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19/02/2008

Devoir de mémoire

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1940-1945, l'horreur


Il n’en rate pas une, notre ami Sarkozy. Il aurait voulu dresser l’une contre l’autre les différentes communautés présentes en France qu’il ne s’y serait pas pris autrement avec son projet de parrainage des enfants juifs massacrés pendant la guerre.

La France, qui se pensait comme un état laïc, est en train de redécouvrir qu’elle est composée de citoyens appartenant à des religions différentes. Nicolas, accompagné de sa future belle-mère ( ???) était allé salué le pape en décembre. Rien de plus normal que ces visites entre voisins bien éduqués, mais de là à affirmer que le prêtre ne remplacera jamais l’instituteur, il y a un pas qu’il aurait mieux fait de ne pas franchir. Cela revenait à mettre sur le devant de la scène politique une religion catholique par ailleurs un peu à bout de souffle. Cela revenait aussi à dire que tout bon dirigeant avait besoin du secours de la religion pour cantonner les citoyens dans l’espérance d’un monde meilleur et les empêcher de se révolter contre leur pouvoir d‘achat en chute libre. Rien de plus conservateur, en effet, que la hiérarchie de l’Eglise. En vous apprenant à ne pas séduire la femme de votre voisin (surtout s’il s’appelle Nicolas) et à ne pas voler le jet privé de votre patron, l’Eglise vous donne une conscience morale irremplaçable.

Ceci dit, il convient de nuancer et je connais des prêtres qui, sur le terrain, font un travail social remarquable, tandis que d’autres critiquent à juste titre la société de consommation basée uniquement sur l’argent et le mépris de nos semblables. On pourrait citer aussi des mouvements comme la Théologie de la libération, qui, en Amérique du Sud avait pris le parti des plus pauvres. Enfin, il s’agit souvent d’initiatives individuelles qui sont généralement en conflit avec Rome et on comprend pourquoi.

Mais revenons à Sarkozy. Après sa visite à Saint Jean de Latran en décembre 2007, le président a déjà annoncé qu'il assisterait à une séance solennelle de la loge maçonnique du Grand Orient de France. Pendant ce temps, les musulmans attendent patiemment leur tour (mais ils ont déjà eu droit à un discours tenu en Arabie, dans lequel le grand Calife Nicolas I faisait l’éloge du fait religieux).
En rappelant ainsi que chaque Français est religieusement différent de son voisin, il va réveiller les communautarismes. Ne vaudrait-il pas mieux insister sur les valeurs communes et rappeler que l’idéal républicain ne fait pas de différences entre les citoyens ?

En remettant maintenant le problème juif sur le devant de la scène, il risque de faire pis que mieux. Curieusement, lui qui dit que la France n’a pas à se repentir de ses actions et surtout pas de son passé colonial, voilà qu’il invite chaque enfant à ruminer le passé et à se culpabiliser pour ce que ses ancêtres auraient fait.

Bien sûr, ce sont là des faits dramatiques qu’il ne convient pas d’oublier et même s’il n’y avait eu qu’un seul enfant juif de tué pour la seule raison qu’il était juif, il faudrait encore en parler et dénoncer une telle barbarie. Bien sûr, le devoir de mémoire s’impose. Mais prenons le cas des jeunes Allemands. Doivent-ils être éduqués dans la repentance plus de soixante ans après les faits ? Sont-ils eux, en tant qu’individus, personnellement responsables des atrocités commises par leurs ancêtres ? Non, bien sûr. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne doivent pas savoir ce qu’a fait l’Allemagne à cette époque, afin précisément qu’ils agissent autrement. Mais ils ne vont tout de même pas, à chaque sommet européen, s’excuser devant la délégation française des actes commis par leur pays dans le passé. Nicolas l’a bien dit : il ne faut pas toujours se sentir coupable.

Alors, ce qui est vrai pour les Allemands l’est aussi pour les Français. D’autant plus qu’il ne faut pas oublier que pas mal de citoyens ont caché des Juifs pendant la guerre et que c’est leur gouvernement qui a honteusement collaboré. Donc, jusqu’à preuve du contraire, c’est surtout le monde politique de l’époque qui semble coupable, beaucoup plus que les personnes ordinaires, dans les rangs desquelles ont a tout de même trouvé des résistants pour s’opposer aux Allemands et des êtres sensibles pour s’insurger, avec leurs modestes moyens, contre les rafles des Juifs.

En résumé, si quelqu’un devait vraiment se sentir coupable, ce serait le successeur de Pétain, le grand Nicolas lui-même, pas à titre personnel, évidemment, mais de par la fonction qu’il occupe. Alors qu’il aille faire des excuses à Jérusalem au nom de l’Etat français si cela lui chante, c’est une chose, mais qu’il décide de culpabiliser toute la jeunesse actuelle, cela me semble particulièrement morbide. Un peu comme l’était déjà l’imposition de la lecture de la lettre de Guy Moquet. Les psychologues feraient bien de se pencher sur les conséquences que pourraient avoir un tel type d’enseignement ainsi que sur les motivations profondes du chef de l’Etat, qui semblent un peu pathologiques.

De plus, en imposant d’en haut une telle mesure ne risque-t-il pas d’obtenir le contraire de l’effet escompté et dresser la communauté musulmane contre les enfants juifs ? On dira certes qu’il ne faut pas se plier à ce genre de considération (et je suis le premier à trouver étranges ces horaires de piscines qui visent à séparer les hommes des femmes et cela afin de complaire aux exigences des imams) mais tout de même, le rôle d’un Président n’est-il pas de rassembler plutôt que de diviser ?

En fait Sarkozy est étrange et imprévisible. Pourquoi, au moment de son élection, avait-il boudé les cérémonies commémoratives du 8 mai (capitulation de l'Allemagne), mais avait tenu à assister à la Journée du souvenir de l'esclavage ? Etrange pour quelqu’un qui veut préserver la mémoire de l’Histoire mais qui ne veut pas se repentir. N’aurait-il pas dû faire l’inverse, s’il voulait être logique avec lui-même ?

On pourrait aussi regretter que les cours d’Histoire ne sont plus ce qu’ils étaient. Ne serait-il pas plus judicieux de les rétablir (y compris un cours de critique historique) afin non seulement de ne pas oublier des faits aussi importants que la Shoah, mais aussi afin de pouvoir replacer ces faits dans un contexte précis. Non, dit le Président, le «devoir de mémoire», ce n’est pas l’Histoire. On le regrettera car sensibiliser les jeunes à ce problème en jouant exclusivement sur la corde affective, c’est se rapprocher de pratiques comme le culte du héros. La seule différence, c’est que le héros, ici, est une victime.

A la limite, glorifier Jeanne d'Arc comme Pétain ou Le Penn ont pu le faire est certes contestable (puisqu’on poursuit en fait un but inavouable et inavoué) mais offre au moins l’avantage de vouloir rassembler tout le monde sous une seule bannière, celle de la France (avec cette restriction que pour le Penn, les immigrés n’ont pas à être français). De plus, le culte du héros voulait forger les personnalités en encourageant l’émulation : quels hommes que Surcouf, Du Guesclin, etc. ! Certes, une telle démarche nous semble aujourd’hui bien contestable et bien ridicule, puisqu’elle visait en fait à renforcer le patriotisme ou la religion (si l’idole était un saint comme Saint Vincent de Paul), mais au moins canalisait-elle les efforts dans un sens positif. Ici, c’est le contraire. Non seulement on revient avec un matraquage idéologique digne de ces époques qu’on croyait révolues, mais en plus le résultat final sera négatif puisqu’au mieux il culpabilisera et au pire il divisera.

Maintenant, s’il faut accepter ce «devoir de mémoire»,à la demande du président, pourquoi ne le pratique-t-il pas lui-même quand il se rend en Algérie par exemple ? Pourquoi les crimes perpétrés la-bas par les Français ne doivent –ils pas être rappelés alors que les mêmes crimes contre le peuple juif doivent l’être ? On sent bien qu’il y a inégalité de traitement et notre cher Nicolas voudrait attiser le ressentiment dans les banlieues à forte composante maghrébine qu’il ne ferait pas mieux.

Parce qu’il s’il faut se remémorer tous les crimes de l’Histoire, on peut y aller. A commencer par la Saint Barthélemy (comme cela il verra que la religion a parfois des excès et que c’est bien pour cela qu’on a préféré un état laïque), mais aussi la colonisation, le massacre des populations amérindiennes par les Espagnols, sans parler des bombes au napalm sur le Vietnam.

Ce n’est pas tout à fait la même chose, me direz-vous. Dans les cas que je cite, il s’agit simplement d’un pays qui impose sa volonté à un autre (colonisation) ou ses idées à un autre (St Barthélemy), tandis que les enfants juifs, eux, ont été massacrés exclusivement à cause de leur appartenance à une race. C’est vrai. Mais alors on pourrait citer le génocide cambodgien, la guerre civile de Yougoslavie (dont le dernier chapitre vient de s’inscrire hier avec l’indépendance du Kosovo), les attentats entre Chiites et Sunnites, l'épuration raciale et religieuse au Soudan et finalement le génocide rwandais (où la France, qui soutenait inconditionnellement les Tutsis semble idéologiquement bien impliquée).

Ne conviendrait-il pas de faire appel à l’intelligence et à la raison pour éviter ce qui se passe sous nos yeux plutôt que de jouer sur l’émotionnel en retournant soixante ans en arrière ? En n’oubliant pas que les débats de nature émotionnelle retombent aussi vite qu’ils sont nés. S’il veut que son action perdure, Sarkozy ferait donc bien mieux d’en appeler à la raison plutôt qu’à l’affectif.

Sans compter qu’étant lui-même d’origine juive, son calcul ne semble pas désintéressé. On va l’accuser de travailler pour son camp c’est-à-dire pour Israël. Même si sa démarche, au départ, est louable et part d’un bon sentiment, on va lui reprocher de se servir de la France et des Français pour tenter de justifier ou du moins de faire oublier ce qui se passe aujourd’hui dans la bande de Gaza.

Car était-il normal, quand les Américains ont imposé un boycott international à l’Irak, avant la guerre contra Sadam Hussein, que des enfants soient morts dans les hôpitaux par manque de médicaments ? Est-il normal que la même chose risque d’arriver à Gaza ? Ces situations ne datent pas d’avant-hier, elle se déroulent sous nos yeux. Le mur qui coupe la Palestine en deux commence furieusement à ressembler aux murs des anciens ghettos, si ce n’est que ce ne sont plus les mêmes qui sont enfermés. Nous sommes là en pleine urgence et la communauté internationale devrait se mobiliser. Rien ne bouge et rien ne bougera. Alors je veux bien d’un devoir de mémoire, mais il ne doit pas être à sens unique. Ce qu’il faut chasser, c’est la barbarie. Que m’importe à moi que l’enfant qu’on maltraite soit juif, arabe ou indien ? C’est un enfant avant tout. En réintroduisant le critère de la race dans ce genre de débat, on joue un jeu dangereux. Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises victimes, il y a des victimes, point final (y compris des victimes israéliennes qui tombent à cause des kamikazes fanatiques, ne l’oublions pas non plus ).


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Palestine, Gaza, l'horreur