21/06/2008
Du temps qui passe, inexorablement
Ainsi donc revoici le solstice d'été, qui nous rappelle, certes, que revient la belle saison, mais aussi que le temps n’en finit pas de s’écouler, inexorablement. Trompeur, celui-ci prend un aspect cyclique, nous donnant l’impression d’accéder à une espèce d’éternité. Illusion, évidemment, car la ligne du temps est linéaire et nous emporte avec elle. Les poètes, même anciens, ne s’y sont pas trompés :
Advis m'est que j'oy regreter
La belle qui fut hëaulmiere,
Soy jeune fille soushaicter
Et parler en telle maniere:
`Ha! viellesse felonne et fiere,
Pourquoi m'as si tost abatue
(…)
"Qu'est devenu ce front poly,
Ces cheveulx blons, sourcilz voultiz,
Grant entroeil, le regart joly,
Dont prenoie les plus soubtilz;
Ce beau nez droit, grant ne petit;
Ces petites joinctes oreilles,
Menton fourchu, cler vis traictiz,
Et ces belles levres vermeilles?
LIII
"Ces gentes espaulles menues;
Ces bras longs et ces mains traictisses;
Petiz tetins, hanches charnues,
Eslevées, propres, faictisses
A tenir amoureuses lisses;
Ces larges rains, ce sadinet
Assis sur grosses fermes cuisses,
Dedens son petit jardinet?
LIV
"Le front ridé, les cheveux gris,
Les sourcilz cheuz, les yeulz estains,
Qui faisoient regars et ris,
Dont mains marchans furent attains;
Nez courbes, de beaulté loingtains;
Oreilles pendans et moussues;
Le vis pally, mort et destains;
Menton froncé, levres peaussues:
LV
"C'est d'umaine beaulté l'yssue!
Les bras cours et les mains contraites,
Les espaulles toutes bossues;
Mamelles, quoy! toutes retraites;
Telles les hanches que les tetes.
Du sadinet, fy! Quant des cuisses,
Cuisses ne sont plus, mais cuissetes,
Grivelées comme saulcisses.
LVI
"Ainsi le bon temps regretons
Entre nous, povres vielles sotes,
Assises bas, à crouppetons,
Tout en ung tas comme pelotes,
A petit feu de chenevotes
Tost allumées, tost estaintes;
Et jadis fusmes si mignotes!
Ainsi emprent à mains et maintes."
François Villon, Le Testament (« Les regrets de la Belle Heaumière »)
Rodin
01:24 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, françois villon
Commentaires
Magnifique introduction et magnifique poème. Merci.
Écrit par : Khaznagi | 21/06/2008
Ha, Villon est là aussi...Merci pour ça et tes commentaires sur mon blog
Cordialement
Écrit par : Redonnet | 23/06/2008
J'étais certaine de rencontrer Villon ici et maintenant.
Je ne trouve pas triste ce poème, c'est celui d'une mue... Quand la vieillesse éteint ou avive la faim des corps, c'est que nous approchons des tombeaux et des énigmes, d'une crête où le corps devenu chrysalide s'ouvre à plus grand que lui qui est incorruptible, cette beauté qui ne passe pas et qui déjà s'expose dans un sourire, dans un regard , dans le mot tendresse, dans la main tenue, dans le silence partagé où murmure les fontaines du désir...
Écrit par : Christiane | 05/07/2008
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