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10/07/2007

Paysage (5)

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Que connaissons-nous des campagnes d’autrefois ? Rien, sans doute. Les villes elles-mêmes, il n’est pas facile de se les représenter. Comment était Paris au Moyen-Age ou Toulouse ou Bordeaux ? Nous ne le savons pas vraiment et seule notre imagination permet de suppléer à cette carence. Il existe des documents, pourtant, qui représentent ces villes, des plans, des cartes, que sais-je encore. Il y a aussi les vestiges monumentaux qui nous viennent de ces époques lointaines et que nous avons conservés tant bien que mal : les châteaux-forts, les murailles de Carcassonne, mais aussi les rues sinueuses du vieux Rouen ou celles plus modestes de certains villages (Saint –Cirq Lapopie, dans le Quercy, Castelnou, dans les Pyrénées, etc.).

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On parvient donc à se représenter tant bien que mal à quoi devaient ressembler ces villes et villages médiévaux. Je ne parle évidemment que de la configuration des lieux pas de l’ambiance qui devait y régner, car là c’est bien plus difficile.

Et les campagnes ? Les champs qui entourent le village, la forêt qui longe les champs, les chemins de terre qui relient un lieu à un autre ? Tout cela était-il désert, comme aujourd’hui ou au contraire était-ce peuplé par toute une population de paysans occupés à travailler ou de voyageurs en train de se déplacer ? Ici, point de vestiges, peu de croquis, pas de traces du temps passé. Des millions et des millions de personnes ont ainsi vécu du travail de la terre et nous n’en avons conservé pour ainsi dire aucun témoignage.

Notre conception contemporaine est faussée. Si je me promène aujourd’hui dans les Causses ou dans les paysages de la Haute-Loire, j’apprécierai, moi le citadin, le calme reposant de ces lieux. Mais la désertification ambiante, l’abandon de ces hautes terres par leurs habitants, ne doivent pas me faire oublier qu’il n’y a pas si longtemps, ces contrées étaient encore bien peuplées. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder la liste des noms inscrits sur les monuments aux morts. Tel village qui ne compte plus aujourd’hui qu’une centaine d’habitants avait pourtant « donné à la France » une bonne cinquantaine de ses fils. Cela veut bien dire que les habitants ont tous quitté leurs activités agricoles pour s’en aller vers les villes, où ils sont devenus « flics ou fonctionnaires » comme disait Ferrat dans sa chanson. Cela veut dire aussi qu’autrefois les champs étaient peuplés de ces travailleurs manuels, occupés à faucher le foin ou à mettre en gerbes la récolte de blé. Tout cela m’a encore été confirmé par mes parents. Il était impossible de sortir du village sans croiser des dizaines de villageois s’en allant ou revenant de leurs champs, tandis que si le regard se portait à l’horizon, il rencontrait une campagne animée et peuplée par tous ces paysans occupés à leurs tâches. On s’interpellait d’un lopin de terre à un autre, on prenait des nouvelles de la maladie d’un voisin, on voulait savoir si la petite Marie avait déjà accouché et si c’était un garçon. Bref, toute une vie sociale se déroulait à l’extérieur, là où aujourd’hui vous n’avez plus que le passage rapide et bruyant d’un unique tracteur.

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Je ne dis pas que c’est mieux ou plus mal, je dis que c’est différent.. Et j’ajoute qu’il nous est difficile d’imaginer ce qu’étaient nos campagnes il n’y a pas encore si longtemps. Et pourtant… Et pourtant c’est une activité millénaire qui est venue mourir ainsi dans le courant de la deuxième moitié du vingtième siècle. Un fromage comme le cantal, la fourme d’Ambert ou le Saint Nectaire, que l’on fabrique encore de manière artisanale (mais de moins en moins) dans les fermes du massif central, ce fromage, dis-je, remonte au moins à nos ancêtres gaulois. C’est toute une tradition et un savoir-faire millénaire qui est ainsi arrivé jusqu’à nous, pour être remplacés par des laiteries industrielles aux produits insipides.

Mon but ici n’est pas d’être nostalgique, mais de faire comprendre que nous avons assisté, bien malgré nous, à la fin d’un monde et au remplacement de celui-ci par un autre. Il faudrait tout de même se souvenir que ces activités traditionnelles étaient finalement celles des agriculteurs-éleveurs du néolithique et qu’il n’y avait peut-être pas une différence aussi fondamentale qu’on pourrait le croire entre un paysan de 1930 et son ancêtre qui vivait en moins 3000 avant JC. Ou que cette différence était moindre qu’entre ce même paysan et un Parisien vivant dans son HLM et fréquentant assidûment les Mac Donald.

Alors, parfois, je me plais à imaginer cette vie d’autrefois. Sur les sentiers de terre des campagnes, il me semble voir les clercs du Moyen-Age se rendant d’une abbaye à l’autre afin d’aller étudier. Quand parfois une ombre se dessine à l’horizon, il me plait de penser que c’est peut-être Zénon, le héros de L’Oeuvre au noir de Yourcenar que je vais croiser. A l’approche du village, je finis par sentir l’odeur du pain que l’on vient de cuire dans le four banal et devant la vieille forge en ruine il me semble entendre le bruit des marteaux qui battent encore le fer.

Qu’êtes-vous devenus, frères humains qui avez été ? En quel lieu êtes-vous partis, avec tout votre savoir-faire et votre simple sagesse faite de bon sens ?

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15:38 Publié dans Errance | Lien permanent | Commentaires (0)

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