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22/11/2016

Cap breton

C’est un grand cap qui s’avance dans la mer, une étendue verdoyante où fleurissent les bruyères. Quand on emprunte le petit chemin qui mène à son extrémité, on finit par se retrouver seul devant l’immensité bleue de l’océan qui gronde en-dessous. Il faut alors prendre le sentier tortueux qui descend par palier à flanc de falaise, en veillant à ne pas regarder en bas, sous peine de se sentir irrésistiblement attiré par le vide qui vous entoure de toute part. Il faut continuer à marcher et ne pas se laisser distraire par le bruit sauvage et continu qui provient des profondeurs. Vous savez que là les vagues se fracassent contre les rochers noirs et qu’inlassablement les galets sont roulés dans un grondement de fin du monde.

Une fois arrivé tout en bas vous pourrez vous asseoir sur le sable fin d’une crique minuscule et contempler le spectacle grandiose et sauvage de la nature primitive. Eclaboussé d’écume, recouvert d’embruns, vous vous souviendrez être venu ici avec elle, autrefois, à une époque lointaine. De tout cela, il ne reste que la saveur de deux lèvres salées et la chaleur d’un corps qui se blottissait contre le vôtre. Et puis aussi des cheveux flottant au vent et cachant un visage souriant.

A vos pieds la mer continue de s’agiter, enragée comme jamais, en harmonie avec le trouble qui s’empare de votre cœur.

Après une heure passée à contempler les flots écumeux, vous finirez par remonter le sentier à flanc de falaise, puisqu’il le faut bien. Au sommet, vous contemplerez encore une fois l’immense océan et ses flots bleus et en vous éloignant vous vous demanderez pourquoi l’herbe de la lande est devenue  si terne et pourquoi les fleurs des bruyères semblent si clairsemées.

 

C’est un grand cap qui s’avance dans la mer. En bas, il y a des vagues qui se fracassent contre des rochers noirs.  

 

Littérature

00:07 Publié dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature

10/11/2016

Anne-Marielle Wilwerth

Anne-Marielle Wilwerth est une poétesse du silence. Ses textes sont courts (trois ou quatre vers, pas davantage) mais denses car elle estime sans doute qu’il faut dire l’essentiel et puis se taire. « Quand on a entendu du Mozart, le silence qui suit est encore du Mozart » disait Sacha Guitry. Cette sentence pourrait s’appliquer aux textes du recueil d’Anne-Marielle, « L’île tutoyée » (Editions La Bruyère, Paris). Par petites touches brèves et incisives, elle s’inspire d’un paysage maritime (et qui est même encerclé par la mer, puisqu’il s’agit d’une île, autrement dit d’un lieu isolé dont on ne peut ni ne veut s’échapper) pour parler de ses sentiments intérieurs et de son moi profond. Les paysages ne sont pas simples descriptions, mais prétexte au cheminement intérieur.

J’ai le temps

J’attendrai

que la mer me transmette

ses secrets de sel

et que s’installe en moi

la sagesse insulaire

L’écrivain n’est jamais loin, qui, en surprenant la conversation du gardien et de son phare,  apprend à « éclairer de l’intérieur l’ancre des mots » Ancre des bateaux amarrés dans la baie ou encre du texte qui s’écrit ? Au lecteur de choisir et s’il aime les jeux de mots, il sera servi. Ainsi, on parle de « la première page du paysage », « des jardiniers de l’âme », « des îles frangées de doute »  ou du « poème échoué au fond de ma barque ».

Les animaux sont présents, pourtant, dans cette île des grandes solitudes. On y croise des chats

qui ont dans leurs yeux

la grande marée

-celle qui pousse les pensées

Vers le dedans

On observe des mouettes, à la pointe de l’île, « là où les rochers parlent peu » ou bien des goélands. On n’est pas loin de l’albatros baudelairien, mais point de bateau où l’animal peut venir s’échouer ici. On préfère plutôt « traverser à gué le long poème de la mer ». Un bateau, la poétesse en apercevra un pourtant, qui rentre au port, et c’est alors un peu comme si elle se réconciliait avec l’autre versant d’elle-même.

La présence d’une sirène et les « grottes du savoir où se parfument les fées » font penser à Nerval et à son «Desdichado ». Pourtant, point de vrai tristesse, ici, mais plutôt une quête de soi-même et on cherche son identité « dans les balcons éphémères des vagues ».

L’autre recueil que j’ai lu («Le coupeur de phrases est passé » publié chez L’horizon vertical) est plus difficile à expliquer car plus hermétique et il faut le lire pour s’en imprégner. Les mots sont judicieusement choisis et s’entrecroisent pour former des bouquets étranges et fascinants.

Je cherche les éclaireurs de miroir

La trame le plus profonde est en nous de toute façon   Nous qui jardinons partout sauf dans nos jardins Les images que je récolte dans mes mains  effacent ma voix qui voudrait briller dans la haute mer   Qui  a fermé mon grenier à sel   J’ai besoin de chaque parcelle d’amour

La poétesse est devant son miroir sans doute et elle cherche qui éclairera et donnera un sens à l’image qu’elle voit. Mais la trame la plus profonde (ce qui est caché) est en elle, jardinière particulière qui jardine en elle-même.  L’image qu’elle récolte (le sens de ce verbe renvoie à l’idée de jardin), elle la tient dans ses mains (belle métaphore) Mais cette image n’est sans doute pas satisfaisante puisqu’elle efface sa voix qui aurait voulu briller au milieu de la mer. Le « grenier à sel » renvoie à la fois à l’idée de mer, qui vient d’être évoquée (et du sel aux larmes il n’y a jamais loin) mais aussi au jardin (le grenier étant l’endroit on en conserve les produits de la terre). La dernière phrase dit le besoin d’amour, dont on ne gaspille aucune parcelle car il est rare. C’est donc une femme seule qui se contemplait dans le miroir et qui se demandait qui « éclairerait » sa vie.

Ce serait sans doute aller trop loin que de voir dans ce poème une connotation érotique (encore que des mots comme « profond » « mains », « jardiner » et « grenier à sel » pourraient aller dans ce sens.  Mais d’autres textes s’y prêtent davantage :

Déchirement aux hanches du cri   Muraille entrouverte sur un glaive éraillé

Cependant, ce serait réducteur comme interprétation. L’essentiel n’est pas là, mais dans des phrases comme « j’ai envie de voir les étoiles au fond de la mer » qui disent bien l’aspiration à un au-delà poétique. On notera au passage le choc des images (étoiles de mer ou les étoiles du ciel qui se retrouvent au fond de la mer). Derrière la réalité, le poème crée donc un monde à lui, où la vraie vie peut enfin trouver un sens. « Je veux respirer encore demain quand la marée se lèvera ».

Littérature, Anne-Marielle WilwerthLittérature, Anne-Marielle WilwerthLittérature, Anne-Marielle Wilwerth

01/11/2016

Françoise Houdart, "L'amie slovène", Editions Luce Wilquin, 2011

Magnifique roman que celui de Françoise Houdart, « L’amie slovène » que je referme à l’instant. C’est un livre sur le temps qui passe et sur l’amitié, qui reste plus forte que ce temps qui cherche à séparer les êtres. Laura a fui la Belgique pour retrouver ses racines en Slovénie. Là, devenue Lara, elle apprendra le slovène, cette langue que sa mère a refusé de lui parler depuis qu’elle est petite. Ce retour aux sources est donc une manière de se reconstruire et de trouver une identité. Mariée et devenue mère, elle entretient une relation épistolière ou téléphonique avec Sarah, son amie belge. Les années défilent et les deux femmes sont tellement prises par leur propre vie (les enfants, la guerre, la maladie, la mort) qu’elles ne trouvent jamais le temps de se revoir. A moins qu’elles ne l’aient pas vraiment voulu. En effet, si leur correspondance ne s’est jamais interrompue, il est clair qu’elles ne se sont pas dit l’essentiel et qu’il reste des zones d’ombre, des non-dits, des silences.

Pourtant, après plus de trente ans de séparation, Sarah décide d’aller revoir son amie. Elle laisse là son mari et prend l’avion pour la première fois de sa vie, la peur au ventre. Peur de ce premier vol, sans doute, mais peur aussi de ce qu’elle va trouver à son arrivée. Laura/Lara sera-t-elle devenue une étrangère pour elle ? L’attendra-t-elle seulement à l’aéroport ? Mais oui, elle est là et durant trois jours les deux femmes vont se (re)découvrir. Lara va se mettre à parler. Elle racontera son arrivée en Slovénie pour fuir un amour impossible en Belgique, son mariage heureux avec Ivan, mais aussi la guerre d’indépendance et le conflit avec la Serbie. Elle dira aussi la mort d’Ivan, emporté par la maladie et la solitude qui est la sienne aujourd’hui.

Durant ces trois jours, Lara fera découvrir son pays à son amie, depuis la douceur de la côte adriatique jusqu’à l’hiver glacial et enneigé de Ljublana. Car tout se joue sur le thème de la dualité, dans ce roman. Il y a deux pays (la Belgique et la Slovénie), deux temps (un avant et un après), deux langues (le français et le slovène). Les mots ont une importance primordiale. Car si Sarah est écrivain (elle enregistre d’ailleurs la conversation de son amie pour en faire plus tard un roman, qui est finalement celui que le lecteur tient en main, dans une sorte de mise en abime), Lara est traductrice. Et si les mots ont permis aux deux amies de conserver le contact pendant plus de trente ans, c’est aussi par les mots qu’elles vont se redécouvrir. Car chacune a changé au cours de toutes ces années. La vie a laissé ses traces et de petites rides sont apparues sur leurs deux visages. Mais l’amitié est toujours là, même si bien des choses n’ont pas été dites et si bien des secrets sont restés cachés.

Car Sarah avait une amie qui s’appelait Laura et c’est Lara qu’elle découvre dans ce pays étranger pour elle. Pourquoi avoir amputé son prénom d’une lettre ? Pour devenir autre et être une vraie Slovène, en reniant sa jeunesse passée en Belgique. Mais cela veut dire aussi que Lara a fui ce qui avait constitué cette jeunesse et qu’elle a renié une part d’elle-même. Durant ces trois jours, grâce à Sarah, elle va renouer avec son passé et tenter de concilier ses deux identités.

En attendant, elle lui montre les endroits qui ont compté dans sa vie (paysages, villes, ponts, maisons, etc.), ce qui permet de montrer avant d’oser dire. Car il faut du temps pour que les mots reviennent, il faut du temps pour oser se dire et se raconter à l’amie. Parfois, Lara s’aide de vieilles photos conservée dans une boîte pour rafraîchir sa propre mémoire. Alors elle raconte sa vie, ses joies, ses souffrances. Sarah, qui n’avait jamais compris comment cette jeune fille libre et libérée qu’était Laura avait pu venir s’enfermer dans un pays austère comme la Yougoslavie, découvre que la réalité était tout autre. Lara était libre d’aller où elle voulait et elle a d’ailleurs beaucoup voyagé à l’étranger avec son mari. Elle est même revenue quelques jours en Belgique au moment de la guerre d’indépendance. Pourquoi alors ne l’a-t-elle pas dit ? Pourquoi n’a-t-elle pas cherché à la revoir alors qu’elle était si près ? Il était donc grand temps que les amies se retrouvent et se parlent. Et c’est là toute la beauté de ce livre : cette manière de se retrouver, de se réapproprier l’amitié, par petites touches discrètes et pudiques.

Littérature, Françoise Houdart