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09/08/2007

Essai de sémiotique ou étude de la gestuelle présidentielle.

On sait qu’en littérature, on ne publie que ce qui se vend. On sait aussi qu’on ne vend que ce dont on parle. Autrement dit, le contenu d’un livre a moins d’importance que la publicité qui est faite autour de lui. Plus on en parle et mieux c’est.

Le petit président de la grande Sarkozie a visiblement compris la leçon (il ne me semble pourtant pas un fervent adepte de la lecture) puisque qu’il ne se passe pas un jour sans qu’on ne parle de lui. Après l’affaire du yacht privé qu’un riche ami industriel lui avait prêté (croisière qui, on s’en souvient, avait remplacé la retraite initialement annoncée, laquelle aurait dû avoir pour fonction de réfléchir sur le poids de la fonction présidentielle), le voici, sur son lieu de villégiature, qui passe à l’abordage du canot des journalistes occupés à le photographier. Il s’ensuit des propos assez virulents, du moins peut-on le supposer d’après le ton employé, car pour ce qui est du fond, exclusivement exprimé en français, les pauvres photographes américains n’en on pas compris le sens.

Comment interpréter un tel geste ? On n’avait jamais vu Mitterrand invectiver la presse en maillot de bain ou Giscard apostropher les journalistes en pyjama. Il faut dire que le nouvel occupant de l’Elysée a un style bien à lui, un style qui mérite qu’on s’y attarde.

Faut-il voir dans l’abordage du canot un trait de colère incontrôlé ? Si c’est le cas, ce n’est pas là un geste digne du représentant d’une grande nation. Le sieur Sarkozy aurait dû comprendre, même s’il est en vacances privées, qu’un tel geste risquait d’alimenter la critique et de se retourner contre lui. Un mauvais point pour lui, donc. Mais l’homme aime trop se pavaner devant les caméras pour qu’une autre explication ne puisse être envisagée. Le Président aurait délibérément accosté les journalistes précisément parce qu’il savait qu’on en parlerait. Même en période estivale, il ne faut pas que l’attention médiatique se détourne de sa personne. Eternel candidat, il prolonge la campagne électorale (où il a été excellent puisqu’il est parvenu à ce que les pauvres votent pour lui alors qu’il n’il n’a pas caché qu’il ne travaillerait que pour les riches) en se mettant lui-même sur le devant de la scène, ce qui détourne l’attention des mesures qu’il a prises en tant que Président. De plus, en pleine polémique suite à la signature d’un contrat d’armement avec la Libye (lequel intervenait après la libération des infirmières bulgares, épisode dans lequel c’est surtout Cécilia qu’on avait habilement mise en avant), il n’était pas mauvais de lancer les médias sur d’autres pistes.

On remarquera en passant que le petit Nicolas n’a pas envoyé ses gardes du corps pour faire la morale aux photographes, mais que, tel superman, il s’est déplacé lui-même. D’un côté, il rabaisse donc la fonction présidentielle en la confinant dans des tâches subalternes et secondaires, mais de l’autre il montre qu’il n’a pas peur de donner de lui-même et que comme tout bon citoyen ordinaire il protège sa famille.

Ce côté « démocratique » qui le fait ressembler à monsieur tout le monde, il le cultive volontiers. Quand on ne le voit pas en train de faire son jogging matinal, on le découvre en maillot de bain et torse nu. Il y a là, manifestement, une tendance à l’exhibitionnisme. Le but est donc bien de se faire voir et de faire en sorte qu’on en parle.

De toute façon, qu’il ait été réellement en colère, lassé d’être harcelé par les paparazzis, ou au contraire qu’il ait délibérément provoqué l’incident, le résultat est le même : on ne parle plus que de cela. En ce mois d’août, aucun article de fond sur la TVA sociale (destinée à faire payer par les consommateurs ordinaires les avantages fiscaux accordés aux entreprises), la loi sur la récidive ou le démantèlement programmé de la fonction publique. Il faut savoir à ce sujet qu’on ne remplacera plus tous les fonctionnaires qui partiront à la retraite afin de faire des économies budgétaires. C’est peut-être une bonne idée à court terme, mais sur une longue période cela aura pour conséquence d’empêcher les ministères de remplir leur rôle avec efficacité (ce qui permettra sans doute de proposer des privatisations partielles). A côté de cela on parle de supprimer des milliers de postes de professeurs, ce qui entraînera immanquablement une explosion de la petite criminalité. Cela ne fait rien. Le nombre des gardiens de prison a, lui, été revu à la hausse.

C’est donc de tout cela qu’il ne faut surtout pas parler, en recentrant le débat sur la personne du Président lui-même, cet éternel candidat qui prolonge la campagne électorale en la transformant en campagne de séduction. Et qui dit séduction, dit représentantes de la gent féminine. Or, des femmes, il n’en manque pas dans l’entourage de Sarkozy. D’abord il y a la belle Cécilia, dont la presse « people » s’est emparée et dont on se demande toujours si elle sera toujours là le lendemain. Et puis il y a toutes les femmes du gouvernement et plus particulièrement Rachida Dati, cette superbe étrangère (père marocain et mère algérienne) qui symbolise la réussite sociale promise à la population immigrée (pour autant que celle-ci fasse l’effort de s’intégrer). Choisie précisément pour ce qu’elle incarne, elle aura le triste rôle de mettre en prison ceux de ses frères de race qui n’auront pas respecté les lois françaises.

Nicolas Sarkozy joue donc un rôle en permanence. C’est en acteur qu’il s’est fait élire et c’est en acteur encore qu’il dirige le pays. Rien d’étonnant dès lors à ce que les photographes le harcèlent comme ils le font d’habitude avec les vedettes du festival de Cannes. En rabaissant le prestige présidentiel et en donnant de lui-même une certaine image (genre faux sportif décontracté), le locataire de l’Elysée nous fait oublier son manque de culture, son manque de style et surtout ses idées néo-libérales et pro-atlantistes si déplaisantes. En attendant une bonne partie des Français sont en vacances (les autres travaillent ou ne savent pas partir) et, sous la pluie, dans leur camping en Normandie ou en Auvergne, ils rêvent de cette villa américaine où leur président peut jouir de onze salles de bain. Il l’avait bien dit : l’avenir appartient manifestement à ceux qui se lèvent tôt.

Commentaires

Parfaitement d'accord avec toi.
Ca ne mange pas de pain de le dire (de mon côté), mais c'est très bien synthétisé quand même (du tien).

Écrit par : Franswa P. | 10/08/2007

Le même constat a été établi sur d'autres blogues politiques (je pense à Birenbaum, Intox2007 ou Betapolitique) : il y a plusieurs aspects, le plus visible étant l'écran de fumée avec mise en scène de la vie privée sous l'angle pipole. Un autre est bien l'alibi communautaire (Dati) ou d'origine politique (Kouchner), mais toutes les décisions importantes sont prises dans le cercle proche des conseillers et non plus dans les ministères. Enfin, vient le plus important : la campagne permanente durant le mandat. C'est un principe qui provient en droite ligne des néo-conservateurs américains. Enfin, il faudrait ajouter une rhétorique très particulière, celle du reproche imaginaire où l'on prête à ses détracteurs des propos ou des intentions avant même qu'ils disent quoi que ce soit, ce qui est très déstabilisant parce que l'adversaire ne peut aller immédiatement au fond des choses. Je pense que l'on n'a pas encore assez creusé le reproche imaginaire.

Écrit par : Dominique | 16/08/2007

Sans la savoir j'en parle un peu dans l'article d'aujourd'hui: culpabiliser l'adversaire si celui-ci s'en prend à la personne du président et non à ses idées.

Écrit par : Feuilly | 16/08/2007

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