12/11/2007
BHL
Pour opérer une transition douce entre mes derniers propos, fort politiques, et le monde des livres, je souhaiterais faire allusion à une interview de Bernard-Henri Lévi entendue l’autre jour à la télévision suisse (via TV5-Monde, qui nous offre ainsi un regard sur la Suisse, la Belgique et le Québec, ce qui contribue à rassembler un peu les pays dont la langue maternelle est le français).
D’une manière générale je n’aime pas BHL, son « Testament de Dieu » étant un des seuls bouquins que je n’ai pas terminé. Je trouve que derrière ses grands airs d’intellectuel engagé, il ramène tout à des questions personnelles. Souvent, tout tourne chez lui autour du thème de la judaïté, ce qui est certes légitime, mais pour autant qu’on annonce clairement la couleur. Quelqu’un qui me dit : « en tant que Juif, Arabe, Kosovar, Corse, Basque, Marocain, musulman, bouddhiste (…), je pense que… », je suis toujours disposé à l’écouter avec attention. Mais BHL, lui, joue toujours au grand penseur objectif alors qu’en réalité il fait une lecture de la réalité qui va dans le sens qui l’arrange. C’est ce qu’on appelle du sophisme et cela me dérange.
L’autre jour, donc, il n’a pas dérogé à ses habitudes. Interrogé sur la problème de l’aide humanitaire au Darfour, il a soutenu sans retenue la position de l’Arche de Zoé, ce que même Sarkozy n’avait pas osé faire (Sarkozy avait dit, lui, qu’ils étaient coupables mais qu’ils avaient fait cela pour la bonne cause, que c’était une bande d’illuminés et qu’on devait les libérer ou du moins les juger en France).
Défendre un point de vue humanitaire, c’est toujours louable, mais dans cette histoire du Darfour, on se demande toujours ce qu’il y a derrière (un sous-sol fort riche par exemple, ou des ennemis musulmans dans les pays limitrophes). Alors BHL est-il manipulé quand, de bonne foi, il demande l’intervention de l’Occident au Darfour ? Peut-être. Mais peut-être aussi sait-il ce qu’il fait.
Interrogé sur Nicolas Sarkozy, lui l’homme de gauche (enfin, il se présente comme tel), a dit (sans se justifier), qu’il y avait de bonnes choses et de moins bonnes chez le Président. Parmi les bonnes, il y a le rapprochement avec les Etats-Unis, dont il se réjouit (mais pourquoi ? Il ne l’explique pas, il se contente d’user de son autorité d’intellectuel reconnu pour dire que c’est une bonne chose), ainsi que le rapprochement avec l’OTAN et l’adoption du traité européen. On aurait pu s’attendre à ce qu’un Français de gauche ait une autre opinion. Pour comprendre, il faut deviner que BHL se place du point de vue du gouvernement israélien, qui ne peut que se réjouir d’avoir un nouvel allié pour s’opposer à l’Iran (et pour intimider la Syrie). Ce sont là des opinions qui se défendent. On les admet du point de vue de Jérusalem, on veut bien les admettre aussi du point de vue de BHL, mais pour autant qu’il annonce la couleur. Or il ne le fait pas. Il se contente de dire où est le mal et où est le bien, en grand seigneur qu’il est, sans entamer la moindre démonstration. Derrière tout cela, on retrouve toujours son opinion personnelle qui, dans son cas, tourne autour du sionisme. Il défendrait la religion musulmane ou les témoins de Jéhovah que ce serait encore la même chose pour moi. Certes, son opinion est légitime, je ne dis pas le contraire, mais cela m’embête que la grille de lecture qu’il applique sur la réalité est toujours celle-là, qu’il ne dit pas que c’est celle-là (avec Tariq Ramadan, par contre, on sait à quoi s’attendre) et qu’il veut nous influencer pour aller dans un sens qui l’arrange lui seul. Cela devient un peu lassant et je trouve finalement que ce grand intellectuel a des œillères.
Et puis toutes ces opinions qui tournent autour d’une race et d’une identité ont toujours de quoi inquiéter. Qu’on regarde ce qui se passe en Flandre, où un nationalisme exacerbé, poussé par l’extrême droite (et repris par la droite traditionnelle, puis par les autres partis démocratiques), est en train de se réveiller. On ne peut pas dire que c’est ce qui favorise le dialogue et la compréhension entre les peuples.
16:36 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (6)
Commentaires
Bonjour Feuilly,
Si vous avez l'occasion, je vous conseillerais assez une somme de l'écrivain Abécassis (le père, pas la fille, je reviens plus sur son nom o;) sur l'histoire de la pensée juive. Et l'enjeu que représente la terre d'Israël (une Jérusalem symbolique ou réelle?) Je ne connais pas de Juif, (je réfléchis...) fût-il belge, français ou autre, qui ne soit hyper sensible à l'existence d'israël. Pour eux et je les comprends, c'est la seule terre de refuge au cas où l'impensable (la Shoah) reviendrait. Ceci dit, tout le monde n'a pas la même opinion: les uns sont pour la paix, envers et contre tout, d'autres, eh bien, je n'en ai pas connu d'autres (c-à-d qui soient pour la guerre).
Je ne peux pas trop me prononcer sur l'affaire de l'arche de Zoé. Ni finalement, sur l'aide au Darfour. Je trouve tout de même que les intellectuels devraient cesser de se prostituer dans ces affaires d'Etat. (Onfray n'a pas fait mieux avec son blog anti Ségolène Royal, qu'il a fermé au terme de la campagne électorale en concluant: en vente dans les kiosques en septembre).
Soit. Je comprends votre point de vue. Qu'il soit congruent avec lui même, en somme.
Petite précision... Les problèmes linquistiques remontent à longtemps, certainement, entre les deux guerres. L'opinion flamande, déjà titillée par 14-18, se réveille avec la flamandisation de l'université de Gand (ville flandrienne traditionnellement bourgeoise en francophone). La guerre 40-45 n'améliora pas les choses, même s'il y a eu de la collaboration dans toutes les régions (aussi bien en Flandre qu'à Bruxelles ou en Wallonie), idem pour la Résistance. Mais là, c'est devenu parfaitement sensible, l'occupant s'en est fort bien servi.
Ca explose en 1968, quand les Louvanistes crient "walen buiten", -les wallons dehors- et les étudiants francophones (enfin, les autorités universitaires plutôt) créent l'université (et la ville) de Louvain-la-Neuve. Bilan, une magnifique opération immobilière dans une région encore à peu près désertique.
Après, ça n'a fait que croître et embellir, la fracture francophones/flamands, catholiques/laïques, riches/pauvres, le jeu des partis communautaires (on les appelait 'rassemblement wallon', 'fdf', "volksunie". La volksunie s'est mutée en NVA, parti qui s'est radicalisé et allié aux chrétiens flamands (ex CVP)...
POur le moment, ils n'en sont pas encore à réclamer les voix du Vlaams Blok (vrai parti d'extrême droite), mais bon, le NVA n'a vraiment pas bonne réputation.
Une chose est sûre, nous Bruxellois, on rame dans ces problèmes depuis au moins 40 ans (j'ai commencé à apprendre le néerlandais à 8 ans, et je n'ai jamais été fichue de le parler...)
Écrit par : Pivoine | 12/11/2007
Bonjour Pivoine,
Mais il n'est pas question ici de critiquer la culture juive, dont la nôtre est directement issue. Et il est normal, sans doute, que BHV défende Israël. Je dis simplement qu'il devrait avoir l'honnêteté de dire qu'il se positionne ainsi parce qu'il n'est pas neutre sur le sujet. Or il joue à l'intellectuel, il manipule les concepts et comme par hasard ses conclusions vont toujours dans le même sens. Je préfère le raisonnement chinois sur la crise birmane: "Oui, c'est une dictature, mais dans le fond ce pays ne nous dérange pas, nous ses voisins. Pourquoi risquer d'embraser la région en intervenant?". C'est cynique, mais honnête. Ils disent, « en tant que Chinois, nous pensons que… » Avec BHV j’ai toujours eu le sentiment qu’il nous roulait dans nos propres concepts pour arriver à justifier une réalité qui n’est pas forcément la nôtre.
Quant à l’état d’Israël, bien sûr qu’il doit exister. Mais d’un autre côté, sur le plan humain, il se passe des choses terribles à Gaza et en Cisjordanie. Des choses qui s’expliquent bien entendu, mais qu’on n’aime pas voir un pays ami pratiquer. Et je redis que c’est parce que c’est un pays dont on se sent proche qu’on a tout de même un peu le droit d’en parler (tout comme on peut parler de la présence américaine en Irak ou comme je peux parler des ministres de mon propre pays et les critiquer si j’estime qu’ils dépassent les bornes).
Pour ce qui est de BHV (et non BHL), notez tout de même que l’extrême droite du Vlaams Belang, que je sache, a tout de même voté la scission avec les autres partis. Heureusement la majorité était telle qu’ils n’ont pas dû s’abaisser à quémander leurs voix. Mais le problème c’est qu’ils véhiculent les mêmes idées, d’une manière beaucoup plus sournoise.
Écrit par : Feuilly | 13/11/2007
Et pour revenir à BHL, c'est tout de même un comble qu'il est en train de soutenir un président de droite tout disposé à entrer en guerre en Iran s'il le fallait. Cele ne se comprend pas de la part d'un intellectuel de gauche ou qui se dit tel. Par contre il desapprouvait les propos de Sarkozy sur mai 68 (forcément, il y était).
Écrit par : Feuilly | 13/11/2007
Personne de sensé ne remet en cause l'existence d'Israel. En revanche on est en droit, quand on est sensé justement, de récuser son impérialisme et sa vilolence, en tant qu'Etat.
BHL ? Franchement, cher Feuilly, depuis le temps que ce bellatre de la fausse conscience, triche et n'assène que des contre-vérités, ça ne vaut même pas le coup d'y consacrer un article.
Ne dites pas qu'il était de mai 68. Il y était de sa fenêtre et la critique intelligente et poétique (exigence de vie)qui s'est opérée au cours de ces journées remettait fondamentalement en cause l'existence même de tels pantins dans la sphère intellectuelle.
Écrit par : redonnet | 13/11/2007
Tout à fait d'accord. Le problème c'est que BHL se donne comme un penseur (ce qu'il n'est d'ailleurs pas) inscrit dans la lignée de 68 (mouvement qui en effet mettait en cause des privilégiés tels que lui).
Pour Israël, le problème, c'est que toute critique de la politique extétieure ou intérieure de ce pays est perçue comme une critique du judaisme en soi. Or ce sont deux choses différentes. Du coup, il n'y a plus personne qui ose s'opposer à ce qui se passe là-bas, comme si l'Europe, se sachant coupable du génocide de 40-45, n'osait plus rien dire. Elle a raison de se sentir coupable, mais faut-il pour cela laisser commettre d'autres exactions?
Enfin, pourquoi un article sur BHL? Après les réflexions sur Sarkozy, il ne fallait pas revenir trop vite à la culture, le contraste aurait été trop fort.
Écrit par : Feuilly | 13/11/2007
Si, si, en Europe, on ose se prononcer contre la politique israélienne, en tout cas, contre les calamités qui s'y passent. On voudrait bien qu'il y ait une solution pacifique, mais après tout... On ne peut pas l'adopter à leur place.
Me souviens d'une copine d'école qui, scotchée à sa radio lors de la guerre du Yom Kippour (et plus tard) ne rêvait que d'aller vivre en Israël. La seule chose qui l'ennuyait: le service militaire. Finalement, elle vit aux Etats-Unis je crois.
D'autres ont dit: je n'y retournerai que le jour où il y aura la paix (se demandant s'ils verraient ce jour de leur vivant).
J'avais bien compris ton point de vue sur BHL. FFF, les personnages médiatisés sont-ils ceux qui ont les choses les plus intelligentes à dire ?
Mais oh là là ! Ce blog sur la langue et les littératures romanes et autres montre ton désaccord avec le sarkozysme... C'est vrai qu'il y a de ces urgences !
Écrit par : Pivoine | 14/11/2007
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