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07/07/2007

Qu'est-ce que l'utopie?

Quelle est l’origine du mot Utopie ? Il vient de l’Utopia de Thomas More, bien entendu. Au moins voilà un écrivain qui non seulement osait rêver mais qui en plus n’avait pas peur de créer des néologismes. Formé de toute pièce à partir d’étymons grecs (« υ », prononcé « ou » pour la négation, « τοπος » pour le lieu et un suffixe « ia »), ce mot désignait donc un lieu qui ne se trouve nulle part. Notons que More a aussi employé le mot « eutopia » (d’après « ευ », bon), qui voulait dire alors le bon lieu, le lieu agréable, l’endroit où il est bon de se trouver. La langue française n’a retenu qu’utopie, lequel est devenu un nom commun. Pourtant, dans l’esprit de l’auteur, les deux termes sont complémentaires. L’utopie est un lieu fictif (utopie) dans lequel il souhaite réfléchir sur l’établissement d’une société idéale (voir la note sur Rousseau, son bon sauvage et ses projets de constitution corse). Alors qu’aujourd’hui le terme renvoie à quelque chose qui n’existe pas, qui est du domaine de l’impossible, pour More, au contraire, il ne s’agissait que d’un lieu fictif, imaginaire, mais qu’il aurait voulu voir exister et dans lequel une société plus juste aurait pu s’épanouir.

Sur le plan littéraire, les auteurs qui ont imaginé des lieux dans lequel se développent des sociétés idéales sont nombreux, à commencer par Platon dans sa République. On pourrait aussi citer Rabelais avec son abbaye de Thélème mais aussi Voltaire avec Candide ou Sébastien Mercier dans L’an 2440 . Avec le Télémaque de Fénelon, nous avons un genre un peu particulier puisqu’on y décrit des pays existants (l’Orient) pour en vanter les mérites (en partie imaginés et fictifs) afin de mieux faire ressentir les travers de la société française. L’idéal est donc toujours ailleurs. D’où cette dérivation du mot utopie, qui finit par désigner un conte romanesque qui décrit des choses impossibles.

Mais revenons à Thomas More. Manifestement celui-ci connaissait Platon. On peut supposer aussi qu’il a été influencé par les récits des voyageurs qui venaient de découvrir le nouveau monde. Quand vous vivez dons une société qui ne vous satisfait pas, vous allez voir ailleurs et si vous ne pouvez pas vous déplacer, vous faites preuve d’imagination. N’est-ce pas là le propre de la littérature, inventer des rêves qu’on souhaite réalisables, même si on sait qu’ils sont du domaine de la fiction ? Enfin, comme dans tout le courant de la Renaissance, on retrouve chez More ce besoin de s’intéresser à l’homme (et beaucoup moins à Dieu). Au lieu d’attendre la fin du monde et la parousie pour découvrir un monde meilleur, autant s’atteler à le construire ici-bas.

Pauvre Thomas More, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il avait raison de vouloir fuir le lieu et l’époque où il vivait. Le 6 juillet 1535, il quitte la Tour de Londres où il a été emprisonné pendant quinze mois pour être décapité sur ordre du roi Henri VIII Tudor. (il aurait déclaré au bourreau : «Ayez l'obligeance de me donner la main pour monter, car pour descendre, je me débrouillerai bien tout seul !»)

Quelle faute avait-il donc commise ? Et bien aucune. Disons simplement qu’il avait déplu au prince. Celui-ci voulait rompre son mariage avec Catherine d’Aragon, qui ne lui avait pas donné de successeur mâle (on imagine en passant la douleur de ces femmes, mariées souvent contre leur gré pour des raisons politiques et qui se voyaient ainsi répudiées parce qu’elles ne parvenaient pas à avoir de garçons, alors qu’on sait aujourd’hui que c’est l’époux qui détermine ce genre de chose). Comme le pape tarde à donner son accord pour le divorce et que les choses pressent (la maîtresse, Anne Boleyn est enceinte et pourrait précisément offrir au trône cet héritier qui lui manque), le roi décide de se passer de son avis. L’archevêque de Canterbury déclare donc le premier mariage nul et marie Henri VIII et Anne Boleyn. Aussitôt, la pape, furieux qu’on ait passé outre à ses décisions, excommunie le roi. Celui-ci réplique en rompant avec le Saint Siège. Il reste donc catholique mais considère le pape comme l’évêque de Rome, sans plus. C’est le début du schisme anglican, qui trouve finalement son origine dans une affaire privée, même s’il ne faut pas perdre de vue que c’est l’époque où Luther va commencer, en Allemagne, à s’opposer lui aussi aux excès du catholicisme. Notre pauvre Thomas More refuse de prêter serment entre les mains du chef de l’église anglicane et c’est ce qui lui vaut sa condamnation à mort. Triste fin, on en conviendra pour celui qui rêvait d’un monde meilleur, mais d’un autre côté on se dit que c’est avec une intuition incroyable de son destin qu’il avait auparavant imaginé une société où les hommes vivraient enfin en harmonie.

Cet ailleurs est finalement celui de tous les poètes, c’est un monde perdu ou à venir, un monde parallèle au nôtre et que l’on souhaiterait parfois voir vraiment arriver.

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