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25/06/2007

Paysage (4)

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Qui dira jamais ce qui nous fascine devant le spectacle époustouflant de la marée haute ? Cette masse liquide qui, inlassablement, monte à l’assaut des terres devrait nous inquiéter, voire nous révulser, pourtant il n’en est rien. Plus l’eau gagne du terrain et plus notre enthousiasme grandit. C’est contre nous, pourtant, que l’océan lance ses assauts, contre le monde de la terre ferme, dont nous faisons partie. Elément hostile par excellence, la masse des eaux tente d’envahir notre univers. Nous devrions être au désespoir et c’est l’inverse qui se produit. Chaque vague qui dépasse la précédente suscite notre admiration. Nous laissant prendre au jeu, nous prenons parti pour la mer. Si en plus, à cette marée haute, vient s’ajouter la tempête, notre excitation est à son comble. La grande houle profonde, venue du fond, qui vient se briser en gerbes éclatantes contre les rochers semble éveiller en nous une sorte de vengeance. Ce combat des vagues est un peu le nôtre. Il semble correspondre à notre désir d’aller toujours plus haut, toujours plus loin. Brisés quelque part par la vie, qui ne nous a pas permis de réaliser nos rêves (ou de ne les réaliser que partiellement), condamnés à mener une existence ordinaire, il nous semble voir dans cette force de l’océan l’ultime possibilité d’accéder à la démesure. Ces vagues qui déferlent contre les falaises, dans un fracas d’enfer, deviennent un peu nous-mêmes, par procuration. Comme elles, nous souhaiterions anéantir tout ce qui s’oppose à notre extension et imposer enfin notre loi, dans le tumulte de la victoire.

Remarquons qu’une marée basse, même si l’eau est agitée, ne procure jamais le même sentiment de plénitude. Ici, on sent la mer vaincue, qui se retire inexorablement, malgré quelques grognements sauvages qui n’en imposent plus à personne. Non, il n’y a que la marée haute, surtout si elle est renforcée par une tempête, pour éveiller en nous ce sentiment de destin à accomplir, de lutte à mener, de victoire à remporter enfin. La mer transgresse les interdits, elle a toutes les audaces, elle entreprend tout ce que nous n’aurions même pas osé imaginer. Elle est nous-même dans sa violence bestiale, pure et belle dans sa lutte acharnée, merveilleuse dans son désir d’accomplissement.

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J’ai connu ainsi, enfant, des soirées remarquables, dans la Bretagne du Nord. Juillet, là-bas, prend parfois des airs d’automne, surtout quand la lune est pleine et que la mer vient s’écraser contre les falaises avec une obstination inimaginable. Dans la pénombre, l’écume blanche jaillissait en grandes gerbes contre les rochers, avant de se retirer, emportant avec elle des milliers de galets dans un roulement de fin du monde. Ce bruit des galets, laissant deviner la puissance de la force qui les entraînait, m’a toujours semblé être celui de la création du monde. Qui pourrait résister à cette masse océane capable de déplacer ainsi en une seconde des milliers de pierres, les roulant dans tous les sens, les réduisant aux éléments d’un jeu dont elle seule a inventé les règles ? Eclaboussé parfois par les gerbes d’eau, tout couvert d’embruns, l’enfant de dix ans que j’étais regardait avec respect la nature à l’œuvre, en train de s’inventer de nouveaux mondes.

Dans l’univers littéraire, l’océan, on s’en doute, a inspiré les poètes, depuis le vieil Homère, et sa « mer aux flots tumultueux », jusqu’à Valéry (« La mer, la mer, toujours recommencée »), en passant par les poésies d’Ossian, sans oublier, bien entendu, Léo Ferré :

« La marée je l'ai dans le cœur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite sœur
De mon enfant et de mon cygne
(…)
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au ras des rocs qui se consument
Ô l'ange des plaisirs perdus
Ô rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude
»

La mémoire et la mer

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15:47 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (0)

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