17/02/2009
Giordano Bruno
Le 17 février 1600, le philosophe Giordano Bruno est brûlé vif à Rome, après avoir passé huit ans dans les geôles de l'Inquisition. Avant son exécution, ses bourreaux lui arrachent la langue, afin qu’il ne prononce plus des «paroles affreuses».
Né en 1548 près de Naples, Filippo Bruno est issu d’une lignée de gentilshommes aux revenus modestes. A l’école, il étudie les auteurs classiques ainsi que la langue et la grammaire latines. On le retrouve à 14 ans en train de suivre des cours à l'université publique de Naples. Il se passionne pour la mnémotechnique (art de la mémoire) et discute beaucoup de philosophie. A dix-sept ans, il rentre chez les Frères prêcheurs de San Domenico Maggiare, sans doute à cause de la réputation intellectuelle de cette institution dominicaine, peut-être aussi pour échapper à la misère, car les disettes et les épidémies sont fréquentes. Et puis à cette époque comment s’instruire et devenir un intellectuel sans passer par le clergé ? Il adopte le prénom de Giordano en hommage à un de ses maîtres en métaphysique (Giordano Crispo), ce qui laisse tout de même supposer qu’il n’était pas hermétique à cette discipline. D’ailleurs on le retrouve prêtre en 1573 puis lecteur en théologie en 1575 (thèse sur Thomas d'Aquin et Pierre Lombard).
Sa curiosité intellectuelle le pousse dans toutes les directions. Il lit Erasme, alors que celui-ci est déjà considéré comme hérétique, adore l’hermétisme et la magie et commence à s’intéresser sérieusement à la cosmologie, mais en dehors de toute considération théologique. Bientôt, il s’oppose à sa hiérarchie sur le dogme de la Trinité.
J’avoue qu’il y a là une subtilité que je n’ai jamais comprise non plus : ces trois dieux qui n’en sont qu’un relève d’une conception étrange. En fait Dieu est dit unique dans l’Ancien Testament, mais voici qu’arrive le Christ, qui se dit fils de Dieu, puis il y a aussi l’épisode de la Pentecôte, avec l’Esprit saint. L’Eglise devait donc concilier tous ces aspects si elle voulait promouvoir une religion monothéiste. Dieu a donc été déclaré le père et Jésus le fils, mais ne procédant pas du premier (étant éternel comme lui). Etrange. On a décrété que sa spécialité était le Verbe (parce que Jésus enseignait par des paraboles ?) tandis que l’Esprit se voyait attribué un rôle d’intercesseur ou d’intermédiaire. Trois missions, trois rôles, pour une divinité unique, on avouera que c’est assez compliqué et c’est finalement ce qu’a dit un jour G. Bruno, qui préférait s’appuyer sur son intelligence plutôt que sur le dogme catholique. Du coup, une instruction est aussitôt menée contre lui afin de le déclarer hérétique. En homme habile, Bruno prend les devants et renonce à son habit de Dominicain.
Malheureusement, cet épisode le conduit à une vie aventureuse et misérable. Au début, il parvient à rester en Italie, change tout le temps de domicile et survit en donnant des leçons de grammaire. On le retrouve à Genève où il espère enfin trouver la paix dans la patrie de Calvin. Malheureusement, là aussi, il entre en conflit avec la hiérarchie protestante (il conteste la compétence d’un des membres de cette hiérarchie). Le voilà donc de nouveau exclu, alors il repart, à Lyon d’abord, puis à Toulouse, où il enseigne la physique et les mathématiques. Un ouvrage sur la mnémotechnique (« Clavis Magna ») le fait connaître du roi Henri III (celui qui est resté célèbre par ses « Mignons »), qui devient son protecteur. Voilà donc Bruno à Paris et sa réputation n’arrête pas de croître. Philosophe officiel de la Cour, il enseigne au Collège des lecteurs royaux (futur Collège de France) et développe sa pensée. C’est l’époque où les tensions religieuses sont à leur comble entre Catholiques et Protestants, mais notre philosophe, sagement, renvoie dos à dos les extrémistes des deux camps.
En 1582, il écrit une comédie satirique « Le Chandelier », puis se rend en Angleterre, où ses idées suscitent beaucoup de controverses. Il répond à ses détracteurs par des livres : La cène des cendres, La cause, le principe et l'un, De l'infini, l'univers et les mondes. Dans ces ouvrages, il expose non seulement la version de Copernic mais il va même plus loin, en admettant un univers infini et peuplé par d’autres êtres vivants. On se doute qu’une telle conception ne pouvait pas plaire à l’Eglise, qui s’en tenait à la conception d’un univers fait par Dieu pour l’homme, ce dernier y occupant la place centrale.
Bon, à côté de ces traits de génie, il dit aussi quelques âneries, comme cette idée que la matière est animée et que c’est volontairement qu’une planète s’expose au soleil.
En 1585, il publie L'expulsion de la bête triomphante ouvrage dans lequel il oppose l’humanisme aux conceptions protestantes et catholiques. Puis, dans La cabale du cheval de Pégase il s’en prend à Aristote, qui apparaissait à l’époque comme la sommité la plus accomplie. Enfin, dans Les fureurs héroïques il précise que l’univers n’a pas de centre, conception qui n’a pu que choquer les théologiens car si la terre n’est plus le centre du monde, l’homme non plus. Fruit du hasard et non plus produit de la volonté divine, son existence est arbitraire. Scandale, évidemment, devant de tels propos !
De retour en France, les ennuis commencent. Le roi ne se risque pas trop à prendre position (on est en pleine querelle religieuse entre Catholiques et Protestants, il ne va pas, en plus, soutenir un hérétique). Nous le retrouvons donc en Allemagne, mais il est bientôt excommunié par les Luthériens. Il repart en exil une nouvelle fois, mais il continue à écrire: De immenso, De monade, De minimo (sur l’infiniment petit). Il revient en Italie (à Venise), espérant obtenir une chaire de mathématique à l'université de Padoue. L’homme qui l’avait aidé dans son retour (un certain Mocenigo) est vexé qu’il ne veuille pas lui apprendre la mnémotechnique et il finit par le dénoncer à l'Inquisition.
Les chefs d’accusation ne manquent pas :
- rejet de la transsubstantiation et de la trinité, blasphème contre le Christ, négation de la virginité de Marie
- pratique de l'art divinatoire
- croyance en la métempsycose
- vision cosmologique erronée
Le procès va durer sept ans et il subira la torture. Il lui arrivera de se rétracter, mais se sera pour se reprendre aussitôt. « Je ne crains rien et je ne rétracte rien, il n'y a rien à rétracter et je ne sais pas ce que j'aurais à rétracter» dira-t-il. Il est donc condamné au bûcher, il n’y a pas d’autre alternative pour le tribunal de l’Inquisition, qui risquait à la longue de perdre la face devant ce raisonneur obstiné. On dit qu’à l’annonce de sa sentence il se serait écrié : « Vous éprouvez sans doute plus de crainte à rendre cette sentence que moi à l'accepter ». Il est exécuté le 17 février 1600, sur un bûcher installé sur le Campo Dei Fiori à Rome.
Citation : « (...) Si j'erre, c'est contre mon gré. Quand je parle et quand j'écris, je ne dispute point par amour de la victoire (car j'estime ennemies de Dieu, des plus viles et des plus ignobles, toutes réputation et victoire dénuées de vérité). Mais c'est par amour fervent de la sagesse et de l'observation vraies que je m'épuise, m'inquiète et me tourmente (...)»
G. Bruno
Point de vue du Vatican :
« La condamnation pour hérésie de Bruno, indépendamment du jugement qu'on veuille porter sur la peine capitale qui lui fut imposée, se présente comme pleinement motivée.»
Le 3 février 2000, le cardinal Poupard, par ailleurs docteur honoris causa des universités de Louvain, Aix-en-Provence, Fu Jen, Quito, Santiago du Chili et Puebla de los Angeles et responsable au Vatican du "Pontificam consilium cultura" (qui réhabilita Jan Hus et Galilée) confirma que Bruno ne serait pas réhabilité. Il déplora tout de même qu’on ait employé contre lui l'usage de la force. Autres temps, autres mœurs.
23:26 Publié dans Histoire | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : histoire, inquisition, giordano bruno
Commentaires
Etonnant, et bienvenu, de vous retrouver avec Giordano Bruno après «La cabane dans les bois», récit bien écrit, mais un peu lisse à mon goût, j'oserai même dire, sans vouloir vous blesser, presque convenu, en tous cas sans aucune aspérité à laquelle crocher.
Pouvez-vous – bête correction – enlever «autre» à côté d'«alternative» (pas d'alternative pour l'Inquisition...).
Et ne vous frappez pas de ces remarques d'une vieille dame qui vous trouve très doué et singulier par ailleurs. Bonne journée! Natacha S.
Écrit par : Natacha | 18/02/2009
Cher Feuilly,
Je te remercie pour ce texte. Je te remercie de remettre en pages Giordano Bruno. Il fait partie de mon panthéon personnel. Il fait souvent partie aussi de mon argumentation quand j'ai à faire part de ma haine de l'église catholique.
Tu ne l'as pas dit ici, mais c'est aussi un philosopghe du Grand Pan, du Tout et de l'universalité de toutes choses (j'abrège outrancièrement).
Il eut notamment comme fils spirituel le grand Spinoza, autre penseur honni de l'église.
Je voudrais qu'un jour, il y ait sur cette terre des auteurs qui s'attachent enfin à répertorier tous les crimes de cette église de la haine et de la cruauté, comme certains l'avaient fait pour les crimes du communisme ( que je ne dénie nullement) mais qui sont du pipi de chat comparés aux atrocités deux fois millénaires de ces salopards ensoutannés !
Conciles après conciles, malgré quelques paroles chafouines d'une feinte repentance, de -çi, de-là, elle n'a jamais rien renié fondamentalemnt du sang dont ses mains sont poissées.
Amitié
Écrit par : B.redonnet | 18/02/2009
@ Natacha: bien vu pour "alternative". Ce mot impliquant en lui-même l'idée d'un choix face à deux situations, il n'y a pas lieu d'ajouter "autre".
Mais je laisse la faute dans le texte, sinon votre commentaire n'aurait plus de sens. Et cela permettra aux lecteurs de passage de retenir la leçon.
Histoire trop lisse? Sans doute, oui, il ne s'y passe pas grand chose, finalement. C'est surtout la description d'un voyage. Disons que celui-ci se voulait aussi voyage intérieur, mais là ce n'est sans doute pas assez développé.
Mais qu'est-ce qu'on entend par "lisse" finalement? On parle du fond ou de la forme ?
Une écriture trop tranparente, qui "coule" bien mais qui est trop neutre. Il faudait des points d'exclamation, du lagage parlé, des dialogues un peu verts? Ou alors plus d'incidents imprévus pendant le voyage? Des surprises, de la peur, etc. Des rebondisssements, quoi.
Écrit par : Feuilly | 18/02/2009
Voilà une date à retenir pour compléter mon éphéméride l'an prochain ! Bien cordialement.
Écrit par : Le Photon | 18/02/2009
Non, pas de dialogues un peu verts, ou alors dans une autre histoire! Je disais que le texte était un peu lisse à mon goût. C'est le fond et c'est la forme, indissociables, l'histoire et l'écriture, qui sont lissés, comme on le dit de la soie. Et je préfère la soie sauvage.
Si vous laissiez plus sourdre l'émotion, les sensations, sans les polir, ni les assortir de rationalité, on pourrait mieux rêver, voyager avec vous.
Remarques évidemment très personnelles, ne vous en affligez pas! Soyez plutôt remercié pour la haute tenue de votre blogue. Natacha S.
Écrit par : Natacha | 18/02/2009
Non, non, je vous écoute attentivement car cette remarque (laisser sourdre les émotions), quelqu'un me l'avait déjà faite autrefois. Je croyais m'être amélioré or il semble que ce ne soit pas le cas. J'en déduis donc que c'est un but assez difficile à atteindre. L'écriture est tellement liée à ce que l'on est ou à ce que l'on a l'habitude de divulguer de soi, que tout changement est difficile. Peut-on se changer soi-même?
Peut-être y a-t-il une sorte de pudeur ou de réserve dans cette manière "d'habiller" les émotions. Allez savoir.
Écrit par : Feuilly | 18/02/2009
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