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26/11/2007

Ce temps qu'on dit imparfait.

Tout le monde connaît le dialogue entre Chimène et Rodrigue, dans le Cid de Corneille et surtout la fameuse réplique : « Va, je ne te hais point », qui est souvent citée dans les manuels scolaires comme l’exemple même de la litote (dire moins pour faire comprendre plus)

Cette phrase peut faire sourire, mais c’est que l’expression des sentiments n’a jamais été une chose aisée. Comment, en effet, dire à une personne qu’on l’aime ? La langue, heureusement, semble nous aider dans cette démarche en nous proposant quelques procédés.

Sans vouloir aujourd’hui approfondir ce sujet, qui le mériterait cependant, je me contenterai de reprendre une phrase autrefois citée dans « Langue sauce piquante » et qui concernait les rapports de tendresse entre une mère et son petit enfant : « C’était le bébé à sa maman ».

Pourquoi, dans une telle phrase, employer l’imparfait de l’indicatif ? Pour tenter de répondre à cette question, il faut, je crois, se pencher sur l’aspect de l’imparfait.

D’abord , comme chacun sait, l’imparfait a en lui-même et naturellement un aspect duratif (« je préparais mon repas quand on sonna à la porte »). Il est donc normal qu’on l’emploie dans le genre d’expressions évoquées ici. L’utilisation du présent, tout en assurant l’être cher de votre affection, comporterait un inconvénient : celui que cette affection ne soit finalement que temporaire. L’imparfait permet de rompre avec cet aspect éphémère des choses en situant le locuteur dans un monde atemporel, éternel en quelque sorte. « C’était le bébé à sa maman », c’est-à-dire que ce l’est depuis longtemps et que ce le sera pour longtemps encore. L’aspect d’inachèvement propre à l’imparfait a donc un côté rassurant (ce sera encore pour longtemps le bébé à sa maman). Mais il faut noter l’emploi obligatoire de la troisième personne, un peu comme si, dans notre exemple, la mère se tenait à distance. Elle ne s’adresse pas directement à son bébé en le tutoyant mais parle de lui en rejetant « l’action » dans un passé fictif. Paradoxalement, c’est cette mise à distance qui permet à la part d’affectivité de s’exprimer. Dire son affection en face de la personne, en la tutoyant, est plus difficile. Parler d’elle à la troisième personne en rejetant sa présence dans le passé permet d’avouer ses sentiments.

Nous ne confondrons pas cette démarche avec celle de César, qui, dans sa Guerre des Gaules, parlait de lui-même à la troisième personne. Ceci dit, il s’agissait tout de même de créer la même mise à distance par rapport à un personnage. Le but, cependant, n’était évidemment pas affectif chez le général romain, mais il s’apparentait plutôt à une volonté de glorification. En parlant de lui comme d’un personnage historique important, il entrait déjà dans la légende. Le comble, c’est que c’est lui-même qui s’y faisait entrer, en employant un tel procédé, comme quoi la langue peut se montrer aussi utile que les armes pour asseoir la réputation d’un grand stratège.