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29/06/2014

Des grottes et de l'art pariétal

Je parlais l’autre jour des grottes préhistoriques. On pourrait se demander ce qui nous fascine tant dans ces cavités naturelles. Evidemment, si l’on prend uniquement celle de Lascaux, on comprend assez vite en quoi elle  est admirable. Il y a d’abord la richesse et la variété des peintures qui y sont représentées, ainsi que la conscience que nous avons de toucher là l’origine même de l’art. En effet, que des chasseurs rustres et couverts de peaux de bêtes aient pu ainsi  consacrer une partie de  leur temps à représenter dans le ventre de la terre ce qu’ils voyaient au grand jour a quelque chose de fascinant. Qu’est-ce qui les a poussés à agir de la sorte, qu’est-ce qui a fait qu’ils ont subitement tourné leurs yeux vers autre chose que la capture du gibier et la  nécessité de pourvoir à leur subsistance ? On met le doigt, là, sur le désir de l’homme de comprendre ce qui l’entoure et sur son besoin de le représenter. Ne disposant pas de l’écriture, nos ancêtres n’ont pu que dessiner ce qui les entourait. Sans doute, pour qu’une telle démarche fût possible, a-t-il fallu qu’un embryon de société existât et que celui qui peignait à l’intérieur de la grotte reçût sa nourriture de ses compagnons, du moins en partie. Car l’art demande du temps libre et il faut avoir dépassé les besoins premiers pour pouvoir consacrer du temps à la représentation du monde.

Mais il n’y a pas que la beauté des dessins qui nous fascine à Lascaux. Il y a toutes les questions que ceux-ci suscitent en nous et qui restent désespérément sans réponse. Quelles étaient ces bêtes exotiques qui peuplaient nos contrées ? Nous les reconnaissons, pour les avoir vues dans un zoo ou dans une réserve africaine : antilopes, félins, rhinocéros, etc. Du coup, nous prenons conscience que nos contrées tempérées ont pu autrefois avoir un autre aspect et connaître un autre climat. Nous remontions le temps, au-delà de l’Histoire, et voilà que c’est la géographie qui bascule soudainement dans une sorte de relativisme : les paysages que nous connaissons bien et que nous avons tous les jours sous les yeux ont pu être différents : savane, brousse, climat tropical, végétation luxuriante et exotique, tout ce que nous attribuons à « l’autre », à l’Africain, a été le quotidien de nos ancêtres et la terre sur laquelle je marche n’a pas toujours été comme elle est. Bref, par ses dessins, l’homme préhistorique nous fait prendre conscience de l’aspect éphémère de toute chose.

Une autre question qui reste sans réponse quand on contemple les œuvres de Lascaux (ou d’autres grottes préhistoriques), c’est de savoir quelle était leur destination. Culte de la chasse ? Manière de s’approprier la force des animaux représentés et assimilés à des dieux de par leur dangerosité ? Religion primitive, proche du chamanisme ? Mystère. On pourrait se demander aussi pourquoi les animaux sont représentés seuls, en-dehors de leur milieu naturel (pas de prairie ou de forêt dans l’art pariétal). Faut-il en déduire que le but n’était pas de refléter la réalité mais au contraire de dessiner « l’essence » de l’animal, son âme en quelque sorte, son génie intrinsèque ? Mais à quelle fin ? On se perd en conjectures. Arche de Noé avant l’heure, la grotte préhistorique rassemble en un seul lieu une multitude d’animaux dont beaucoup s’évitent dans la nature (bovidés et grands carnassiers, par exemple). Faut-il en déduire que les peintures rupestres seraient déjà une manière d’idéaliser le monde, d’imaginer un lieu où toutes les espèces vivraient en harmonie ? Cette interprétation n’engage que moi, mais elle est fascinante. En effet, cela voudrait dire que la grotte, bien enfouie au sein de la terre mère, serait un microcosme, une sorte de miroir du monde extérieur, mais dont le reflet serait idéalisé. L’homme aurait en fait représenté là un monde imaginaire et un peu délirant, un monde où aurait régné l’harmonie.

Des chercheurs plus compétents que moi pensent plutôt le contraire. Ils imaginent que l’homme préhistorique a dessiné là sa peur. Sa grande crainte aurait été de voir la multitude des animaux représentés sur les parois s’animer tout à coup et sortir de la grotte (l’art alors ne serait plus représentation du monde, mais serait un monde en soi, fascinant et fantastique, magique en quelque sorte). Qui a raison, qui a tort ? A la limite, peu importe, ce qui compte ce sont les questions que ces dessins pariétaux suscitent en nous. En effet, si nos ancêtres ont voulu faire parler d’eux en laissant une trace de leur passage, ils ne savaient sans doute pas que leurs peintures nous interpelleraient à ce point et que c’est sur nous-mêmes et nos origines qu’ils nous feraient finalement réfléchir.

Je n’ai parlé jusqu’ici que des grottes comportant des peintures rupestres. Mais mon questionnement initial était de me demander pourquoi les grottes, en général, nous fascinaient. Lovées au creux de la terre, souvent invisibles du dehors (et par-là déjà mystérieuses et secrètes), généralement difficiles d’accès, elles offrent à ceux qui osent s’y aventurer la possibilité d’explorer l’intérieur du monde. Coupée de l’extérieur, complètement isolée et plongée dans une obscurité totale, la grotte n’existe pour le spéléologue que par la rugosité de sa paroi (le toucher) et éventuellement le bruit des gouttes d’eau tombant  de sa voûte (l’ouïe). Pour y pénétrer, il faut donc se munir d’un moyen d’éclairage. La fragilité de ce dernier fait craindre de se retrouver à tout moment plongé dans une obscurité totale. Or le noir fait peur car il ne nous permet pas d’appréhender les dangers possibles.

D’un autre côté, on pourrait tenir le raisonnement inverse et dire que la grotte, par son intimité, rassure. Coupée du monde, elle offre un refuge à celui dont la vie était menacée à l’extérieur. Dans ce cas, elle serait comme une sorte d’utérus naturel. Celui qui y « pénètre » (terme sexuel particulièrement pertinent, puisque le couloir d’accès de la grotte renvoie inconsciemment au sexe féminin, en l’occurrence au vagin) chercherait donc une protection. Comme l’enfant dans le ventre de sa mère, il viendrait se reposer ici des malheurs qu’il a encourus dans le monde extérieur. Rentrer dans une grotte,  ce serait donc remonter le temps et retrouver l’époque d’avant l’enfance et d’avant la naissance, là où notre vie a débuté, dans le mystère total de la rencontre de deux cellules.

Notre fascination pour la grotte tiendrait donc à tout cela. Peur du noir d’un côté et recherche d’un refuge originel de l’autre. Temps d’avant le temps, d’avant notre propre création, elle serait un peu un symbole de l’origine du monde (sans vouloir renvoyer ici au tableau de Courbet). Dissimulée au sein de la terre, en principe ignorée de tous, refuge idéal pour venir y panser ses blessures, elle permet aussi de « voir » ce qui se passe à l’intérieur de la terre (le cheminement secret de l’eau, par exemple) et donc d’accéder à ce qui est habituellement tenu caché.

Notons pour terminer que les églises romanes du Moyen-Age, par leur côté primitif et peu élaboré, mais aussi par leur voûtes simples qui rappelle celles des grottes, nous fascinent elles aussi probablement pour toutes les raisons évoquées plus haut (obscurité, refuge utérin, etc.). Inconsciemment, les hommes auraient donc construit de leurs mains, à l’extérieur, ce que la nature avait mis à leur disposition dans ses entrailles. Plus tard, ces mêmes églises romanes, si touchantes par leur pénombre et leur côté simpliste, laisseront place aux grand édifices gothiques, ouverts sur la lumière. Ce jour-là, la compréhension des grottes et des dessins pariétaux aura complètement disparu.

Notons pour nuancer qu’à l’intérieur les églises romanes étaient peintes de couleurs vives (comme les grottes préhistoriques) et qu’elles étaient donc peut-être moins sombres et moins frustres que nous ne nous les imaginons. 

 

 

grottes, Lascaux

01:03 Publié dans Errance, Histoire | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : grottes, lascaux

12/09/2008

12 septembre

Le 12 septembre 1940, près du village de Montignac, dans le Périgord noir, un chien se faufile dans une crevasse, au-dessus de la Vézère. Il est poursuivi par quatre adolescents, qui découvrent ainsi la grotte de Lascaux. Ils en parlent à leur instituteur, lequel alerte l’abbé Henri Breuil, un grand spécialiste de la préhistoire.

Le site est classé « Monument historique » dès 1940 et fera partie en 1978 de la liste du Patrimoine mondial établie de l'UNESCO.
On sait que le site fut rapidement en danger, suite à la présence des visiteurs (gaz carbonique). En 1963, le ministre des Affaires culturelles André Malraux décide de le fermer, ce qui entraîna la construction d’une copie (Lascaux II) ouverte en 1983.

Ce que j’ignorais, c’est que le site initial est toujours en danger et que ces dernières années de nouveaux champignons ont proliféré. Leur apparition est due à un déséquilibre au niveau de l'aération et à la multiplication des différents traitements utilisés. C’est ainsi que des moisissures (taches noires) sont venues dégrader les peintures et que l'UNESCO envisage de déclarer le site «chef-d'œuvre en péril».
Qualifiée de «Sixtine de la préhistoire», la grotte de Lascaux comporte différentes «salles» qui s'étirent sur 250 mètres de galeries et un dénivelé de 30 mètres. En tout, ce sont plus de mille figures que nos ancêtres nous ont léguées.

Reste à savoir quel but ceux-ci ont poursuivi en réalisant ces peintures. La théorie de «l'art pour l'art» semble peu probable, même si elle s’accorde bien avec notre mentalité contemporaine. S’agit-il d’un rituel lié à la chasse ? Peut-être. Le reflet de pratiques chamanistes ? Sans doute. Il suffit de relire les « Mythologiques « de Lévy-Strauss pour se rendre compte à quel point les peuples primitifs étaient fascinés par les animaux, dont ils se sentaient proches, finalement et dont ils essayaient de récupérer la force à leur profit. Le chamanisme, par des incantations, des gestes déterminés et des paroles rituelles répétées des centaines de fois, conduit l’individu (le « prêtre ») à un état second, lui permettant de rentrer en contact avec les « esprits ». L’usage de drogues est également fréquent et les images entrevues en rêve au cours de ces hallucinations pourraient bien être à l’origine des scènes reproduites sur les parois de Lascaux.

Que représentent, finalement, les animaux de la grotte ? Une sorte de pensée symbolique ? Dans ce cas la représentation animalière serait le moyen trouvé pour incarner la divinité ou en tout cas une approche du sacré qui ne laisse pas indifférent. Cela suppose chez nos ancêtres une réflexion sur leur destinée et sur la mort. Il y a 12.000 ans, l’être humain se demandait donc déjà ce qu’il pouvait bien faire sur cette terre et il tentait d’élargir sa sphère d’action (forcément fort limitée) grâce à la pensée magique, laquelle lui ouvrait un monde étrange et fantastique, un monde de rêves et de cauchemars, un monde d’après la mort ou d’avant la vie, comme on veut.

On peut voir dans une telle démarche (propre à tous les peuples primitifs à un certain moment de leur développement, rappelons-le) l’origine de toutes les religions. Certains y verront la preuve de la véracité de ces dernières, s’appuyant sur le fait que dès ses origines l’homme fut un animal religieux. D’autres au contraire diront que les religions proviennent d’un besoin inhérent à l’homme, un besoin de savoir et de se rassurer. Le fait que nos ancêtres aient développé ce comportement chamanique prouve simplement que celui-ci répondait à un besoin et donc que les religions actuelles, si elles sont plus élaborées, ne sont que l’aboutissement de ce comportement irrationnel. Chacun choisira la thèse qui lui convient.

Les représentations de Lascaux pourraient être aussi liées au mythe de la fécondité ou à d’autres mythes dont nous ne saurons jamais rien, ces populations ne disposant pas de l’écrit et ayant disparu à jamais.

Manifestement, une part de la fascination que nous éprouvons pour Lascaux provient de ce mystère qui l’entoure. Comme les temples antiques nous attirent en partie parce qu’ils sont en ruine (ce qui nous permet d’imaginer les monuments complets et de réfléchir à l’aspect éphémère des cultures qui nous ont devancés, extrapolant du même coup sur le sort de notre propre destinée), ces sites préhistoriques nous fascinent parce qu’ils soulèvent finalement plus de questions qu’ils ne donnent de réponses.

Evidemment, nous nous plaisons à imaginer que c’est dans ces grottes que l’art a pris naissance. Car par delà toutes les approches sacrées ou chamaniques, il n’en reste pas moins vrai que le fait de parvenir à représenter des animaux relève déjà d’une démarche artistique et que cela suppose la maîtrise d’une certaine technique. Bien plus, les scènes représentées prouvent que ces hommes qui nous ont devancés étaient capables d’imagination et que cette imagination répondait à une recherche d’idéal et d'harmonie.

Et puis il y a autre chose qui joue encore dans notre fascination pour ces hommes qui représentent l’enfance de l’humanité. A travers eux, nous désirons comprendre les origines de notre espèce sur le plan culturel, mais aussi finalement notre propre origine. Remonter ainsi l’histoire, n’est-ce pas remonter à sa propre enfance ? Et la grotte, ce lieu clos qui enferme tous les mystères, ne renvoie-t-elle pas à la perfection du ventre de la femme enceinte, cet utérus où chacun de nous, qu’il le veuille ou non, s’ouvrit à la conscience ? Tenter de percer les mystères de Lascaux, c’est tenter de découvrir le secret de la grotte et c’est donc essayer de comprendre le mystère de notre propre création.



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14:52 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : lascaux