31/05/2007
Paysage (3)
Pays de frontières, plein de contrastes, le Roussillon est étrange à plus d’un titre.
D’abord, il y a cette rencontre géologique improbable et peu commune entre la plaine, habitée depuis toujours, rectiligne et uniforme (tellement plate qu’on a l’impression que la mer, hier encore, s’avançait en ces lieux), et les montagnes pyrénéennes qui l’encerclent et qui bordent son horizon de leurs masses sombres et vertes. Habituellement, une zone montagneuse se signale par des contreforts qui laissent le temps au voyageur de se préparer à une modification du relief. L’Ardenne, par exemple, est précédée au Nord par le Condroz et la Famenne, au Sud par l’Argonne et les Côtes de Meuse. Il en va de même du Massif central, auquel on accède au Nord par une pente douce (les départements de l’Allier et de la Creuse) et dont le flanc Ouest n’est qu’une longue descente vers l’Atlantique tandis qu’au Sud, les Cévennes dévalent en dégradé vers la plaine languedocienne. Les Pyrénées, au contraire, se dressent fièrement d’un bloc, tranchant nettement avec le milieu environnant. Ce contraste est semblable à celui de la plaine du Pô, laquelle est ceinturée tout de son long par la chaîne des Alpes. Je me souviens ainsi d’un train de nuit dans lequel je roulais vers Venise. Quelle impression, après l’obscurité de la nuit, de découvrir aux premières lumières de l’aube cette plaine immense bordée ainsi, d’une manière ininterrompue, par la masse bleutée des montagnes. Il me semblait voir les pays du Sud s’offrir à moi sans résistance, tels qu’il se donnèrent à Hannibal et à ses éléphants.
Mais revenons au Roussillon. Sa deuxième curiosité, sur le plan botanique, c’est que les Pyrénées, qu’on connaît ailleurs pour leurs sommets et leur végétation montagnarde, sont revêtues ici d’une flore méditerranéenne. Ce ne sont partout que chênes-lièges, chênes-verts, châtaigniers, arbustes et maquis, qui donnent à la montagne un air de Provence. Sans parler de la mer toute proche, qui fait de cette région une étrange synthèse de deux mondes antagonistes. On passe en un quart d’heure des plages de sable fin aux sommets caillouteux et l’on peut, en juin, se baigner en admirant les sommets encore enneigés du Canigou.
Autre particularité, c’est que nous sommes dans un pays de frontières. Ici s’arrête en principe quelque chose, à savoir l’ère d’influence des rois de France. Pourtant, sur le versant espagnol, commence la Catalogne, qui est le véritable berceau culturel et linguistique de la Catalogne française. Cette frontière est une limite sans l’être vraiment, au point qu’on se demanderait parfois si le véritable partage ne se fait pas entre les autochtones catalans (de quelque côté qu’ils soient des Pyrénées) et les touristes venus du Nord, lesquels, tels les croisés venant conquérir Montségur, s’expriment en langue d’oïl. Cette dichotomie franco-française on la ressent dans les vieux villages, dont les maisons anciennes aux volets clos sont groupées autour de la place de la mairie, tandis que dans les alentours les résidences secondaires sont principalement occupées par des retraités normands ou parisiens venus passer leurs vieux jours au soleil.
Terre étrange donc, que ce Roussillon, écrasé de soleil entre terre et montagne, repeuplé de pensionnés et qui tente de son identité propre en cherchant dans ses souvenirs les vieilles techniques artisanales de ses ancêtres, aujourd’hui dépassées et révolues.
Tandis que sur la côte les firmes hôtelières étrangères vivent du commerce et de l’exploitation touristique, les gens du coin tentent de préserver ce que fut leur vie en se demandant à quoi demain ressemblera.
15:46 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (0)
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