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22/09/2012

De la récupération du "Printemps arabe"

Poursuivons donc nos réflexions.

On a vu comment l’Occident (comprenez l’Amérique et ses valets inféodés que sont les différents pays d’Europe) était parvenu à retourner le printemps arabe à son avantage, en exploitant les révolutions populaires qui l’avaient pourtant, dans un premier temps, privé de ses alliés Moubarak et ben Ali. Une fois le vieil ennemi Kadhafi purement et simplement éliminé, c’est le dirigeant syrien qu’on s’est mis en tête d’abattre le plus vite possible (afin d’isoler l’Iran).

Il faut avouer que sur un plan stratégique, c’est assez bien joué. Sauf que, comme on l’a dit, les révoltes libyenne et syrienne n’ont rien à voir avec un soulèvement populaire spontané puisqu’il s’agit essentiellement d’éléments étrangers bien armées qui s’infiltrent dans  ces pays pour inciter le gouvernement légal à réagir (ce qui justifie finalement une intervention occidentale au nom de la défense des droits de l’homme).

Pour que cela fonctionne, il faut évidemment que l’opinion mondiale soit persuadée qu’on assiste à une vraie révolution. La presse (même de gauche) appartenant aux puissants de ce monde, ce n’est pas difficile de donner la version que l’on veut. Tous les journaux recopient les dépêches de l’AFP et celle-ci  va prendre ses sources auprès de la soi-disant opposition syrienne basée à Londres, laquelle nous abreuve de chiffres et de faits assez invérifiables (mais dont de prime abord il faut mettre en doute l’impartialité puisque cette opposition serait la grande gagnante si le régime d’Assad venait à tomber). Les médias disant tous la même chose, le bon peuple d’Occident ne pense même pas à mettre en doute ce qu’on lui raconte.

Je disais donc que ces soi-disant révolutions syrienne et libyenne ne sont crédibles, pour l’opinion, que dans le contexte du printemps arabe. J’en viens donc à me demander si ce printemps lui-même n’a pas été orchestré de toute pièce. Je ne veux pas dire par là que les gens qui ont manifesté à Tunis ou au Caire n’étaient pas sincères (ils l’étaient assurément puisque certains sont allés jusqu’à perdre la vie pour défendre leurs idées), je dis que peut-être toute cette agitation aurait pu être commanditée de l’extérieur. Après tout, Ben Ali et Moubarak avaient fait leur temps et si ce n’étaient pas des dictateurs au sens strict (comme Pinochet par exemple), leur régime corrompu commençait à susciter une véritable opposition. Plutôt que de les maintenir de force, ce qui aurait entaché l’image de l’Amérique, défenderesse de la liberté, il valait mieux prendre les devants, pousser les gens dans la rue et leur faire croire qu’ils prenaient eux-mêmes le pouvoir.  Dans les faits on savait qu’en Tunisie les musulmans conservateurs gagneraient les élections (ce qui, pour le commerce, est toujours mieux que  la gauche radicale) et qu’en Egypte l’armée allait assurer la transition (armée dont les cadres sont pour la plupart formés aux Etats-Unis).

Il restait à savoir si on avait le droit de laisser tomber ces amis de longue date qu’étaient Ben Ali et Moubarak et qui avaient assurément rendu d’infinis services à l’Occident. En fait la question ne s’est même pas posée. Les intérêts politiques et économiques de l’Empire ne s’embarrassent pas de sentiments. Ces dirigeants fidèles avaient fait leur temps, qu’ils quittent vite la scène de l’Histoire…

Oui mais, allez-vous me dire, n’est-il pas dangereux de laisser des musulmans relativement intégristes prendre le pouvoir ? On a maintenant un parti religieux élu démocratiquement  à la tête de la Tunisie (déjà dépassé sur sa droite par les salafistes),  on a les Frères musulmans en Egypte, on a un gouvernement hétéroclite en Libye, mais qui a déjà imposé la Charia comme base du droit. On aura vraisemblablement la même chose en Syrie d’ici peu. N’aurait-il pas été moins dangereux pour l’Empire US de maintenir de force les anciens dictateurs ? Pourtant, si on peut faire semblant de croire que la révolution a été spontanée en Tunisie et en Egypte, il est clair qu’en Syrie et en Libye c’est l’Occident lui-même qui manœuvre pour mettre ces régimes religieux conservateurs au pouvoir. C’est d’autant moins logique que dans le cas de ces deux derniers pays on n’a pas hésité à se servir des milices d’Al Quaïda pour appuyer les belligérants. Etrange paradoxe puisqu’on combat Al Quaïda partout, qu’on lui impute la destruction des tours de New-York, que pas mal de soldats occidentaux se sont fait tuer dans cette lutte, et que maintenant on utilise cette même organisation criminelle pour renverser les régimes qui ne nous plaisent pas.

La situation en est presque comique. Ainsi l’actuel gouverneur militaire de Tripoli est un ancien combattant d’Afghanistan, qui a été torturé en Libye par les services secrets anglais (avec l’accord de Kadhafi, soucieux de sortir de son isolement diplomatique et désireux de se rapprocher de l’Occident, en quoi il a eu tort, comme la suite des événements l’a montré), qui s’est retrouvé mêlé à la révolution libyenne (à Benghazi, il en a profité pour éliminer un ancien général de Kadhafi qui avait été retourné et qui était sûrement celui qui l’avait livré aux Anglais), qui occupe aujourd’hui un poste important dans le nouveau régime, mais qui travaille surtout en Syrie pour y préparer l’avènement d’un pouvoir islamique pur et dur.

Bref, qu’est-ce que l’Occident peut raisonnablement attendre d’hommes de cet acabit une fois qu’ils auront en main les rênes d’un pays ? Pourquoi préférer aux régimes laïcs (Syrie et Libye) des régimes religieux qui, dans leur logique, ont mille raisons de nous détester, comme colonisateurs et exploiteurs d’abord et comme infidèles ensuite. 

Les récents événements contre les ambassades américaines prouvent d’ailleurs que ces gens ne nous portent pas dans leur cœur. C’est donc sans doute une erreur de les aider à prendre le pouvoir.

Ceci dit, il faut être plus nuancé car ce ne sont pas les djihadistes que l’on  a mis au pouvoir, mais des partis religieux (Frères musulmans en Egypte,Ennahda en Tunisie, etc.). Là où les révolutions furent spontanées, le peuple qui s’était soulevé contre ses anciens maîtres a voté pour des partis religieux (ce qui était prévisible et sans doute attendu, car les mouvements de gauche n’avaient pas le même rapport de proximité avec la population). Là où l’Occident a aidé ou aide encore à renverser les régimes, on a plutôt l’impression qu’on se sert de ces djihadistes comme de combattants utiles, étant entendu qu’une fois la situation redevenue calme, ce sont les Frères musulmans qui occuperont la scène politique.

D’un autre côté, on voit en Tunisie que le parti religieux au pouvoir est confronté aux salafistes, beaucoup plus radicaux que lui et revendiquant un islam plus dur et plus intransigeant.  Ces derniers veulent donc  montrer qu’ils existent et tentent d’imposer leur interprétation du Coran. On aurait donc une lutte pour le pouvoir entre des partis religieux déjà assez conservateurs et des extrémistes djihadistes intransigeants.

Tout cela est décidément bien complexe. Pour essayer d’y voir clair, il faut comprendre qui a intérêt à voir des partis religieux au pouvoir. Il nous faudra donc envisager le point de vue arabe et le point de vue occidental.

printemps-arabe.jpg

Commentaires

Boudiou c'est bien compliqué tout ça. Et brossé à grands traits, c'est encore plus déroutant parce qu'on ne tient aucun bout. Reste à se mettre au travail pour attraper les fils ici déroulés... :)

Écrit par : Michèle | 22/09/2012

@ Michèle : oui, c'est compliqué et comme on n'a pas toutes les informations... Qui sont les salafistes? travaillent-ils seuls? Israël veut-il effrayer l'Amérique au moment des élections, pour obtenir le soutien futur de ce pays? L'Arabie et le Qatar veulent-ils impose leur doctrine dans l'ensemble du monde arabe? Honnêtement on n'en sait rien à ce stade.

Écrit par : Feuilly | 22/09/2012

Le plus drôle est que je lis cet article, qui va plutôt à l'encontre de ce que j'entends habituellement... On peut se demander, en effet, quel est cet étrange goût pour le danger qui fait -laisser- se mettre en place des gouvernements islamistes. Les Etats-Unis posséderont toujours le monopole (et l'avance) de l'armement, mais il faut tout de même tenir compte de la guérilla, des attentats. Mais sans doute ont-ils calculé leur coup (enfin, ils !!!) disons que ces coups sont sans doute bien calculés de manière à ce que les pertes soient moindres...

En mettant de l'ordre dans mes affaires, j'ai retrouvé un schéma (pour un examen d'histoire) où j'avais noté tous les pouvoirs en place en Afrique du nord (ou à peu près) et au Moyen Orient. Etonnant !!! http://quartzrose.canalblog.com/archives/2012/08/13/24889380.html

Écrit par : Pivoine | 24/09/2012

@ Pivoine : ce qui est curieux, c'est que l'Occident ne semble pas se scandaliser outre mesure de la situation des droits de l'homme dans certains émirats, lui qui est pourtant si sourcilleux sur ce thème-là quand il s'agit de ses ennemis. On a fait la conquête du Moyen-Orient du temps des croisades au nom du christianisme, on la refait aujourd'hui au nom de la démocratie. Belle démocratie que celle de l'Irak...

Écrit par : Feuilly | 24/09/2012

@ Pivoine
Quelle conclusion faut-il tirer de la lecture de votre schéma? J'avoue que je n'ai rien compris, pouvez-vous m'éclairer?
J'ai noté qu'il manquait les pays d'Afrique du Nord.

Écrit par : Halagu | 24/09/2012

Bonjour Halagu,

A votre question à Pivoine, il me plaît de donner mon point de vue, car cela me met en travail et rien n'est plus agréable que de reculer toujours et toujours les frontières de sa propre ignorance :)

Si j'en crois un article non signé de Wiki, l'appellation de Moyen-Orient est une expression d'origine anglo-saxonne qui désigne pour les Européens, les Américains et les Africains, une région comprise entre la rive orientale de la Méditerranée et la ligne tracée par la frontière entre l'Iran d'une part, le Pakistan et l'Afghanistan d'autre part. Cette région se trouve essentiellement en Asie mais est parfois étendue à l'Afrique du Nord. Contrairement à une idée répandue, Proche et Moyen-Orient ne désignent pas deux espaces géographiques clairement séparés comme si en allant vers l’Est, au Proche-Orient succédait le Moyen-Orient… avant l’Extrême-Orient ! Ces termes désignent un même espace défini au tournant des XIXe et XXe siècles par le Foreign Office britannique comme le Middle East et par le Quai d’Orsay français, comme le Proche-Orient. Mais l’espace concerné comprend a minima le Croissant fertile (Israël, Territoires palestiniens, Jordanie, Irak, Syrie, Liban), la péninsule arabique (Arabie Saoudite, Yémen, Oman, Emirats arabes unis, Qatar, Bahreïn, Koweït) et la vallée du Nil (Egypte et Soudan). On y ajoute souvent l’Iran et la Turquie, parfois même le Pakistan et l’Afghanistan (héritage de la définition impérialiste britannique). Les États-Unis n’hésitent pas à y inclure les États arabes du Maghreb (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye), comme le montre le projet de « Grand Moyen-Orient ».


Quant à "l'aide-mémoire" de Pivoine, c'est, elle le dit elle-même une LISTE. Dont la vertu première est de NOMMER, de désigner. Jalel El Gharbi a écrit de très belles choses là-dessus, je ne sais plus si c'est sur son blog ou dans l'un de ses livres. L'importance de donner un nom pour faire exister.
Ici cette liste me semble avoir le mérite de rappeler, mettre ensemble. Aide-mémoire, dit Pivoine.

Il est évident que je ne réponds pas à sa place. Je n'ai pas résisté au plaisir de réagir, c'est tout :)

Écrit par : Michèle | 25/09/2012

@Feuilly

Tu écris :
"D’un autre côté, on voit en Tunisie que le parti religieux au pouvoir est confronté aux salafistes, beaucoup plus radicaux que lui et revendiquant un islam plus dur et plus intransigeant. Ces derniers veulent donc montrer qu’ils existent et tentent d’imposer leur interprétation du Coran. On aurait donc une lutte pour le pouvoir entre des partis religieux déjà assez conservateurs et des extrémistes djihadistes intransigeants."

Voici, sur Babelmed, un article de Jalel El Gharbi intitulé "Le mur de l'ambassade US et les failles du pouvoir en Tunisie", à propos des derniers événements à Tunis :

http://www.babelmed.net/cultura-e-societa/113-tunisia/13122-le-mur-de-lambassade-us-et-les-failles-du-pouvoir-en-tunisie.html

Écrit par : Michèle | 26/09/2012

@ Michèle : oui, j'avais lu cet article de Jalel. Depuis j'ai appris que le ministre de l'enseignement supérieur tunisien cherchait à rapprocher les universités tunisiennes de celles du Golfe (tendance wahhabite). Il s'est d'ailleurs prononcé pour l'autorisation du port du niquab aux cours, mais son porte-parole a dit qu'on avait mal interpété ses propos.

http://francais.islammessage.com/Article.aspx?i=3266

Dans tous les cas, on va vers plus de rigorisme et d'intégrisme.

Écrit par : Feuilly | 26/09/2012

Pour en revenir à ces unités historiques, ces appellations "Moyen Orient" et "Afrique du Nord", je reprends ce que dit Abdallah Laroui (Histoire du Maghreb, Maspéro 1970) :
Le Moyen Orient correspondant à l’espace arabe et l’Afrique du Nord à celui de la colonisation française.

Écrit par : Michèle | 27/09/2012

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