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18/09/2008

Le cerf-volant (souvenir d'enfance)

« Regarde les oiseaux », avait dit le père. «Tu vois comme ils volent vite et haut ? Regarde les oiseaux, ils sont la liberté. Ils vont où ils veulent, dans le grand ciel bleu, aussi légers que des ballons et aussi rapides que des avions. Si tu veux, si tu parviens à lire tout seul, à la fin de l’année scolaire, je t’offrirai un cerf-volant. »

« Qu’est-ce que c’est, un cerf-volant ? » avait demandé l’enfant.

« Un cerf-volant », avait dit le père, « c’est un objet en toile, très très léger et qui vole comme les oiseaux. Tu le tiens par une corde, pour ne pas le perdre et tu le lances dans le grand vent. Il va monter, monter, de plus en plus haut, comme les oiseaux. Ensuite, si tu veux qu’il bouge, dans le grand ciel bleu, tu te mets à courir et lui il te suit, tout là-haut. Ou bien, si tu veux qu’il fasse des zigzags, tu bouges ton poignet pour donner du mouvement à la corde et lui, là-haut, tout là-haut, il va bouger dans tous les sens comme un fou, comme s’il éclatait d’un grand rire. »

L’enfant avait regardé le père et avait souri.

Un grand silence s’était fait et tous les deux, le grand et le petit, contemplaient le ciel et les oiseaux qui virevoltaient.

« Je sais déjà lire un petit peu… », avait hasardé l’enfant timidement.

« Non », dit le père », « cela, ce n’est pas encore lire. Pour le moment, tu parviens à déchiffrer un certain nombre de lettres, mais tu ne les connais pas encore toutes. Et puis tu mets trop de temps pour comprendre un mot. Non, lire ce n’est pas cela. C’est quand tu prends un texte que tu n’as jamais vu et que tu es capable d’en comprendre le sens d’une traite, sans hésitation et de le lire à haute voix. »

« Mais, si je n’ai jamais vu ce texte avant et si je ne l’ai pas étudié en classe, comment pourrais-je le lire ? » questionna l’enfant, apeuré.

« Justement », dit le père », « c’est cela savoir vraiment lire : c’est être capable de lire à voix haute et sans hésitation un texte que tu n’as jamais vu et puis surtout tu dois en comprendre le sens, sinon cela ne sert à rien. »

« Ce n’est pas grave », dit l’enfant, malicieux, « car à la fin de l’année, j’aurai étudié en classe tout mon livre de lecture et je connaîtrai toutes les histoires. »

« Non », dit le père, « je ne suis pas d’accord. Cela, c’est tricher. Moi, je te donnerai le journal du jour et tu me liras la première page. Si tu parviens à le faire, tu auras ton cerf-volant. »

L’enfant réfléchit un long moment.
« Marché conclu », dit-il, en relevant la tête. « A la fin de l’année, je saurai lire dans le journal. »
Et ils s’en allèrent en regardant le grand ciel bleu et les oiseaux qui y dessinaient comme des lettres mystérieuses.


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Plus tard, bien plus tard, sur la plage de juillet, l’enfant tenait dans sa main un cerf-volant. Il le regardait attentivement. Comme il était beau, avec ses couleurs vertes et jaunes. On aurait dit un perroquet des tropiques ! Dans le ciel, les mouettes blanches criaient en tournant tandis que les noirs cormorans plongeaient dans la mer houleuse. L’enfant, lui, ne les voyait pas. Il ne voyait rien d’autre que son cerf-volant. C’ est qu’il était vraiment beau, il n’y avait pas à dire, avec ses bords bien cousus et sa forme effilée. Et comme il était léger ! On n’avait aucun mal à le porter et même on pouvait le tenir entre le pouce et l’index sans sentir son poids. C’était vraiment un cerf-volant fait pour planer très haut.

Mais voilà, si l’enfant le regardait tellement, c’est parce qu’il étai beau, certes, mais aussi parce qu’il se demandait comment il allait s’y prendre pour le faire voler. A ses pieds, il y avait une bobine de ficelle enroulée autour d’un bâton de noisetier que le père était allé couper exprès. Et de la ficelle, il y en avait beaucoup, des dizaines et des dizaines de mètres, afin que le bel oiseau puisse monter très très haut dans le grand ciel bleu. Le problème, c’est que si on déroulait la ficelle au fur et à mesure, le cerf-volant ne montait pas assez vite et il tombait lamentablement. Par contre, si on déroulait une grande longueur de ficelle, c’est celle-ci qui allait s’étaler dans le sable humide que la mer venait juste de quitter. Après, elle restait là à terre, comme un grand serpent mort et il fallait un bon quart d’heure pour la rembobiner sur son morceau de noisetier. Inutile, après cela, d’essayer de l’utiliser de nouveau, tant elle était lourde de toute l’eau et de tout le sel qu’elle avait bu.

L’enfant en était donc là, son cerf-volant dans une main et son bâton de noisetier dans l’autre, avec cette fameuse ficelle diabolique enroulée comme un serpent maléfique. Il ne savait plus que faire. Il ne voyait ni la mer, ni la plage, ni le grand ciel bleu, ni les mouettes qui la-haut tournaient inlassablement, mais seulement ce beau cerf-volant qui lui avait coûté tant d’efforts et qui refusait de décoller. Oh, il ne demandait pas l’impossible, l’enfant ! Tout ce qu’il aurait voulu, c’était simplement qu’il s’envole un petit peu, rien qu’un petit peu et qu’il ne reste pas toujours là dans sa main, comme un perroquet ridicule.

Car dans le ciel, il y avait d’autres cerfs-volants, qui eux non seulement avaient décollé, mais qui en plus planaient à des hauteurs inimaginables. Ils étaient si haut, ces cerfs-volants-là, qu’il fallait lever la tête très fort et presque se faire mal au cou pour les apercevoir, là-bas, tout au bord du soleil. Et les enfants qui les guidaient n’avaient aucun mal, semblait-il. Ils se contentaient de tenir leur ficelle distraitement, sans se soucier de rien et là-haut, dans le grand ciel bleu, leur cerf-volant leur obéissait. S’ils allaient à gauche, il allait à gauche, s’ils allaient à droite, il allait à droite et s’ils restaient immobiles, à regarder la mer ou à parler avec des copains, il restait bien tranquille à les attendre.

Il faut dire qu’ils étaient déjà grands, ces enfants-là et qu’ils devaient s’y connaître en cerfs-volants ! Rien qu’à les voir, on avait compris qu’il y avait intérêt à leur obéir. Le petit, lui, avec ses sept ans, restait là à regarder son jouet qui ne voulait rien faire de ce qu’il aurait voulu qu’il fasse. Par contre, pour ce qui était de se planter la tête la première dans le sable, ça, il s’y connaissait !

C’est alors que le père intervint, grave et sérieux, devinant sans doute toute la détresse de son fils. Il se mit à lui expliquer un tas de choses sur la technique à employer et pour se montrer plus compréhensible, il joignit l’acte à la parole, tirant sur la corde, lâchant du lest, marchant, courant, bref tentant l’impossible pour que décolle enfin de damné cerf-volant qui évidemment ne voulait toujours rien entendre. Vexé et piqué au jeu, le père se mit en devoir de réussir. Vous pensez bien, quelque part il y allait de son prestige ! Alors, les minutes passèrent, puis d’autres et encore d’autres. L’enfant, à la fin, commençait à s’ennuyer lorsqu’il remarqua des coquillages qui s’étaient incrustés sur les rochers de la falaise. N’y tenant plus, il laissa là le père et son cerf-volant, préférant s’agenouiller dans le sable mouillé pour contempler de plus près ces étranges créatures. Il se mit même à les compter, effleurant du bout des doigts leurs coquilles rugueuses et coupantes. Il fut parcouru d’un frisson.

Mais un cri de joie interrompit soudain son observation. C’était le père qui avait enfin réussi l’impossible : à une hauteur vertigineuse, le cerf-volant décrivait de larges cercles concentriques, n’en finissant plus de prendre de l’altitude. Ebahi, rempli d’admiration, l’enfant avança la main pour prendre la ficelle et pouvoir enfin jouer avec son cadeau. Hélas, c’est à ce moment précis qu’une bourrasque imprévue vint tout compliquer. Le pauvre cerf-volant virevolta sur lui-même tant et si bien qu’il tira brusquement sur la corde trop fine qui cassa net.

Alors le père et le fils virent s’envoler dans le grand ciel bleu le bel oiseau de toile, aussi léger qu’un ballon et aussi rapide qu’un avion. Il était libre et il en profitait, traînant derrière lui un morceau de ficelle inutile. Déjà il survolait la mer et bientôt il ne fut plus qu’un point à l’horizon, de plus en plus petit et finalement il disparut. Découragé, retenant ses larmes, le petit s’assit par terre, au milieu du restant de corde qui, sur le sable, dessinait comme de grandes lettres incompréhensibles.

« Je t’en achèterai un autre », dit le père confus. Mais l’enfant n’entendait rien. Il fixait sur le sable ces grandes lettres qui ne voulaient rien dire, si ce n’est, peut-être, tout le malheur du monde.

"Feuilly"