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05/07/2007

Le mythe du bon sauvage

321699dd6078d74971bf40b7950f82a7.jpgRevenons au mythe du bon sauvage, cher à Rousseau. Il faut se rendre compte qu’en développant une telle théorie, le pauvre Jean-Jacques ne s’est pas fait que des amis. C’est qu’à l’époque, l’avenir de l’humanité semblait tout tracé, à savoir que la science et la technique allaient dominer la nature et rendre tout le monde heureux. N’oublions pas que l’ouvrage fondamental du XVIII° siècle, c’est avant tout l’Encyclopédie. Or, si l’Encyclopédie comporte pas mal de sujets philosophiques et si elle a pu faire preuve d’esprit critique à l’encontre du système politique de l’Ancien Régime, elle est d’abord un ouvrage technique, comportant de nombreuses planches et croquis. Cette confiance dans la science débouchera au siècle suivant sur le scientisme (dont le pharmacien Homais, admirablement décrit dans Madame Bovary, offre une caricature désopilante). De leur côté, les Idéologues (avec Destutt de Tracy), voulurent établir une science des idées afin de lutter contre l’obscurantisme ambiant.

e31cd649b1427a501a2d6307bb6a0dd9.jpgDès lors, venir vanter les mérites de mère Nature dans un tel contexte avait de quoi déplaire. Quand Rousseau dit qu’il est persécuté et que des complots se trament contre lui, il exagère sans doute, mais il est certain qu’il a dû percevoir de la désapprobation dans le regard de beaucoup de ses contemporains. Cette idée du bon sauvage remonte finalement à la Bible et à la création du paradis telle qu’on peut la lire dans le livre de la Genèse. L’homme et la femme vivaient au milieu de la nature et des animaux sans se soucier de rien, dans un état de bonheur indescriptible et sans devoir travailler. Pendant que d’autres voyaient dans la civilisation le seul moyen de dominer cette nature et donc de distinguer l’homme de l’animal, Rousseau, lui, rapproche l’humain de l’animalité et c’est ce que ses contemporains ne peuvent admettre. Tant qu’on s’en tenait à la version biblique, il n’y avait pas de problème : Dieu ayant créé l’homme à son image, celui-ci se voyait distingué du reste de la création par son essence-même. A partir du moment où cette théorie n’est plus crédible, tout s’effondre et l’homme redevient un animal parmi les autres. C’est bien pour cela que l’Eglise avait déjà fait brûler Giordano Bruno et qu’elle avait obligé Galilée à se rétracter. Dire que la terre tournait autour du soleil, s’était avouer que cette terre n’était plus qu’une planète parmi des millions d’autres, tournant au hasard dans l’espace et qu’elle n’était plus le centre d’univers. Dès lors, l’homme non plus n’était plus le centre du monde. Ramené ipso facto à son animalité, fruit du hasard, il se devait, s’il ne voulait pas perdre la face à ses propres yeux, se distinguer par la culture. D’où l’importance de la science qui va dominer la nature. D’où l’hérésie de Rousseau, qui vient donner une version laïque du mythe de la Genèse. Agir ainsi, pour ses contemporains, c’est faire preuve d’un anachronisme coupable.

Remarquons que les théories écologiques modernes ne sont pas si éloignées, finalement, des thèses rousseauistes. Le retour à la nature que nous avons connu dans les années soixante-dix (élever des moutons dans le Larzac, etc.) s’en rapprochait. Conscients de la faillite de la science et de la technique (pollution, déforestation, changement climatique), nous aspirons tous inconsciemment à retrouver un peu de verdure autour de nous ainsi qu’une vie plus simple, plus en harmonie avec la nature. Cette démarche, par ailleurs légitime, semble pourtant se fonder sur une réalité qui appartient déjà au passé et donc au rêve. Pour le moment, aucun retour en arrière ne se dessine très clairement. On commence seulement à prendre conscience qu’il serait temps de faire machine arrière et à réaliser que les réserves de la planète ne sont pas illimitées, pas plus d’ailleurs que sa capacité à se régénérer perpétuellement.

Le nouveau paradoxe, c’est que nous, qui avons contribué gravement à polluer la terre, sommes en train de demander au tiers-monde de limiter son expansion économique sous le prétexte que la planète est en danger. Autrement dit, nous nous tournons vers les contrées qui ne sont pas encore industrialisées ni fortement urbanisées pour leur suggérer de ne pas se développer et de rester finalement proches de ce monde sauvage que nous voudrions préserver pour notre plus grand profit. Le mythe du bon sauvage de Rousseau est donc devenu une réalité. Seul l’homme sauvage peut sauver la planète pour autant qu’il reste sauvage et sous-développé.

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