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08/08/2007

Surimpression

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Ainsi donc on a découvert un nouveau Van Gogh. La peinture se trouvait sous l’oeuvre « Ravijn » (qui appartient à la collection du musée de Boston), laquelle, passée aux rayons X, a laissé apparaître un autre thème, proche du tableau. Cela tombe bien car au même moment on apprend que la pièce maîtresse du musée de Melbourne, « Tête d’homme » ne serait pas de Van Gogh.

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Tout cela laisse rêveur, surtout quand on connaît le prix des toiles du peintre hollandais. Nous nous retrouvons donc avec deux vrais Van Gogh sur une même toile et un faux. Mais ce faux n’en est pas vraiment un nous explique-ton. C’est une vraie peinture, peinte par un inconnu, sans intention d’en faire un faux Van Gogh. C’est donc un vrai, mais attribué par erreur à Van Gogh.

Tout ceci mérite quelques réflexions. D’abord on se demanderait bien si les experts ne jouent pas à créer les vrais et les faux. Sans doute sont-ils sincères et objectifs, mais il est certain que leur avis permet de multiplier le prix d’une toile par mille ou au contraire de le réduire à néant. Ceci dit, on regrettera que l’argent, une fois de plus, soit devenu la seule manière pour certains d’apprécier la valeur d’une toile. L’émotion esthétique semble en effet souvent passer au second plan. Quel est l’intérêt d’acheter une peinture pour l’enfermer dans un coffre à la banque ? Ne devrait-il pas exister une loi qui obligerait ces propriétaires à prêter leurs collections aux grands musées afin que le public puisse les admirer ? Il est vrai que ces mêmes musées disposent souvent d’un droit de préemption lors des ventes, mais les prix atteints ne leur permettent généralement pas de se porter acquéreurs. Il me semble pourtant que les tableaux des grands maîtres appartiennent quelque part au patrimoine de l’humanité et qu’ils devraient pouvoir être vus pas tous. Imagine-t-on le Colisée appartenir à un particulier ? Il est vrai qu’en son temps Berlusconi avait penser le vendre…

Mais ce qui me fascine surtout, dans l’histoire des deux Van Gogh sur une même toile, c’est cette notion de palimpseste. Le mot vient du latin palimpsestus, d’après l’adjectif grec palimsestoz, servant à désigner un parchemin que l’on gratte pour écrire de nouveau (palin ). Technique normale dans l’Antiquité, le mot est attesté chez Cicéron. Au XIX° siècle, il est repris par la paléographie avec le sens actuel. De leur côté, Baudelaire et Hugo définiront l’oubli comme un palimpseste.

Car le palimpseste ne caractérise pas uniquement la peinture. Toute œuvre littéraire, si on y réfléchit, est toujours un palimpseste puisqu’elle se nourrit des oeuvres antérieures déjà écrites. Chaque écrivain est avant tout un grand lecteur et nul ne peut prétendre être original au point de ne pas s’inspirer de ce qu’il a lu.

Notre vie elle-même n’est qu’une éternelle superposition d’impressions, chacune remplaçant la précédente sans l’effacer tout à fait. Ainsi on peut supposer que notre comportement actuel est déterminé par ce que nous avons vécu antérieurement (par exemple dans notre enfance, mais pas uniquement) et cela sans que nous en ayons vraiment conscience. Certains spécialistes parlent même de psychanalyse « transgénérationnelle ». Ainsi, tel problème rencontré aujourd’hui par un individu pourrait provenir de son éducation, ses parents ayant de leur côté intériorisé les conflits et les problèmes de leurs propres parents. Il faudrait donc remonter quatre-vingts ans en arrière et rechercher dans le comportement d’un grand-père depuis longtemps disparu et dans le non-dit qui a entouré ce comportement, l’origine du mal-être d’un enfant aujourd’hui par exemple. Tout ceci doit nous rendre très modestes. Nous qui avons souvent l’impression d’agir en fonction de nos convictions et après mûre réflexion, nous nous rendons compte que nous ne sommes que le fruit d’un déterminisme qui nous échappe. La question n’est pas neuve et elle a déjà fait couler beaucoup d’encre dans le domaine de la religion. Souvenons-nous de Luther et de Calvin. Face à l’Eglise romaine et à ses indulgences que l’on pouvait acheter (ce qui faisait que seuls les riches allaient au paradis), Luther avait permis à l’individu de lire la Bible et de réfléchir par lui-même (en se passant des prêtres) sur la meilleure manière de régler sa vie en fonction du livre saint. Chacun devenait donc responsable de sa vie et de son salut. Mais voilà Calvin qui vient annoncer que tout est prédestiné et que malgré tous ses efforts celui qui doit être damné le sera par volonté divine (et inversement). On n’échappe pas à son destin, en quelque sorte. Ce qui nous ramène aux Grecs et à leur conception de la divinité : les Dieux se jouent des hommes et Œdipe, malgré tous ses efforts, tuera son père et épousera sa mère.

D’ailleurs qui sommes-nous, finalement. Au moment où j’écris ces lignes il me semble le savoir clairement. Et pourtant je ne suis plus celui que j’étais il y a vingt ans (simplement parce que n’ayant plus le même âge mes préoccupations sont devenues autres) sans pourtant que je me sois rendu compte de la transformation. De plus, entre-temps l’époque a changé et les mentalités aussi. Du coup, tout en ayant l’impression d’être resté moi-même, il s’est opéré une double transformation, une double distorsion, un peu comparable à cet espace-temps courbe défini par Einstein. Tout est relatif. Je crois être moi-même mais je ne suis que le fruit de mon époque. Aurais-je vécu au Moyen-Age que j’aurais pensé des choses différentes. Et en grattant au fond de ma mémoire je retrouve des événements qui ont fait ce que je suis devenu. L’Histoire, notre histoire, n’est qu’un immense palimpseste, finalement.

Van Gogh le savait, lui qui peignait frénétiquement toutes ses impressions.

11:42 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Van Gogh, palimpseste

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