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26/09/2008

Des lauzes, des laves et autres palis

Je m’étonnais dans la note précédente du fait que mon Grand Larousse de la langue française me donnait le terme « lave » comme synonyme de lauze, alors que celle-ci est habituellement en schiste ou en grès. Intrigué, j’ai poursuivi mes investigations et j’ai trouvé !

Le terme « lave» ne renvoie pas à une roche d’origine volcanique comme on pourrait le croire, mais à une pierre plate. Ce n’est pas de la nature de la roche dont il est ici question, mais de sa forme.

Le mot «lave » que nous employons habituellement pour désigner la pierre en fusion provenant des volcans vient de l’italien «lava » (d’après un mot sicilien provenant lui-même du latin « labes », « éboulement », d’après « labi », glisser) tandis que la lave dont nous parlons ici vient du latin médiéval lapida « pierre » provenant lui-même du latin lapis, lapidis. On sait que le «p» sourd et le «b» sonore sont en fait la même lettre et que ce « b » passe facilement au « v » (voir pays basque/pais Vasco). Lapida devient donc lapide puis labide, lavide et finalement lave, si on suit les enseignements de la linguistique diachronique.

De plus, pour les locuteurs, une certaine confusion a été possible entre le « v » de lave et le « u » de « lauze », ce qui tend encore à rapprocher les deux mots qui désignent tous deux une pierre (plate).

J’ai trouvé que dans les Vosges Saônoises, le terme lave désigne les pierres de grès utilisées en couverture. Plus épaisses, elles sont appelées dalles. Enfin, plus grosses encore et dressées pour faire des clôtures, elles portent le nom de palis.

Cette « lave » (au sens de pierre) a donné naissance à « lavière » (carrière dans laquelle on extrait le matériau) et «lavier » (personne qui l’extrait).

Mais revenons un instant à « palis ». Ce terme désignait au XII° siècle un « ensemble de pieux fichés dans le sol à des fins défensives» puis, par métonymie, chacun des pieux qui le constitue. Le mot vient de l’ancien français « pel » (avec un suffixe «is »), de la même famille que « pieu »

«Pieu », de son côté, vient du latin « palus » (poteau et même, par analogie, membre viril). Pal, palis, palissade sont bien de la même famille. « Pieu », nous dit le Robert historique, vient de l’ancien cas régime (accusatif en latin classique) au pluriel : « pels » (devenu « peus » puis « pius » et finalement « pieux ». Ce pluriel s’est imposé sur le cas régime singulier « pel » du fait que les pieux sont généralement utilisés en très grand nombre.

On ne confondra évidemment pas ce pieu (piquet) avec pieu (lit en langage populaire), lequel vient de peau (« piau »), le lit étant fait à l’origine de peaux de bêtes.

On ne le confondra pas non plus avec l’adjectif «pieux », du latin « pius » que l’on retrouve dans le domaine religieux.

Bref, la langue est un véritable roman. Je me souviens qu’enfant je passais des heures à feuilleter les illustrations du petit Larousse, passant sans fin d’une page à l’autre ou d’un thème à l’autre. Ce passe-temps constituait un véritable voyage dans l’espace (ah, ces pays tropicaux dont le nom déjà faisait rêver) ou dans le temps (Ramsès, Napoléon, Vercingétorix, etc.) Aujourd’hui, il me semble que la langue elle-même suffit déjà amplement à ce voyage sans fin. Ainsi nous sommes partis du lézard d’Angèle Paoli pour arriver aux palis en passant par les lauzes et les laves.

Mais je m’aperçois que j’ai été injuste envers ce sympathique animal en ne donnant pas l’étymologie de son nom (ne souriez pas). Lézard a remplacé le féminin « laisarde » plus fréquent en ancien français, lequel vient du latin « lacerta », le masculin « lacertus » désignant le muscle. Lequel « musculus » provient, comme chacun sait, de « mus », la souris (voir musaraigne), les Romains associant le mouvement du muscle sous la peau à celle d’une petite souris qui se déplacerait à cet endroit.

Mais j’arrête là mes recherches étymologiques, lesquelles pourraient se poursuivre indéfiniment si nous avions plus de temps (de « tempus, temporis ». Non, je blague, là).

Commentaires

Waouh! Encore! encore!
Il y a des romans qu'on n'a pas envie de refermer (on referme une page d'écran ?), ni d'arrêter, même quand c'est plus que l'heure d'aller se coucher.

Écrit par : michèle pambrun | 26/09/2008

A partir du mot lézard et du verbe lézarder, j'aurais fait volontiers une digression sur l'étymologie du mot travail (du latin médiéval trepalium). Ne serait-ce que pour boucler la boucle et en revenir au pieu (triple celui-là). Comme quoi le travail peut aussi être une manière détournée de vous envoyer au pieu ?

Écrit par : Yves | 26/09/2008

J'avais pensé en effet parler du verbe "lézarder" et même de la lézarde d'un mur, mais je suis tombé endormi avant de boucler la boucle et de revenir au "pieu" (sourire).

Écrit par : Feuilly | 26/09/2008

"(Notre) langue est un roman", écrivez-vous.

Eh oui, quand il s'est agi, sur les débris de l'Empire d'Occident de faire un partage durable entre les petits-fils de Charlemagne, durable, c'est-à-dire acceptable par tous, on imagine (faute de documents) que ce sont des clercs savants, imprégnés de culture latine traditionnelle, qui ont eu cette idée simple et révolutionnaire :
Faire le partage entre Charles (Le Chauve) et Louis (Le Germanique) selon la langue parlée par leurs sujets. Une "Francia occidentalis" à l'ouest, dont les habitants parlent le "roman" et une "Francia orientalis" à l'est, de langue germanique. Entre les deux, en tampon, (pour Lothaire) un royaume tout en longueur, assez invivable et multilingue de surcroît, qui court de la Lombardie à l'embouchure du Rhin. Couronne impériale à Lothaire comme symbole d'unité.

Le "roman" est une langue doublement vulgaire :
# un dérivé du latin populaire, celui des marchands, des esclaves et des soldats arrivés en Gaule avant la conquête romaine huit siècles plus tôt.
# du mauvais latin mâché et remâché par l'usage quotidien.
Ces origines plébéiennes de la langue française n'ont jamais fait l'affaire des nationalistes. On n'avoue pas aisément que le génie de la langue est né dans le ruisseau.
On ne sait trop quelles langues parlaient nos ancêtres les Gaulois, avant Jules César, le celte excepté.
Elles n'ont guère, hormis le bastion breton, résisté à la dévoration latine. Tout le monde parlait latin à sa manière.
Les contemporains de Charlemagne ont conscience qu'il existe deux langues dans la partie occidentale de l'Empire :
celle de l'écrit, le latin et celle des illettrés, de la parole qui s'éparpille en une infinité de dialectes.

Dans les fameux "Serments de Strasbourg" ( qui marquent la naissance conjointe de la France et de l'Allemagne, sous le signe de la reconnaissance mutuelle de leur spécificité linguistique, sur la ruine de l'idée impériale latine) , Nithard (petit-fils de Charlemagne, fils de Berthe la fille de l'Empereur, et du poète franc Angilbert), Nithard interrompt sa narration en latin pour transcrire le serment prononcé en langue romane par Louis le Germanique.
La langue écrite française est née le même jour que la France et par une même décision politique liant l'une et l'autre.
L'écriture dessine un espace national qu'aucun parler ne recouvre. LA LETTRE NE RECOPIE PAS, ELLE CREE.

in "Le pays de la littérature", de Pierre Lepape, Seuil 2004

Écrit par : michèle pambrun | 26/09/2008

Juste une précision par rapport à mon déjà long commentaire précédent : on ne trouvera pas dans le livre de P. Lepape, ce texte comme ça. J'ai fait un raccourci parmi les notes que j'avais prises en lisant ce livre.
L'envie de cette remontée à la source de l'histoire, tellement ce texte "Des lauzes, des laves et autres palis", est un festival de la langue (comme roman).

Écrit par : michèle pambrun | 26/09/2008

Quel roman fleuve!
Il est certain qui si le partage s'était fait horizontalement et non verticalement lors du traité de Verdun, l'Histoire de l'Europe aurait été différente dans les mille années qui ont suivi.

Suite de la réponse plus tard.

Écrit par : Feuilly | 26/09/2008

Roman fleuve, oui, et bien éloigné des lauzes, laves et autres palis. Mes excuses les plus plates.
Je suis d'autant plus honteuse de mon impolitesse (obligée de l'appeler comme ça) qu'un tel pavé est inutilement chronophage ici (lecture et réponse).
Celle que vous faites, de réponse, me fait réaliser que je n'avais même pas envisagé les choses sous cet angle, d'un partage qui eût pu être autre. Merci de cette distance immédiate qui génère le plaisir de la réflexion.
Amicalement.

Écrit par : michèle pambrun | 26/09/2008

Roman fleuve : disons que c’était de l’humour facile sur le mot roman (l’expérience m’a pourtant déjà appris qu’il ne faut pas faire d’humour sur Internet). Mais nous restons dans l'idée que l'hsitoire de la langue est un roman passionnant.

Est-ce si sûr que le partage se soit fait en fonction de critères linguistiques ? C’est possible, mais j’en doute un peu. Rome s’est-elle souciée de la langue des populations pour annexer à son profit tout le bassin méditerranéen (le désir de puissance des grands faisant généralement peu de cas du sentiment d’appartenance des populations) ? Il est vrai que dans un deuxième temps le latin l’emportait.

Justement, les clercs parlaient latin entre eux et je ne suis pas si sûr que les différences de dialectes rencontrées chez le peuple les inquiétaient beaucoup. D’autant plus qu’à l’intérieur même des langues romanes, les patois étaient différents et un Catalan ne comprenait pas un Champenois lequel entendait difficilement un Provençal. C’est plus tard, quand le français de Paris se sera imposé comme langue véhiculaire qu’on pourra parler d’unité linguistique dans une entité géographique précise.

De plus, dans ce partage en trois parties, la Lotharingie par définition restait linguistiquement non homogène. Pendant 1000 ans, les deux autres pays vont d’ailleurs la morceler et il en reste aujourd’hui ces pays étranges que sont la Belgique et la Suisse (comportant plusieurs langues).

Qu’il y ait eu deux latins sous Charlemagne est exact puisque le renaissance carolingienne visait essentiellement à permettre aux clercs de retrouver un bon niveau en latin (proche du latin de l’empire et pas le latin abâtardi et simplifié parlé par les clercs eux-mêmes.)
C’est en ce sens qu’on dit que Charlemagne a « inventé » l’école. En réalité il a fait venir des moines d’Irlande, où la latinité avait survécu à l’abri (relatif) des invasions barbares, afin qu’ils enseignent un latin convenable aux futurs clercs et que ceux-ci retrouvent une formation sérieuse.

« La langue écrite française est née le même jour que la France » Oui, mais cela ne veut pas dire que toute cette France-là parlait le français (seulement la France du Nord et encore, rien que Paris et l’ïle de France) ni qu’on ne parlait pas le français ailleurs (en Lotharingie par exemple). Cependant, il faudra attendre l’ordonnance de Villers-Côtterêts (1539) sous François I pour que cela devienne officiel (mais on sait que les actes juridiques sont toujours en retard sur la réalité des peuples). Donc, quand votre auteur dit que la lettre ne recopie pas mais qu’elle crée, c’est vrai, mais c’est exagéré. Villers-Côtterêts ne fait que légaliser ce qui existait déjà. Essayez de prendre un décret qui imposerait une langue à un peuple qui en parle une autre et vous m’en direz des nouvelles.

Écrit par : Feuilly | 26/09/2008

Quel mot perdu motive une telle recherche ? De pierre en pierre, quel chemin à retrouver ?

Écrit par : christiane | 26/09/2008

Aucun, le plaisir de cheminer est suffisant.

Écrit par : Feuilly | 26/09/2008

Ce que je retiens c'est que l'écriture est une langue que personne ne parle.
Quand les rédacteurs du serment décident de retranscrire selon les normes de l'alphabet et de la graphie latine, les paroles romanes que doit prononcer Louis le Germanique, ils doivent presque tout inventer. Il n'existe aucun système, aucun principe de transcription, aucune langue parlée fixe sur laquelle fonder leur mise en texte.
On peut toujours s'interroger sur les hasards de la conservation et sur ceux des découvertes.
Quelles traces resteront de notre civilisation dans douze siècles s'il reste encore des êtres vivants pour les lire et quelles interprétations en feront-ils ?
Et pouvons-nous exclure que demain se découvre dans une abbaye tyrolienne ou un ancien monastère de Syrie, sous la reliure d'un grimoire latin, grec ou arabe, un morceau de parchemin sur lequel sera noté le texte d'un sermon en roman, ou celui d'un poème traduit d'Ovide, écrits quelques dizaines d'années avant les Serments de Strasbourg ? Il faudrait alors tout repenser de l'origine.

Pour répondre (à ma façon, de ce que j'entends) à Christiane (qui a su retrouver les pierres) : nous n'en finirons jamais de chercher...

Écrit par : michèle pambrun | 26/09/2008

Je suis contente d'avoir appris quelque chose que j'ignorais totalement. D'autant que chez nous en Couserans, on ne dit pas "lauzes" mais ardoises.
Ceci dit, en Gascon le "v" se dit "b" comme au Pays Basque et en occitan dans pas mal de dialectes. Par exemple "m'en vau" qui se dit "m'en baou", du verbe "anar" dont on ne prononce pas le "r" final qui veut dire "aller". D'ailleurs, m'en vau !

Écrit par : Aédia | 28/09/2008

En accord avec Aédia pour dire le plaisir d'apprendre.

Et si je devais dire ce que je reviens chercher dans "Marche romane" (car la première fois, c'est toujours pour voir, on ne réussit pas grand-chose la première fois), ce que je reviens y chercher, c'est cette obstination à ne jamais se contenter d'un rapide survol des apparences, une espèce de volonté de réduire la part du mystère, un désir d'épuisement du sujet. Un ton, un point de vue, sachant que tout récit (qu'on fait des choses) est une fiction mouvante.

Écrit par : michèle pambrun | 28/09/2008

En espagnol aussi le "v" se prononce "b".
« Donde te vas? » se dit « donde te bas? »
« El pais vasco » se prononce « el pais basco », qui a donné pays basque en français. Quant à notre Gascogne, c’est aussi la Bascogne, le pays des Basques.

Quant à l’expression « parler le français comme une vache espagnole », je l’ai déjà expliquée, mais je le rappelle pour les nouveaux venus. Elle signifie parler le français comme un basque parle l’espagnol, mais les locuteurs francophones ont été désorientés par la graphie « vasco » (prononcée « basco ») et ils ont assimilé ce terme à celui du ruminant.

Écrit par : Feuilly | 28/09/2008

En ce qui concerne "parler français comme une vache espagnole" j'en savais la déformation.
Le Gascon se parle dans un territoire qui dépasse les frontières de la Gasgogne elle-même. Il est d'ailleurs amusant de noter qu'à Toulouse, encore au début du siècle et jusqu'après la guerre, la ville était coupée en deux selon des limites très précises : une moitié parlait le gascon et l'autre le languedocien.

Écrit par : Aédia | 29/09/2008

Tiens, tiens, j'ignorais cette particularité de Toulouse. Et Nougaro, quand il chantait "ô pais", c'était du gascon ou du languedocien?

Écrit par : Feuilly | 29/09/2008

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