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06/06/2007

Littérature et peinture

Si on s’interroge sur les différences qui existent entre un écrivain et un peintre, on en trouvera plusieurs.

D’abord, le peintre, s’il est artiste, est avant tout un artisan. Il lui faut savoir manier le pinceau avec une certaine dextérité, ce qui est la condition première à la réalisation de tout tableau de qualité, on en conviendra. Quelque part le peintre est donc un « manuel ». L’écrivain, lui, n’a besoin d’aucune disposition particulière, si ce n’est d’avoir appris à écrire à six ans et de savoir utiliser le clavier et la souris de son ordinateur. S’il n’est vraiment pas doué, un simple stylo fera l’affaire.

Ensuite, le peintre (qui ne peut, comme un romancier, décrire le paysage et les personnages avant de raconter finalement une histoire, laquelle comporte habituellement de nombreux rebondissements) doit choisir un moment « in medias res » pour illustrer au mieux l’action représentée. Si on reprend le célèbre tableau « Le radeau de la Méduse » de Géricault, on se rend compte que la scène choisie se trouve à la fin du drame. Par le radeau on comprend qu’il y a eu un naufrage et par l’air hagard des personnages, on devine que leur calvaire dure depuis plusieurs jours. Les gestes désespérés qu’ils font en direction de l’horizon indiquent qu’un bateau vient d’apparaître mais que celui-ci ne les voit pas, ce qui les renvoie à leur désespoir et à leur sauvagerie. Un romancier, lui, aurait d’abord raconté pourquoi tel personnage avait décidé de prendre le bateau, aurait décrit l’embarquement, aurait imaginé une histoire à bord (intrigue entre les soldats par exemple), nous aurait fait frémir sur le naufrage proprement dit avant de nous angoisser davantage encore en décrivant la situation de plus en plus scabreuse de tous ces hommes. Les rapports psychologiques entre les survivants auraient été analysés méticuleusement, avant d’arriver aux scènes d’horreur de cannibalisme. Enfin, quand un bateau serait apparu à l’horizon, il nous aurait fait vibrer d’espoir avant de nous replonger, avec les naufragés, dans l’abandon le plus absolu. Bref, tout cela, qui aurait pu compter quatre cents pages bien serrées, Géricault, parce qu’il est peintre, nous le révèle en un instant, dans une scène statique qui résume le tout. Il existe donc en peinture une économie de moyens qui oppose cet art à la littérature, laquelle demande finalement un esprit analytique.

Enfin, il existe encore une autre différence entre le peintre et le romancier. Elle est de taille et pourtant on ne l’envisage pratiquement jamais. C’est ce qu’il advient de leur production respective. Ainsi un tableau, à la différence d’un livre, se caractérise par son unicité. Il peut être endommagé ou détruit, ce qui ne doit pas manquer d’angoisser l’artiste. Une fois vendu, il disparaît à jamais et physiquement de son univers. A peine s’il parvient à se souvenir de la technique qu’il a employée ou des effets de couleurs qu’il est parvenu à rendre. En cas de doute, il lui sera bien difficile de procéder à des vérifications si le tableau a été acquis par un particulier. D’ailleurs ce particulier unique, qui est-il ? Mystère. Pourquoi a-t-il acheté précisément ce tableau-là ? Le peintre ne le saura jamais. L’auteur de littérature, lui, peut à loisir contempler ses œuvres sur les rayonnages des librairies ou des bibliothèques (y compris dans la sienne propre). Son livre, par la magie de l’imprimerie, s’est multiplié à des milliers d’exemplaires, ce qui lui assure une certaine pérennité. Veut-il en relire un passage qu’il n’y a rien de plus facile, il n’a qu’à tendre le bras.

Pourtant, d’un autre côté, l’œuvre écrite et éditée lui échappe autant que la toile du peintre. Elle n’est plus vraiment sienne. Dans son travail d’écriture, il en avait amélioré la forme et le fond à plusieurs reprises avant de se décider d’arrêter à un certain moment cette recherche de perfection. Imprimé, le livre devient immuable, « tel qu’en lui-même, l’éternité le change». S’il le relit, l’auteur pourra le trouver imparfait. Il souhaitera peut-être le modifier, faire des retouches, améliorer certains passages. Trop tard, le livre appartient désormais aux lecteurs, qui pourront lui reprocher de l’avoir laissé en cet état d’imperfection alors que déjà lui-même pense le récrire autrement. Jamais fini, imparfait à ses yeux, il doit bien pourtant le laisser vivre sa propre vie. Si par hasard, à l’occasion d’une seconde édition, il décide d’y apporter des corrections importantes, il écrit en fait une nouvelle œuvre.

Le livre écrit, bon ou mauvais, reste donc physiquement dans l’entourage de l’écrivain, à la différence d’une toile. Ecrivain qui ne pourra pas faire comme s’il ne l’avait jamais écrit. Quelque part, cette « présence » des livres (en tant qu’objets, mais aussi en tant que symboles occupant un espace dans l’imaginaire personnel de l’auteur) définissent l’écrivain. Jamais il ne pourra plus être comme s’il ne les avait pas écrits.

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00:30 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : Littérature

Commentaires

Autant je ne suis pas du tout d'accord avec ton premier point (concernant l'écrivain, hein - pas le peintre bien entendu), puisque cette vision à mon avis volontairement caricaturale ne dépeint pas (ah ah) une différence réelle - sauf dans la dimension manuel/non manuel peut-être, mais certainement pas dans les prérequis extrêmement minimisés ici dans le cas de l'écrivain (mais en relisant à nouveau le passage, je confirme, sinon la volonté de caricaturer, celle de n'aborder qu'un seul aspect, ce qui est en l'occurrence parfaitement acceptable, quoiqu'un peu frustrant), autant je te suis sur le deuxième, et bien entendu sur le troisième, qui présente en plus le grand avantage d'être une différence qu'on relève rarement quand on parle des spécificités respectives de ces deux arts.
Tu as donc parfaitement raison, même si je répète qu'à mes yeux, ton premier paragraphe (enfin, le deuxième, mais on se comprend) va un peu vite en besogne.
Et dans tous les cas, je ne peux que faire que deux constats pour conclure :
1. Ce blog est décidément intéressant.
2. Mes phrases sont décidément trop longues et trop ampoulées...

Écrit par : Franswa P. | 06/06/2007

Le ton du premier paragraphe est en effet ironique. exemple: "S’il n’est vraiment pas doué, un simple stylo fera l’affaire." Il est évident que bien d'autres capacités sont nécessaires pour faire un bon écrivain. Mais comme on ne s'attachait ici qu'à l'aspect "maîtrise manuelle" cela permettait de caricaturer quelque peu et de faire semblant de croire que ce métier était le plus simple qui soit.

Écrit par : Feuilly | 06/06/2007

C'est bien ce que j'ai (finalement) compris (un peu tard, je dois bien le reconnaître - en fait, pendant la rédaction de ma réponse... ah, l'interactivité impulsive). Tu n'abordais qu'un seul aspect, évidemment.
Mais pour le reste, je maintiens tout (ça tombe bien, c'est positif !).

Écrit par : Franswa P. | 06/06/2007

C'est curieux, en effet, comme les idées peuvent se clarifier lorsqu'on écrit. Je le dis ici sérieusement et sans ironie. Je peux avoir une idée sur un événement. A partir du moment où je me mets à écrire sur le sujet, je suis amené à nuancer, à réfléchir, à comparer, ce qui fait que mon idée première s'est parfois transformée comme à mon insu, rien qu'en suivant le cours de l'écriture et comme malgré moi.

Écrit par : Feuilly | 06/06/2007

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