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27/11/2007

Jean VAN EYCK

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Le blogue de Pivoine nous donne une leçon de peinture et nous propose d’admirer "La Vierge au chancelier Rolin" de VAN EYCK.

C’est vrai qu’il est remarquable, ce tableau. On en admirera particulièrement l’équilibre. Ainsi, dans le fond, nous avons trois croisées. Derrière chaque croisée, un paysage particulier (une campagne où prédomine le vert, le fleuve, une campagne où prédomine le jaune). La première colline se situe à gauche du fleuve, l’autre à sa droite. Le fait d’avoir deux tons pour ces collines rompt la monotonie. Le fleuve est l’élément central (il correspond d ‘ailleurs à la croisée centrale) et permet une perspective vers le lointain. Donc, dans l’imagination du spectateur, il est une invitation non seulement à dépasser la chambre, mais aussi le paysage proche, afin de rêver d’un ailleurs. Le bateau symbolise ce voyage de l’imaginaire. On remarquera la présence d’un pont, qui nous rappelle qu’à nos pieds se trouve une ville (nouvel équilibre, donc, cette fois entre la nature et la culture). Le pont marque aussi le passage d’une rive à l’autre et permet donc de relier les deux collines. Par son horizontalité, il rompt aussi la monotonie du paysage qui est surtout représenté dans sa verticalité. Celle-ci est atténuée par les méandres du fleuve (lesquelles, en elles-mêmes, sont aussi une invitation à la flânerie, ce qui contribue à donner à l’ensemble de la peinture une impression de calme et d’apaisement).

Les collines, du moins celle de gauche, sont cultivées, ce qui permet une transition douce entre le milieu urbain et les montagnes sauvages de l’horizon. La ville proprement dite (du moins des masses architecturales importantes, genre cathédrales, etc.) se trouve surtout à droite, peinte en jaune, comme la colline (plus sauvage) qui est derrière elle, tandis que pour la campagne cultivée (et donc moins sauvage) du côté gauche, c’est le vert qui prédomine. Nous avons donc une sorte de « chiasme» qui contribue à rompre la monotonie.

Revenons à la chambre où se déroule la scène. Aux trois croisées du fond (et à leurs trois paysages), correspondent trois autres croisées à gauche, perpendiculaires aux précédentes, ainsi qu’un mur à droite (lui aussi perpendiculaire). L’équilibre est donc parfait, géométrique. Pour mettre la pièce en valeur et ne pas donner une impression d’enfermement, un vitrail à gauche (discret, il est blanc et non en couleur; de plus il ne permet pas de voir le paysage qui est derrière lui; on est donc obligé de se concentrer sur la scène centrale) ouvre une perspective dans le prolongement des croisées du fond. Notre pièce centrale, non seulement s’en trouve agrandie, mais on comprend qu’elle fait partie d’un ensemble géométrique dont elle n’est qu’un élément. Comme l’homme, finalement, ce microcosme, qui n’est qu’une partie du macrocosme.

Donc, importance du chiffre trois : 3 croisées, 3 éléments de paysage (colline, fleuve, colline), 3 éléments de profondeur (la pièce, le paysage proche, les montagnes du lointain), 3 « murs » (croisées de gauche, croisées centrales, mur de droite) 3 personnages (le chancelier, la Vierge, l’enfant).

Parlons de ces personnages. Ils s’opposent par les couleurs. Celles-ci sont sombres pour le chancelier (habit et draperie qui recouvre le lutrin), vives pour la Vierge (rouge). Au centre, l’enfant Jésus est mis en évidence par sa blancheur. Remarquons que le carrelage reprend en les mélangeant les tons des habits. On y retrouve en effet à la fois les motifs bigarrés de l’habit du chancelier (en brun) ainsi que des traces de rouge (comme le vêtement de la Vierge), ce qui contribue à les rapprocher et renforce l’impression d’intimité de la scène. Ce carrelage offre aussi une perspective vers le paysage extérieur, dont il préfigure la fuite vers le lointain. Ainsi, l’esprit du spectateur lie les personnages, disposés de part et d’autre du carrelage qui est visible au centre et celui-ci invite le regard à s’échapper vers l’extérieur. Le « choc » mystique que l’on ressent en regardant les personnages enfermés dans la chambre prend de l’ampleur par l’incitation à trouver un ailleurs (vers le paysage extérieur et, via le fleuve, vers le lointain).

Notons que s’il y a trois personnages et trois croisées, il y a deux piliers et deux adultes. A chaque adulte correspond une croisée. A l’enfant, cependant, ne correspond pas la croisée centrale, ce qui aurait été ridicule pour le sens (l’enfant doit être près de sa mère) mais aussi pour la perspective (trop d’équilibre nuit). Par contre, si l’enfant n’occupe pas la croisée centrale, il est remplacé par deux petits personnages qui viennent mettre un peu de vie dans ce tableau fort religieux. Ils servent donc de transition à la fois symbolique (sacré/profane) et géographique (intérieur/extérieur ; proche/lointain).

Pour terminer, concentrons-nous sur le personnage de la Vierge. Elle n’est pas habillée de bleu, comme c’est habituellement le cas (le bleu symbolisant la virginité), mais de rouge. Par contre un ange se tient derrière elle, au-dessus à gauche. Lui, est habillé de bleu (mais un reflet rouge sur les ailes rappelle le vêtement de la Vierge, ce qui assure un rapprochement entre elle et lui : tous deux sont d’essence sacrée).

Cet ange est en fait le quatrième personnage de la scène. On pourrait dire qu’il est en surnombre et qu’il vient rompre le bel équilibre fondé sur la trinité. Il n’en est rien. En effet, il représente un contrepoids à l’enfant Jésus et renforce en fait l’impression d’équilibre. L’enfant est plus bas que le visage de la Vierge, l’ange est plus haut. Chez l’enfant, les couleurs claires prédominent, chez l’ange ce sont les couleurs foncées. N’étant pas humain, il n’appartient pas au trio présent. Par contre, étant d’essence divine, il préfigure la divinité de l’enfant, dont il est en quelque sorte la marque tangible dans le tableau. Notons encore qu’une autre trinité est créée par l’alignement des visages : enfant, Vierge et ange. Alors que sur un plan horizontal on assiste à une scène normale (homme, femme, enfant), sur le plan vertical (ou plutôt oblique), on a une scène mystique (enfant-Dieu, Vierge, ange).

L’ange ne couronne pas l’enfant mais la Vierge. L’esprit divin passe donc de l’ange vers la mère et enfin de celle-ci vers l’enfant.

Si on découpe maintenant le tableau en tranches horizontales, on remarquera trois personnages à l’avant-plan, puis trois croisées (avec trois paysages correspondant) et enfin, au niveau supérieur, deux vitraux colorés et carrés. Les personnages étant plus écartés que les croisées, on a donc une sorte de pyramide : à la base, les trois personnages, au milieu les croisées (déjà plus étroites) et au sommet les deux vitraux (fort rapprochés). Nouvel équilibre, donc, mais sur un autre plan, dans ce tableau qui décidément n’en manque pas. Rien d’étonnant donc, à ce qu’il nous inspire des impressions très fortes.