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11/10/2008

"Chez Bonclou" de Bertrand Redonnet

On sait qu’il est toujours très difficile de trouver un éditeur qui veuille bien s’intéresser à votre cas. Avec Internet, il existe maintenant des sites qui proposent des textes d’écrivains connus ou moins connus, textes qu’il suffit alors de télécharger, soit gratuitement comme chez Feedbooks, soit en payant comme chez Publie.net.

Jean-Jacques Nuel avait parlé sur son blogue de son expérience chez Feedbooks (ici et ici). Quant à Publie.net, il suffit d’aller voir le site de François Bon pour comprendre de quoi il s’agit.

Mais mon propos aujourd’hui n’est pas d’analyser les avantages et les inconvénients de ce système d’édition électronique mais plutôt de parler d’un des textes que l’on peut y trouver, à savoir «Chez Bonclou et autres toponymes » de Bertrand Redonnet.

Pour les habitués de ce blogue, Bertrand n’est pas un inconnu puisqu’il vient régulièrement déposer des commentaires et que l’on trouve son site en lien ici à droite. Dès lors, je ne puis prétendre à une critique objective car il est toujours difficile de juger le texte d’une personne que l’on connaît (même si c’est par l’intermédiaire d’Internet) et dont on apprécie par ailleurs les qualités. Mais cela ne fait rien, Baudelaire lui-même ne revendiquait-il pas une critique d’humeur, forcément partiale, mais qui avait l’avantage de dire clairement ce que l’on pensait ? De son côté, un auteur préfère souvent une critique sincère qui prouve qu’on a lu son texte avec attention plutôt que des phrases toutes faites comme on en trouve trop souvent dans la presse, lesquelles ne visent qu’à faire vendre un livre que le journaliste a à peine effleuré. Rien de semblable ici, donc, mais un regard qu’on sait déjà amical avant que ne commence la lecture.

Ce texte, qui fait 118 pages tel qu’il est proposé (en grands caractères assez espacés pour faciliter la lecture à l’écran) mais qui en ferait environ une bonne soixante selon la présentation classique, parle de toponymie. Sujet érudit, me direz-vous ? Et bien non. Il ne faut point chercher ici un dictionnaire exhaustif des noms de lieu de votre région ni même espérer y trouver des arguments scientifiques prouvant que tel nom de village ou de lieu-dit provient bien d’un étymon latin et non d’un étymon celte. C’est qu’il ne s’agit point du travail d’un savant philologue mais d’un poète des mots (ou d’un poète tout court). L’auteur, en effet, s’est amusé à émettre plusieurs hypothèses quant à l’origine de quelques toponymes.

Il traite, comme c’est normal, des régions qu’il connaît, à savoir en gros le Poitou (département des Deux-Sèvres et un peu le Sud de la Vendée) qui est à l’origine de tout puisque c’est le pays de son enfance et la Pologne puisqu’il y vit actuellement (suite à ces hasards de la vie qui n’en sont jamais vraiment et qu’il vous racontera lui-même un jour s’il en a envie). A partir donc de quelques noms de villages, il envisage différentes hypothèses, par l’entremise de dialogues imaginaires entre les villageois, ce qui rend la lecture agréable et même ludique. Chaque participant propose son explication quant à l’origine du toponyme. Le ton monte, on s’affronte et à la fin on comprend qu’on ne découvrira jamais la vérité, enfouie au plus profond de l’Histoire la plus reculée.

Ce qui nous intéresse, en tant que lecteur, c’est cette remontée dans le passé, à la recherche des origines (car les lieux où nous sommes nés sont fondateurs) car dire les lieux, c’est dire d’où on vient donc dire qui nous sommes. Mais derrière cette démarche pour ainsi dire existentielle, il y a dans ce texte une réflexion sur la langue et ses possibilités.

Oléron est-elle l’île aux parfums (insula oleorum) ou l’île aux larrons ? Cela fait une belle différence. En remontant aux origines du nom nous renouons avec nos ancêtres, tous ces gueux et tous ces manants qui ont habité ces terres avant nous et qui les ont nommées, déformant le latin qu’ils maîtrisaient mal ou pas du tout pour créer sans le savoir notre belle langue française. « La magie des mots passe le flambeau toujours intact, loin par-delà les hommes. Les mots sont des monuments » nous dit l’ami Bertrand. Comprenez aussi : les hommes passent, les mots demeurent. Car derrière les phrases de ce texte, je sens poindre les questions existentielles. La recherche du mot originel, c’est aussi la recherche des origines et du paradis perdu. Nous ne faisons que passer, transmettant aux générations suivantes ces toponymes dont nous avons nous-mêmes hérité. Belle réflexion sur le temps qui passe donc, comme ces fleuves, qui n’en finissent pas de couler (quand ils ne s’immobilisent pas dans les marais du Poitou)

« Car les fleuves sont comme le temps et comme les mots, éternels et de passage. En les regardant bien, en fait, ils ne bougent pas. Ils vont. Pour matérialiser la fuite, capter leur éphémère, il suffit de jeter un bout de bois et de le suivre des yeux. Sans cela, rien ne bouge devant nous que de l’éternel et rien ne bougera devant les yeux des hommes de l’an quatre mille cent et même au-delà. C’est en cela peut-être que réside mon effroi du temps et de la mort promise au bout et que je m’accroche à ces mots impérissables, des milliards de fois prononcés, jamais les mêmes cependant. C’est en eux qu’on peut puiser une goutte d’éternité. »

Et c’est comme cela tout du long, le poète continuant à s’interroger sur les mots, mais aussi sur l’Histoire. Un toponyme comme «Les Alleuds» provient-il des terres libres octroyées aux serfs par les seigneurs du Moyen-Age ou bien sont-ce les terres que les conquérants germaniques se sont octroyées au dépend des paysans celtes ? Cela fait une belle différence pour celui qui habite cet endroit. Est-il le descendant d’un chef de guerre qui s’imposa par la force ou d’un paysan qui lutta pour sa liberté ?

Je ne vais pas ici passer en revue tous les toponymes étudiés, ce serait déflorer le sujet. Que celui que cela intéresse y aille voir par lui-même ! Il n’y trouvera pas de réponses à ses questions, mais il repartira au contraire avec plus de questions encore. Mais n’est-ce pas le propre des livres de nous faire réfléchir ?

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