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12/09/2008

12 septembre

Le 12 septembre 1940, près du village de Montignac, dans le Périgord noir, un chien se faufile dans une crevasse, au-dessus de la Vézère. Il est poursuivi par quatre adolescents, qui découvrent ainsi la grotte de Lascaux. Ils en parlent à leur instituteur, lequel alerte l’abbé Henri Breuil, un grand spécialiste de la préhistoire.

Le site est classé « Monument historique » dès 1940 et fera partie en 1978 de la liste du Patrimoine mondial établie de l'UNESCO.
On sait que le site fut rapidement en danger, suite à la présence des visiteurs (gaz carbonique). En 1963, le ministre des Affaires culturelles André Malraux décide de le fermer, ce qui entraîna la construction d’une copie (Lascaux II) ouverte en 1983.

Ce que j’ignorais, c’est que le site initial est toujours en danger et que ces dernières années de nouveaux champignons ont proliféré. Leur apparition est due à un déséquilibre au niveau de l'aération et à la multiplication des différents traitements utilisés. C’est ainsi que des moisissures (taches noires) sont venues dégrader les peintures et que l'UNESCO envisage de déclarer le site «chef-d'œuvre en péril».
Qualifiée de «Sixtine de la préhistoire», la grotte de Lascaux comporte différentes «salles» qui s'étirent sur 250 mètres de galeries et un dénivelé de 30 mètres. En tout, ce sont plus de mille figures que nos ancêtres nous ont léguées.

Reste à savoir quel but ceux-ci ont poursuivi en réalisant ces peintures. La théorie de «l'art pour l'art» semble peu probable, même si elle s’accorde bien avec notre mentalité contemporaine. S’agit-il d’un rituel lié à la chasse ? Peut-être. Le reflet de pratiques chamanistes ? Sans doute. Il suffit de relire les « Mythologiques « de Lévy-Strauss pour se rendre compte à quel point les peuples primitifs étaient fascinés par les animaux, dont ils se sentaient proches, finalement et dont ils essayaient de récupérer la force à leur profit. Le chamanisme, par des incantations, des gestes déterminés et des paroles rituelles répétées des centaines de fois, conduit l’individu (le « prêtre ») à un état second, lui permettant de rentrer en contact avec les « esprits ». L’usage de drogues est également fréquent et les images entrevues en rêve au cours de ces hallucinations pourraient bien être à l’origine des scènes reproduites sur les parois de Lascaux.

Que représentent, finalement, les animaux de la grotte ? Une sorte de pensée symbolique ? Dans ce cas la représentation animalière serait le moyen trouvé pour incarner la divinité ou en tout cas une approche du sacré qui ne laisse pas indifférent. Cela suppose chez nos ancêtres une réflexion sur leur destinée et sur la mort. Il y a 12.000 ans, l’être humain se demandait donc déjà ce qu’il pouvait bien faire sur cette terre et il tentait d’élargir sa sphère d’action (forcément fort limitée) grâce à la pensée magique, laquelle lui ouvrait un monde étrange et fantastique, un monde de rêves et de cauchemars, un monde d’après la mort ou d’avant la vie, comme on veut.

On peut voir dans une telle démarche (propre à tous les peuples primitifs à un certain moment de leur développement, rappelons-le) l’origine de toutes les religions. Certains y verront la preuve de la véracité de ces dernières, s’appuyant sur le fait que dès ses origines l’homme fut un animal religieux. D’autres au contraire diront que les religions proviennent d’un besoin inhérent à l’homme, un besoin de savoir et de se rassurer. Le fait que nos ancêtres aient développé ce comportement chamanique prouve simplement que celui-ci répondait à un besoin et donc que les religions actuelles, si elles sont plus élaborées, ne sont que l’aboutissement de ce comportement irrationnel. Chacun choisira la thèse qui lui convient.

Les représentations de Lascaux pourraient être aussi liées au mythe de la fécondité ou à d’autres mythes dont nous ne saurons jamais rien, ces populations ne disposant pas de l’écrit et ayant disparu à jamais.

Manifestement, une part de la fascination que nous éprouvons pour Lascaux provient de ce mystère qui l’entoure. Comme les temples antiques nous attirent en partie parce qu’ils sont en ruine (ce qui nous permet d’imaginer les monuments complets et de réfléchir à l’aspect éphémère des cultures qui nous ont devancés, extrapolant du même coup sur le sort de notre propre destinée), ces sites préhistoriques nous fascinent parce qu’ils soulèvent finalement plus de questions qu’ils ne donnent de réponses.

Evidemment, nous nous plaisons à imaginer que c’est dans ces grottes que l’art a pris naissance. Car par delà toutes les approches sacrées ou chamaniques, il n’en reste pas moins vrai que le fait de parvenir à représenter des animaux relève déjà d’une démarche artistique et que cela suppose la maîtrise d’une certaine technique. Bien plus, les scènes représentées prouvent que ces hommes qui nous ont devancés étaient capables d’imagination et que cette imagination répondait à une recherche d’idéal et d'harmonie.

Et puis il y a autre chose qui joue encore dans notre fascination pour ces hommes qui représentent l’enfance de l’humanité. A travers eux, nous désirons comprendre les origines de notre espèce sur le plan culturel, mais aussi finalement notre propre origine. Remonter ainsi l’histoire, n’est-ce pas remonter à sa propre enfance ? Et la grotte, ce lieu clos qui enferme tous les mystères, ne renvoie-t-elle pas à la perfection du ventre de la femme enceinte, cet utérus où chacun de nous, qu’il le veuille ou non, s’ouvrit à la conscience ? Tenter de percer les mystères de Lascaux, c’est tenter de découvrir le secret de la grotte et c’est donc essayer de comprendre le mystère de notre propre création.



Lascaux_taureaux.jpg

14:52 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : lascaux

Commentaires

Je viens t'assassiner d'un commentaire :
- Religion. Oui, sans doute. Mais attention, le besoin de religiosité, de métaphysique, de plus loin que le directement vécu n'est pas religion. La religion est ce besoin récupéré, torturé et et érigé en dogmes. D'où leur pérennité, aux religions.
Je suis, tu le sais, athée. Cependant, la bêtise des matérialistes purs et durs me fait fuir. Ce sont des gens sans intelligence dialectique, juste bon à énoncer des contraires comme vériteés définitifs.
- Ce qui me fascine ( je l'ai écrit par ailleurs) dans l'art rupestre, c'est qu'on retrouve, notamment au nord de l
'Espagne, la réplique de Lascaux. Il y a d'autres exemples.
Alors comment ? Des hommes pensaient le sacré, l'ésotérique, la puissance de la création artistique dans les mêmes dispositions sans être fédérés ni par une religion, ni par une culture, ni par un état et en ignorant peut être jusqu'à leur existence mutuelle ?
Comment ?

-

Écrit par : B.redonnet | 13/09/2008

Comment? C'est les questions que se posait Lévi-Strauss. Même sans contact géographique, des peuples de même évolution arrivent toujours au même raisonnement, comme si l'esprit humain était conditionné, dans sa logique même, pour franchir les mêmes étapes. C'est fascinant. Et en même temps, cela nous oblige à beaucoup de modestie, car finalement nous sommes incapables de sortir d'un schéma préétabli.

En Epagne: il y a Altamira

http://www.cantabriainter.net/cantabria/lugares/cuevasaltamira.htm

Pour le reste, je suis d'accord. Le besoin de religiosité (ce que j'appelle la recherche du sacré, comme en poésie), n'est pas la religion.

Écrit par : Feuilly | 13/09/2008

A peine discernable, comme au
travers d'une brume lointaine,
comme s'il nous fallait plisser les
yeux pour tenter d'apercevoir à
travers ces écrans de temps ce que
le temps aurait absorbé comme
il absorbe les corps, les réduit en
poudre, les mêle à la poussière,
aux pigments, mais suffisamment
visibles encore, ces bribes d'autrui,
pour nous convaincre que quelque
chose, il y a longtemps, s'est passé,
quelque chose d'inouï, dont cet
empilement de peinture aurait
conservé l'empreinte, (...)

"Les corps infinis" (Jean Rouaud, à partir des peintures de Pierre Marie Brisson)

Écrit par : michèle pambrun | 13/09/2008

"que quelque chose, il y a longtemps, s'est passé, quelque chose d'inouï"

Attention aussi au fait que nous avons tendance à amplifier les faits passés, à leur donner une importance exagérée. C'est l'essence même des mythes fondateurs (voir Iliade, Chanson de Roland, etc.), qui permettent aux sociétés de survivre en glorifant leur passé de manière imaginaire.

Écrit par : Feuilly | 13/09/2008

La question des mythes fondateurs mérite à elle seule un débat auquel je ne me risquerais qu'après travail.

Ce qui reste "inouï ", au sens littéral, c'est quand même la mise au point, comme dit Rouaud, de cette formidable machine à penser, savant assemblage de cellules nerveuses, minutieusement agencées, compartimentées, avec ses cases, ses domaines réservés, au point que même la musique y trouve son siège, ce qui sous-entend que ceux-là les "sapiens sapiens", voyaient loin, anticipaient, de sorte qu'on peut les imaginer chantonnant tandis qu'ils dessinaient les petits chevaux trapus sur les parois des grottes.
De fait, le même cerveau de la Combe d'Arc à la guerre des étoiles, trente-cinq mille sans une retouche, rien à redire.
Et s'il s'en trouve pour se lamenter, qu'est-ce qu'ils ont dans la tête les hommes pour s'acharner ainsi sur d'autres hommes, personne ne songe sérieusement à remettre en cause l'option physico-chimique des "sapiens sapiens".
A cause de cette litanie de splendeurs : Lascaux, Rouffignac, Niaux, Pech-Merle, Altamira...

Tout cela c'est Rouaud qui l'écrit dans Le paléo circus et si la littérature n'est pas là pour changer le monde, elle l'éclaire, et m'aide moi à réfléchir sur cela, que ceux qu'on imaginait brutes épaisses tout juste descendus du singe, eh bien "en savaient aussi long que nous sur la meilleure part de nous-mêmes."

Écrit par : michèle pambrun | 14/09/2008

La notion de progrès, d'ailleurs, est fort relative. L'homme reste l'homme, pour le meilleur et pour le pire. Souvent le pire, d'ailleurs (du moins en tant qu'espèce). Restent les individus, qui parfois nous étonnent.

Écrit par : Feuilly | 14/09/2008

J'ai aussi consacré mon éphéméride culturelle du 12 septembre à la découverte de Lascaux. J'avais pu visiter à titre individuel la grotte originale, peu après la sortie de l'ouvrage de Ruspoli (décédé trois mois avant la publication de l'ouvrage). Mais il est vrai que même les visites individuelles sont aujourd'hui de plus en plus rarement autorisées, compte tenu de la dégradation en cours de la grotte. On ne peut que songer à la disparition - tellement symbolique - des fresques dans Roma de Fellini...

Écrit par : Angèle | 14/09/2008

En effet, je n'avais pas vu que vous en parliez aussi. Belle description que celle de Ruspoli que vous donnez là. Ainsi vous avez pu visiter la grotte originale? Quel rare plaisir ce dut être et quel moment d'intense émotion!

Si demain ces peintures devaient retourner au néant, ce serait tout de même une catastrophe. Ainsi, une fois de plus l'oeuvre des hommes ne survivrait pas à l'épreuve du temps, ce qui, il faut bien le dire, enlève à nos actions une grande partie de leur sens.

"Qui sommes-nous et où allons-nous?", comme le peignait Gauguin, cet autre grand maître d'un art faussement naïf.

Écrit par : Feuilly | 14/09/2008

"Nous cherchons donc comme si nous allions trouver, mais nous ne trouverons jamais qu'en ayant toujours à chercher."

Écrit par : Saint-Augustin | 14/09/2008

Les deux grandes inventions : la grotte dans la montagne, le livre dans le langage.

Car ce sont les grottes qui ont fondé les crânes.

"Les Ombres errantes" - Pascal Quignard

Écrit par : michèle pambrun | 11/10/2008

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