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31/08/2007

Qu'est-ce que la littérature?

Joseph Vebret, pour son ancien site, m’avait autrefois demandé de mettre par écrit quelques réflexions sur la nature de la littérature. Ce site ayant disparu au profit d’un nouveau (http://www.vebret.com/) mon texte a été perdu. Je le remets donc ici, imitant en cela Jean-Jacques Nuel, qui remet lui aussi sur son blogue le texte qu’il avait donné à l’époque. (http://nuel.hautetfort.com/archive/2006/06/12/la-litterat...)


Pourquoi la littérature ? Question à laquelle il est difficile de répondre dans la mesure où pour beaucoup de personnes la littérature est comme une seconde nature et qu’elle fait partie intégrante de leur être et de leur personnalité.

Et d’abord, est-elle du domaine de l’inné ou de l’acquis (pour remettre au goût du jour cette vieille querelle à laquelle les psychologues ne sont jamais parvenus à répondre) ? Il vaut mieux rester prudent avant d’affirmer quoi que ce soit dans ce domaine, mais c’est un fait qu’on observe souvent, parmi ceux qui deviendront de futurs grands lecteurs ou de futurs auteurs, un goût manifeste pour les histoires racontées, et ce dès la petite enfance. Ainsi, Gabriel Garcia Marquez a toujours expliqué que sa vocation d’écrivain trouvait son origine dans les contes que lui lisait sa grand-mère. Il s’en serait même inspiré pour créer son univers romanesque, connu sous le nom de réalisme magique. A cette passion pour la littérature orale, succède naturellement chez ces enfants la passion de la chose écrite. Ils dévorent tout, depuis les BD de Tintin jusqu’à l’entièreté de la collection verte, en passant par la Comtesse de Ségur ou les livres de Jules Vernes. Plus tard, bien entendu, on les retrouvera dans les couloirs des bibliothèques ou dans les allées des librairies. Mais quand on a dit cela on n’a encore rien dit, car on ne sait toujours pas d’où leur vient vraiment cet engouement. Est-il inné, et faut-il voir dans ce travers un atavisme familial ou une quelconque déviation génétique ? Est-il au contraire acquis et cette passion précoce traduirait-elle quelque part un manquement, comme par exemple la nécessité de découvrir dans les livres une réalité plus belle que celle de la vie ? Est-ce l’exploration de l’imaginaire, mise ainsi à leur portée, qui enchante ces enfants ? La lecture précoce ouvre-t-elle la porte d’un monde privilégié, qui restera à jamais inaccessible pour les autres ? Le besoin de lire était-il préexistant ou est-ce la lecture qui a alimenté et développé ce besoin? Bien malin qui pourrait répondre à ces questions. Il semble pourtant qu’il y ait quelque part une faille, une déchirure, que viendrait combler l’exploration du monde de l’imaginaire. Comme il n’est pas douteux que cette exploration vous entraîne de plus en plus loin au point que parfois le lecteur devient lui-même écrivain.

Evidemment, à force de s’imprégner de la vision du monde offerte par d’autres, le lecteur invétéré finit par vouloir proposer sa propre vision. Car tout est là. Devant le monde imparfait dans lequel nous vivons, nous pouvons être tentés d’élaborer une version plus parfaite, qui soit de notre cru et qui corresponde mieux à nos aspirations. Puisque la vie est un rêve et même un mauvais rêve, c’est que la réalité, la vraie, se trouve dans l’imaginaire (concept qui englobe à la fois le roman et la poésie). D’ailleurs, s’ils parlent du monde tel qu’il est, les livres ont d’abord tendance à le dénoncer. C’est que la littérature n’est pas un simple jeu, évidemment. Elle prend sa source au cœur même de la personnalité de l’auteur et sa démarche a un caractère ontique. Ecrire, c’est d’abord dire le mal qui nous entoure, le dénoncer, et par-là le condamner. Ainsi, on peut écrire sur la politique, sur l’inconstance de la nature humaine (en amour comme en amitié), sur les choix culturels de notre société, sur la présence de Dieu ou son absence. Bref, on peut dénoncer ce qui ne correspond pas à notre moi intime. Ecrire, c’est donc rejeter le monde réel pour tenter d’imposer sa propre vision des choses. Parfois, plus modestement, c’est tenter de concilier ces deux contraires et faire en sorte que l’individu, malgré toutes ses blessures et toute sa révolte, puisse trouver une place plus ou moins acceptable dans ce monde injuste qui n’était pas fait pour lui. La littérature dépasse alors la critique pour essayer de trouver l’équilibre et l’harmonie. Elle est donc quelque part une recherche du bonheur, mais cette recherche, par définition, est illusoire, puisqu’elle repose sur la fiction. A peine un roman est-il achevé, à peine un poème est-il terminé, que l’auteur doit reprendre sa tâche pour créer de nouvelles fictions, de nouveaux personnages de papier, de nouveaux rêves. Tel Sisyphe, il est condamné à toujours écrire et à repousser autant qu’il peut les limites des possibles, sans parvenir jamais à trouver un terme à sa recherche.

Pourquoi lire, donc ? Et bien pour trouver chez les héros de romans un sens à la vie, tant il est vrai que ceux-ci sont représentés selon cette seule optique. Le héros amoureux est uniquement préoccupé par son amour, l’aventurier par ses explorations, le révolté par son combat. Nous, au contraire, dans notre vie de tous les jours, nous cumulons les rôles. A la fois père, mari, fils, parent d’élève, employé d’une société, consommateur, conducteur, vacancier, spectateur, mélomane, citoyen, usager des transports en commun (et bien d’autres choses encore), nous ne parvenons pas toujours à concilier tous ces aspects et donc à trouver un sens cohérent à notre existence. Les personnages littéraires, au contraire, nous offrent cette possibilité puisque, même s’ils sont complexes, ils ne jouent généralement qu’un rôle à la fois.

Mais pourquoi écrire alors, puisqu’il y a déjà la lecture ? Sans doute pour ne pas mourir. Alors que toutes nos actions, si elles ont un sens à court terme, ne signifient souvent pas grand chose sur un plan existentiel, le fait pour un individu de s’asseoir devant une feuille de papier et de commencer à la remplir de signes intelligibles donne souvent l’impression (et peut-être l’illusion) de réaliser enfin quelque chose d’important. Pourquoi ? Et bien précisément parce que cet individu, qui n’est pas encore écrivain mais qui est déjà « écrivant », peut enfin proposer clairement, noir sur blanc, sa propre vision du monde. L’être humain est sans doute programmé génétiquement pour s’imposer et survivre. Les animaux aussi, d’ailleurs. Observez un chat qui marche dans la rue et vous verrez qu’il est chat jusqu’au bout des griffes. Il se déplace avec fierté, conscient de sa propre perfection et ne doute pas de lui-même. Au contraire, il est indéniablement convaincu de la supériorité de la gent féline. L’homme, par sa complexité, n’a pas toujours cette fierté et cette assurance naturelle. C’est que la vie en société l’a obligé à beaucoup de compromis. En se tournant vers l’écriture, l’individu peut enfin exprimer ce qui restait caché au plus profond de lui et qui n’avait jamais pu s’exprimer à cause des conventions sociales.

L’écrivain espère-t-il la gloire ou l’éternité en couchant ainsi des mots sur le papier ? Sans doute en rêve-t-il et les exemples ne manquent pas, de Sénèque à Montaigne ou de Voltaire à Flaubert, pour lui donner l’illusion qu’il pourrait atteindre ainsi l’éternité. Mais il est trop sage et trop lucide pour se laisser attraper par de telles illusions. S’il écrit, c’est pour être lui-même ici et maintenant (enfin lui-même, pourrait-on dire) et dire à ses « frères humains » ce qu’il pense et ce qu’il ressent, autrement dit exprimer ce qu’il est.

Il y a donc un plaisir, dans l’acte d’écrire. Les idées s’enchaînent les unes aux autres, les impressions aussi, et de toutes ces pages naît un équilibre et donc finalement un contentement certain. Mais pour parvenir à ces sommets, combien d’heures passées à douter, à raturer, à recommencer. Rien de plus décevant qu’un texte que l’on croyait terminé et qui, à la relecture, vous semble bien éloigné de ce que l’on avait voulu lui faire dire. Ecrire est donc un acte solitaire, profondément solitaire. Non seulement parce qu’il suppose un repli passager sur soi, un isolement géographique au sens propre (afin de tenter de capter les rumeurs du monde sans être dérangé par elles), mais surtout parce personne ne peut venir vous souffler les mots à employer ou les idées à exprimer. L’auteur est seul avec lui-même et il sait qu’il sera jugé sur sa production. Dans la vie courante, ce qui fait la valeur d’un individu ne correspond pas forcément avec ses actes. Vous pouvez être un mauvais chauffeur de camion ou une dactylo distraite, intrinsèquement, cela ne change rien. Votre valeur en tant qu’individu n’en est pas affectée. Par contre, un écrivain a mis tellement de lui-même dans ses écrits que son texte reflète vraiment (ou en tout cas devrait refléter, s’il n’a pas triché) ce qu’il est. C’est son moi le plus profond qui se trouve ainsi exprimé et le regard des autres, du coup, devient une menace.

Mais le besoin d’écrire est le plus fort et, malgré les critiques, l’écrivain, le vrai (je ne parle évidemment pas des marionnettes qui occupent souvent le devant de la scène et dont les préoccupations semblent surtout mondaines ou pécuniaires) poursuivra sa tâche, inlassablement. Même s’il a conscience que ses textes sont imparfaits, il continuera son travail malgré tout, tant c’est un besoin chez lui d’exprimer ce qu’il a à dire. Sûr de son bon droit et de la valeur, non pas de ses écrits mais de son message, il ne s’arrêtera jamais d’écrire. C’est qu’une petite voix lui siffle à l’oreille d’être persévérant. Sans doute, cette petite voix, est-il le seul à l’entendre, mais cela ne fait rien. Un jour, sans doute, ses écrits atteindront l’harmonie des grandes symphonies et ce qu’il avait à dire deviendra enfin intelligible pour les autres. En tant qu’être de culture, il aura, par la littérature, transcender sa condition première, qui le rapprochait de l’animalité, pour accéder au divin ou du moins au paradis artificiel qu’il se sera créé lui-même. Et même si tout cela n’est qu’illusion, son action sera d’autant plus belle qu’elle sera inutile. Devenu démiurge, il régnera en maître sur son univers imaginaire et croira, un instant seulement, être semblable aux dieux.

10:48 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Littérature

Commentaires

C'est cela...Ne rien attendre de l'écriture, que soi-même. Cf "cogitations d'un gars qui comprend pas tout mais qui fait des efforts pour..."
Cordialement

Écrit par : redonnet | 31/08/2007

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Écrit par : redonnet | 31/08/2007

Bon, j'avais répondu sur votre blogue, mais Hautetfort semble faire des siennes...

Y’en a là qui écrivent, écrivent, noircissent du blog à qui mieux mieux, des logorrhées de considérations "

Hé hé, vous n'êtes pas mal non plus, dans votre genre... Mais ce que vous dites est très intéressant. Ce goût des lettres classiques, cette littérature contemporaine qui fait dans le trivial, l'obscène et le marketing, voilà des considérations que j'aime...

Vous parlez de Brassens et de Villon. On pourrait ajouter Ferré et Rutebeuf. Comme quoi les plus grands n'ont pas eu peur, eux, d'aller puiser dans les classiques, classiques qui ne nous sont en effet familiers que parce qu'ils les ont chantés.

Et cette idée de vouloir changer le monde pour se rendre compte après qu’on est déjà dépassé. C’est en effet que le monde va trop vite pour les valeurs auxquelles nous sommes attaché.

Lisez Auerbach, « La représentation de la réalité dans la conscience occidentale », c’est éclairant, surtout quand il parle des sociétés décadentes. Nous sommes ne plein dedans. Malheureusement, en luttant pour le beau, nous faisons figure de réactionnaires, ce que nous ne sommes certes pas. Réponse sur votre autre site : http://letempsecoute.blogspot.com/2007/06/comment-il-ne-faut-pas-crire.html

Allez courage, demain sera un autre jour (et déjà le conservatisme catholique de votre chère Pologne est en train de s’effondrer. Les chantiers de Gdansk aussi, malheureusement)…

Écrit par : Feuilly | 01/09/2007

" Je nai jamai tué, jamais violé non plus
Y'a déjà quelque temps que je ne vole plus.
Si l'éternel existe, en fin de compte il voit :
Je m'conduis guère plus mal que si j'avais la foi !"

Vous l'aurez deviné : Ce n'est point l'obscurantisme catholique qui m'a attiré ici. C'est même tout le contraire. Mais Je vous le concède et je suis bien placé (géographiquement) pour le savoir : I sont Affreux ! Au quotidien...

Noircir du blog à qui mieux mieux. J'entends bien. Mais je ne parle point depuis quelque docte tribune. Je m'inclus dans la critique.
Bien aimé votre texte sur père Théresa, euh, mère, pardon...
Cordialement

Écrit par : redonnet | 04/09/2007

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