale alliant leurs forces vives et la culture antique.

Cela nous donnera en effet, ces belles cathédrales de l’Occident chrétien qui commencent à renaître à partir de l’an mille, en style roman d’abord, puis gothique plus tard.

Notons que cet art roman vient du Midi, tandis que c’est surtout le Nord qui sera à l’origine de l’art gothique.

Écrit par : Feuilly | 16/10/2008

Ces incursions dans l'histoire qui sont en même temps exploration de la langue me passionnent.
Merci

Écrit par : Arbi | 16/10/2008

Je ne suis pas certain d'être d'accord avec toi, Feuilly, sur la notion de "barbare".
Tu sais que le terme s'appliquait à tout ce qui n'était pas grec, à tous les peuples dont les anciens grecs ne comprenaient pas la langue.
Le glissement de sens vers le péjoratif s'est opéré bien plus tard.
Le rôle des étrangers (barbares) dans la construction du monde est évident. A la fin de l'Empire latin, les légions étaient principalement formées de Goths. D'où, en partie, l'écroulement.
Je ne suis pas certain, non plus, que la Renaissance en fut une et habilllée de splendeurs comme on nous la décrit dans les manuels d'histoire.
En tout cas la littérature du Moyen-âge est, à mon goût, bien plus délicate que celle du XVIème...
Et la Renaissance n'était qu'un retour, en fait, aux conceptions d'urbanisme et de beautés architectoniques des Romains. En gros. Je schématise.
Merci pour cette belle page d'histoire : Les Anglais ne s'en sont pas encore remis...
Amitié

Écrit par : B.redonnet | 16/10/2008

Duby, que cite justement Michèle Pambrun, parlait très bien de cela. Par barbare je veux dire ici des chefs de guerre qui vivent de rapine, ce que sont les Vikings à ce moment et ce qu'étaient les Goths et autres Germains deux trois siècles plus tôt. Une fois sédentarisés, ils cultivent la terre (ou la font travailler par les paysans et en récoltent les bénéfices), avant, ils préfèrent aller voler chez les voisins.

Mais on est toujours le barbare de quelqu’un, non ?

La Renaissance ? Il y a une poésie fine et délicate tout de même, mais plus centrée sur la forme que chez Villon ou Rutebeuf, qui eux écrivent davantage avec leurs tripes.
Il est certain que la Renaissance implique un milieu urbain (ce que l’Italie n’avait jamais cessé d’être : des villes dont les bénéfices proviennent de la campagne environnante), en rupture avec le M-A : des seigneurs et des serfs. Le monde des seigneurs s’écroule (ils n’ont plus d’argent, la terre rapporte moins, les paysans s’émancipent, les banquiers lombards et juifs arrivent avec leurs prêts, etc. C’est une nouvelle époque qui commence. Les fondements de l’économie viennent d’être modifiés). Toujours d’après Duby.

Écrit par : Feuilly | 16/10/2008

Je suis Duby tatif....Très, même

Écrit par : B.redonnet | 16/10/2008

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